«La cordonnière»: les amours d’une pionnière
Rose-Marie Perreault et Élise Guilbault prêtent leurs traits à une pionnière québécoise dans le film La cordonnière, réalisé par François Bouvier, qui prend l’affiche vendredi.
Les comédiennes incarnent à deux périodes de sa vie Victoire Du Sault, la première femme à avoir exercé le métier de cordonnière au Québec. Une précurseure de l’entrepreneuriat qui a aimé avec la même fougue qu’elle a défié les conventions sociales au mitan du 19e siècle.
Le parti pris des amours
Ce n’est toutefois pas dans ce long métrage à la facture sobre que l’on approfondira le parcours exceptionnel de cette féministe avant l’heure qui a bâti un véritable empire de la chaussure — il y a toutefois certainement là matière à une autre œuvre.
« C’est un film d’amour; ce n’est pas un biopic », affirme François Bouvier en entrevue avec Métro.
Le mélodrame se concentre plutôt sur les histoires de cœur déchirantes de Victoire, qui recèle un lourd secret de famille. « Le poids du mensonge écrase tout ce qu’il porte. Il n’y a pas de liberté en dehors de la vérité », dit la protagoniste au seuil du trépas.
Vaut mieux accepter cette proposition afin de pleinement apprécier La cordonnière, adapté de la saga à succès en quatre romans de Pauline Gill.
Fonceuse Victoire
Si l’on effleure les réalisations avant-gardistes de Victoire — dont la cordonnerie est à l’origine de la fortune de la famille Dufresne, propriétaire du château du même nom dans Hochelaga-Maisonneuve —, « on voit sa drive, dit le cinéaste. On montre qu’elle a du caractère, qu’elle sait où elle s’en va, qu’elle prend les moyens pour y aller ».
« C’est un film d’époque, mais Victoire est très moderne, ses envies sont très contemporaines, corrobore Rose-Marie Perreault. Elle est en réaction contre son époque. Elle ne comprend pas que, parce qu’elle est femme, elle n’ait pas accès au monde qu’elle rêve de dévorer, de vivre. »
Déterminée et audacieuse, bravant l’ordre établi, Victoire « s’est permis de vivre ses passions envers et contre tous, à une époque où on lui disait : “non, tu n’as pas le droit” », poursuit la comédienne.
C’est notamment le cas concernant son amour inextinguible avec l’éleveur de chevaux George-Noël Dufresne (campé par Pierre-Yves Cardinal), avec qui elle « avait une relation d’égale à égal », souligne Rose-Marie. « Il est plus vieux qu’elle, ils sont à des endroits différents de leur vie, mais il l’admire, il l’aide à lancer son entreprise, il l’appuie. »
Triangle amoureux
Ce sont les histoires amoureuses complexes et sinueuses de Victoire Du Sault qui ont avant tout séduit François Bouvier à la lecture du scénario de Sylvain Guy (Mafia inc., Mégantic). En plus de son idylle avec George-Noël, elle a épousé le fils aîné de ce dernier, Thomas (Nicolas Fontaine).
La connexion entre ces « trois personnages intègres qui s’aiment d’un amour indéfectible, mais qui le portent de façon différente » l’a fasciné, raconte le réalisateur de La Bolduc et d’Histoires d’hiver, qui se dit interpellé avant tout par les intentions et les émotions des personnages, pas par les contextes historiques.
Parlant d’intentions et d’émotions, il y a un contraste entre les désirs et la culpabilité de la cordonnière, qui requérait un jeu tout en discrétion, relève Rose-Marie. « Victoire bouillonne de l’intérieur, mais elle ne peut pas le montrer », illustre-t-elle.
Bien que La cordonnière relate d’abord la vie sentimentale de Victoire Du Sault, la comédienne se réjouit de jouer dans un film mettant au premier plan une pionnière : « Il devrait y avoir plus de portraits de femmes comme elle. »
« C’est un beau rappel d’où l’on vient, que tout n’est pas gagné par rapport à l’égalité hommes-femmes, conclut-elle. On peut se réjouir des avancées, mais sans trop s’autocongratuler : il reste du travail à faire. »
Place au théâtre
Rose-Marie Perreault a foulé les planches pour la première fois cet hiver, réalisant un rêve de longue date. Elle incarnait une enseignante s’éprenant d’une nouvelle amie new-yorkaise et victime d’une violence homophobe dans la pièce de théâtre Stop Kiss, présentée à La Licorne, une « expérience formidable », raconte-t-elle.
« J’ai adoré pouvoir prendre le pouls chaque soir des mots que l’on disait. Je pense que j’ai voulu devenir comédienne quand je suis allée au théâtre pour la première fois, confie-t-elle. Ça m’a donné un électrochoc, c’était galvanisant. »
Elle se réjouit d’autant de cette expérience initiatique qu’il s’agissait d’une pièce importante à ses yeux. « On ne donne pas assez de voix à la communauté queer, en particulier aux lesbiennes », souligne Rose-Marie, qui aimerait bien que sa « carrière comporte son lot de théâtre ».