Rosalie Bonenfant fait son cinéma dans «Inès»
Inès, troisième long métrage de la réalisatrice Renée Beaulieu (Le garagiste, Les salopes ou le sucre naturel de la peau), aboutit dans les salles obscures vendredi avec, sur son affiche, une Rosalie Bonenfant fébrile à l’idée d’endosser pour la première fois un costume d’actrice au grand écran, qu’elle a si ardemment attendu.
Pour son baptême du septième art, Bonenfant personnifie une jeune femme de 20 ans qui entre brutalement dans l’âge adulte, laissée-pour-compte par une maman intellectuellement déficiente (Noémie Godin-Vigneau) et un papa (Roy Dupuis) avec qui elle entretient une relation dysfonctionnelle, à la fois froide et fusionnelle.
«C’est une fille souffrante. Elle a besoin de s’accrocher à quelque chose et de comprendre pourquoi elle s’accroche. Elle a été carencée en perdant sa mère très jeune et son père n’est pas capable de combler son vide émotif. Inès, en quête de réponses, va se perdre dans toutes sortes de compulsions», dresse Rosalie Bonenfant comme portrait de son alter ego.
Sombre jeunesse
L’adolescence (ou coming of age) d’Inès n’est pas celle d’À vos marques… party! La protagoniste, qui est de toutes les scènes, apprivoise une sexualité rock and roll, fraie avec les drogues et perd le nord en essayant désespérément de trouver son chemin. Rosalie Bonenfant n’hésite pas à qualifier le destin de son personnage de «descente aux enfers».
«Et on suit Inès de très près. On reçoit le film avec une charge émotive. On est plus que témoin de ce qu’elle vit! On développe une empathie pour Inès, qu’on aurait le goût d’aider et qui n’est pas capable de s’aider elle-même.»
Pour se préparer à relever le défi, Rosalie Bonenfant s’est créé une playlist de chansons qu’elle associait à l’univers d’Inès. Renée Beaulieu avait interdit tout cellulaire ou appareil technologique sur son plateau, histoire de garder son monde bien concentré entre les séquences. Rosalie a aussi multiplié les recherches sur les drogues et piqué une jasette à France Castel, qui l’a épaulée grâce à son bagage de comédienne et d’ex-toxicomane.
«Elle m’a expliqué comment chaque drogue agit sur le corps…»
Scènes (très) osées
La mère de Rosalie Bonenfant, l’animatrice Mélanie Maynard, a souvent répété à sa perfectionniste de fille qu’elle devait «apprendre à botcher». Pour le tournage d’Inès, Rosalie a dû se prêter à semblable exercice: s’abandonner… pour le meilleur et pour le pire.
«Inès est pognée dans son ventre, tandis que Rosalie est pognée dans sa tête, image la principale intéressée en guise de comparaison. Elle se regarde vivre, veut bien faire et intellectualiser ce qu’elle vit, le comprendre, le nommer, le rationaliser… Alors que ça ne sert à rien. Les sentiments ne sont pas une finalité, ils nous traversent et sont passagers. J’ai dû faire un travail de déconstruction, pour me laisser être traversée par quelque chose.»
«Certains soirs, je rentrais chez moi et mon corps tremblait encore. Je m’étais abandonnée au point de convaincre mon propre corps…»
De l’abandon, il en a fallu à Rosalie Bonenfant pour être en paix avec le fait qu’on la verrait se masturber et qu’on l’entendrait jouir abondamment à l’écran.
«Mon cerveau a bloqué cette information-là, pouffe l’interprète. Je ne m’attendais même pas à être capable d’apprécier le film, étant tellement dans l’autoévaluation et dans l’intransigeance. Je m’attendais à me juger. J’avais des névroses et de la dysmorphie corporelle; j’ai été énormément enlaidie dans ce film-là, et je m’attendais à ne pas me trouver belle. On m’avait prévenue de ne pas regarder le film seule, mais finalement, la première fois que je l’ai vu, je n’y ai même pas pensé. Le film était plus grand que mes petites névroses.»
Sentir Dans une galaxie…
Ce premier rôle d’envergure, Rosalie Bonenfant l’a vivement souhaité et espéré, de longue date. Son entourage adulte la trouvait «bien cute» quand elle martelait son désir de scène alors qu’elle savait à peine parler.
«J’avais deux ans, je me costumais et je disais que je voulais devenir Normand Brathwaite (rires). Il y avait cette envie du spectacle, de plonger dans plein d’émotions. J’ai longtemps eu l’impression que j’avais trop d’émotions pour moi-même, et qu’il allait bien falloir que j’en donne à quelqu’un. Un peu comme les philanthropes qui ont trop d’argent et qui en donnent à des fondations (rires).»
La toute petite Rosalie Bonenfant, née en 1996, a posé très jeune dans des magazines, dans les bras de sa célèbre maman. Haute comme trois pommes, elle traînait dans les coulisses de Deux filles le matin. Une réalité qui n’a certainement pas nui à son envie d’œuvrer sous les projecteurs, mais qui a aussi tué très tôt l’illusion de glamour souvent inhérente aux métiers publics.
«Ça m’a toujours montré que c’était un travail. J’avais déjà été dans des magazines avant d’avoir une raison d’être dans un magazine. Ç’a donc vite tassé tout cet aspect-là.»
Parmi ses souvenirs dans l’industrie de la télévision, un titre, Dans une galaxie près de chez vous, résonne plus fort que les autres.
«C’est mon enfance, glisse Rosalie. C’est Stéphane Crête qui m’apporte des bonbons. Il y a quelque chose de mythique pour moi, dans l’odeur du plateau de Dans une galaxie… Je suis hypersensible, et ma mémoire olfactive est particulièrement nostalgique. C’est la première fois que j’ai compris ce que sentaient un plateau, des spots, des décors. Jeune, quand on me demandait pourquoi je voulais être comédienne, je répondais que c’était parce que ça sentait bon sur un plateau. Certains sont nostalgiques de l’odeur de la sauce à spag de leur mère; moi, l’odeur de la loge de ma mère, je l’ai encore dans le nez!»
Quelque chose comme une fierté
Rosalie a commencé à vivre son rêve avant que ne s’achèvent ses études. À 17 ans, se trouvant jeune pour tenter sa chance dans les écoles de théâtre, elle est allée s’éclater en arts visuels au cégep du Vieux Montréal tout en respectant en parallèle des contrats de jeu dans Les Parent, 30 vies et Jérémie. Les engagements professionnels lui bouffant trop de temps, elle s’est ensuite offert un congé sabbatique de l’école, qui devait à l’origine être temporaire… mais qui dure finalement encore aujourd’hui.
«C’est une chance et une malchance. Je me plais à dire que, pendant quatre ans, au lieu de faire une école de théâtre, j’ai fait de la thérapie… (rires)»
La carrière de Rosalie était lancée. Se sont succédé à son agenda les séries citées ci-dessus, des chroniques à Énergie et à Rouge (pendant cinq ans), l’écriture d’un bouquin (La fois où j’ai écrit un livre, éditions Hurtubise, 2018), l’animation du magazine C’est quoi l’trip?, sur ICI Tou.tv, la coanimation de Deux hommes en or et Rosalie, qui se poursuit pour une deuxième saison aujourd’hui…
Des projets stimulants, qu’elle a adorés, qu’elle aime encore et dont elle est très fière. Mais l’artiste avoue que son désir de devenir actrice était si violent qu’elle n’a peut-être pas profité comme il se devait des grâces professionnelles qui lui sont tombées dessus depuis 10 ans.
«Ç’a nui à ma gratitude, dans les dernières années. On m’a confié beaucoup de projets que je n’aurais jamais osé demander. Et je ne me sentais pas toujours à ma place. Tout est arrivé tellement vite; je n’ai même pas eu le temps de rêver d’animer un talk-show à Télé-Québec! Tandis que, jouer, je l’ai tellement voulu que, quand le rôle d’Inès est arrivé, je ne me sentais pas imposteure. Enfin, il se passait quelque chose, l’univers m’avait entendue! Je savais que j’avais quelque chose à dire…»
«Pour quelqu’un qui a toujours un peu le sentiment d’être une imposteure, j’arrive, avec ce projet, à ressentir quelque chose qui est peut-être près de la fierté… J’en profite, parce qu’il n’y en aura pas d’autres, premier premier film!»
Le film Inès, qui met aussi en vedette Roy Dupuis, Noémie Godin-Vigneau, Mélanie Pilon et Maxime Dumontier, prend l’affiche aujourd’hui, vendredi 6 mai.