Depuis près de 30 ans, Michel Rabagliati n’avait pas mis les pieds dans l’appartement situé au coin des rues Gilford et Saint-Denis où il a vécu pendant une douzaine d’années. Aujourd’hui, sur le mur sud de la bâtisse trône une murale à l’image de l’album Paul en appartement, troisième de sa série culte de bandes dessinées. C’est le locataire actuel du logement, Adam Foster, qui a fait les démarches pour en arriver à la concrétisation de ce projet.
C’est dans cet appartement qu’a germé l’idée du personnage de Paul et de cette série d’autofiction. C’est là où Paul et Lucie forment un couple, dans Paul en appartement, tout comme Michel et son ex-conjointe. «On n’était que colocataires à la base, mais ça n’a pas pris trois mois qu’on sortait ensemble», comme dans la BD, explique le bédéiste. C’est aussi dans cet appartement qu’ils ont conçu leur fille.
Adam, qui habite ce logement depuis sept ans déjà, s’est rendu compte par hasard qu’il habitait dans l’appartement de la BD. Il y a quelques années, la copine d’un ancien colocataire avait reçu la bande dessinée en cadeau. Impossible de ne pas reconnaître l’appartement, si bien représenté dans les dessins de Michel.
Je connaissais la série, mais de loin. C’est vraiment en voyant l’appartement dans l’album que j’ai commencé à lire l’œuvre de Michel Rabagliati.
Adam Foster, locataire actuel de l’appartement
C’est ainsi qu’Adam a su comment étaient apparues les armoires de la cuisine ou qui avait sablé le plancher de son appartement.
Dans ce qui est aujourd’hui le salon d’Adam et qui était, à l’époque, le bureau de Michel, les deux locataires du même logement observent les lieux, comparant l’utilisation de l’espace et échangeant des anecdotes. Lors de cet entretien avec Métro, Michel nous fait visiter l’appartement en revisitant ses souvenirs. Pendant ce temps, en plein Festival de la BD de Montréal, les peintres Dominique Desbiens et Bruno Rouyère ajoutent les derniers détails à la murale à l’extérieur.
Ça me fait chaud au cœur. Je suis content qu’Adam me laisse visiter l’appartement. Je suis venu avec [mon ex-conjointe] tantôt, ça a été vraiment charmant. On a passé des années tellement le fun ici. C’étaient des années bénies.
Michel Rabagliati, auteur des BD Paul
Adam en appartement
Lors d’une discussion entre amis, en regardant le mur sud de la bâtisse – celui sur lequel se trouvait une publicité de la marque de cigarettes Players en 1983 (donc dans la BD) -, Adam décide de lancer des démarches pour un jour y voir une murale en l’honneur de l’œuvre de Michel Rabagliati.
Il contacte l’auteur via un groupe Facebook d’admirateurs de son œuvre. Michel flirte alors avec l’idée, mais n’y croit pas vraiment. «Je me disais que ce n’était pas le genre de projet qu’aiment les propriétaires», raconte le bédéiste. «Adam a dû être très convaincant, parce qu’ils ont accepté.»
De fil en aiguille et quelques années plus tard, la Ville et les propriétaires étaient convaincus: le projet allait se concrétiser. Michel a pris le relais et contacté MU, un organisme qui permet à plusieurs murales de voir le jour sur les murs de la métropole. Celui-ci est notamment derrière la grande fresque de Léonard Cohen, icône de Montréal, visible du haut du mont Royal.
«On veut rendre hommage à des artistes qui font rayonner Montréal», souligne la responsable des communications de MU, Julie Carlier.
Paul comme guide touristique
Traduits dans huit langues, les récits de Michel Rabagliati, qui comprennent «80, 85% de faits vécus», guident les lecteurs dans Montréal et à travers le Québec. Le bédéiste porte une attention particulière aux détails des commerces et des bâtisses. «Je trouve ça intéressant, historiquement», explique-t-il. Faisant des bonds dans le passé, il raconte «des choses plausibles» et met en valeur la ville et la province à travers le temps.
L’artiste a lui-même conçu la scène qu’on observe aujourd’hui au coin de Saint-Denis et Gilford. La fresque montre Paul et Lucie (ou Michel et son ex-conjointe), peinturant les murs de leur nouvel appartement. Le bédéiste, voyant ce rituel comme typiquement Montréalais, voulait que tout le monde puisse se reconnaître dans la murale. Il transporte les passants à l’époque où se déroule l’action de Paul en appartement en inscrivant les paroles de la chanson J’t’aime comme un fou, de Robert Charlebois.
Dans la BD, on écoutait une chanson de Culture Club, mais comme la murale va rester là pour toujours, j’ai voulu choisir une chanson francophone. Et la plus écoutée de 1983, ben c’était J’t’aime comme un fou.
Michel Rabagliati
«C’était probablement nos années les plus heureuses, je pense», se souvient l’auteur de Paul en appartement.
En milieu d’après-midi, après l’entrevue, les peintres font monter Michel sur le lift. En hauteur, il aide à donner les derniers coups de pinceau sur sa murale. De la rue, en criant, Adam lui présente sa copine, qui déménage avec lui sous peu: «C’est elle, ma Lucie, Michel!»