Pour son premier long métrage de fiction, la réalisatrice Geneviève Albert a voulu aborder la prostitution juvénile, une réalité qui la touche depuis longtemps et suscite son indignation.
La réalisatrice est sans équivoque: elle a une position abolitionniste par rapport à la prostitution.
«Je ne comprends pas que la prostitution existe dans notre société. Je ne comprends pas la transaction qui consiste à acheter le corps d’une personne pour en disposer à sa guise. Je souhaite vivre dans une société où ce fléau n’existe pas», a-t-elle confié à Métro lors d’une entrevue.
C’est que Geneviève Albert croit qu’il y a une violence inhérente à la prostitution.
«La majorité des personnes qui se prostituent, même quand elles y consentent au départ, ne vont pas être épargnées dans la plupart des cas des conséquences catastrophiques de la prostitution. Choc post-traumatique, décorporisation, troubles de santé mentale, pauvreté, hypervigilance. C’est dramatique ce qu’elles vivent après leur passage dans la prostitution.»
Important travail de recherche
Pendant plusieurs années, la réalisatrice et scénariste du film s’est préparée en faisant des recherches sur le sujet. Des recherches académiques en lisant de la littérature, ainsi que de la recherche de terrain auprès de survivantes de la prostitution et d’autres encore actives au moment où Geneviève Albert les a rencontrées.
Elle estime que ces recherches lui ont permis d’écrire «un film réaliste, qui nous plonge dans ce qu’est réellement la prostitution au jour le jour».
À propos des scènes où l’on voit Noémie, la protagoniste du film, passer ses journées, durant le Grand Prix de la F1, dans une chambre d’hôtel à enchaîner des dizaines de clients, la réalisatrice indique que c’est réellement de cette façon que ça se passe.
Elle précise que ce n’est pas un hasard si elle a situé son film durant la période du Grand Prix.
«La demande en services sexuels explose pendant la F1. Beaucoup de jeunes filles commencent la prostitution pendant cet événement. Les proxénètes vont recruter dans les centres jeunesse.»
Essayer d’être confortable dans l’inconfortable
Par leur nature, certaines scènes de Noémie dit oui sont très difficiles.
Étant une femme cinéaste, Geneviève Albert s’est beaucoup questionnée sur la façon dont elle allait tourner les scènes de prostitution.
Elle a décidé de braquer sa caméra sur les clients et de ne jamais montrer tout de manière frontale. Le plus important était que Noémie et le client ne soient jamais ensemble dans le même cadre, ce qui aurait «instauré une relation entre les personnages», alors que, pour elle, «la prostitution n’est pas une relation, c’est un rapport de pouvoir, de domination».
Imaginer tourner ces scènes a d’abord rebuté la comédienne Kelly Depeault, interprète de Noémie, mais lorsque Geneviève Albert lui a expliqué sa vision autour d’un café, l’actrice s’est sentie rassurée et a accepté le rôle.
Il n’y a pas eu d’audition. Geneviève Albert avait vu Kelly Depeault dans La déesse des mouches à feu et avait été émerveillée. C’est elle que ça lui prenait absolument, a-t-elle statué.
Évidemment, ce genre de scène n’est pas agréable à tourner, mais Kelly Depeault ne s’est pas sentie sexualisée. Elle comprenait que ces scènes étaient nécessaires pour démontrer le sujet.
Pour alléger l’ambiance lors des tournages, la comédienne, qui adore les lapins, a demandé à ce que tous les membres de l’équipe présents portent des oreilles de lapin, histoire de décompresser entre les prises.
C’est quelque chose qui l’a beaucoup aidée.
Auparavant, sur le tournage de La déesse des mouches à feu, lors des scènes de nudité, la comédienne avait demandé à ce que tout le monde de l’équipe soit en boxers.
«Ce n’est pas vrai que je vais être la seule à être toute nue», se disait-elle.
De longues auditions ont cependant été faites pour choisir les interprètes des clients. Au terme de celles-ci, c’était la comédienne qui choisissait ceux avec qui elle était le plus à l’aise.
Les scènes ont été répétées, toute la mise en scène déterminée d’avance, «les cadres, les mouvements de caméra, les chorégraphies des acteurs, tout était planifié au quart de tour pour qu’au moment du tournage, on fasse exactement ce qu’on avait dit qu’on allait faire. Ç’a sécurisé tout le monde, Kelly en premier», indique la réalisatrice.
Un désir de changement
Malgré tout, lorsqu’elle pensait aux personnes qui vivent réellement cet enfer, la comédienne trouvait l’expérience difficile et pouvait même se sentir impostrice. Elle devait se souvenir qu’elle avait un objectif: représenter cette réalité et espérer que ça puisse générer un changement, voire contribuer à mettre un terme à cette pratique.
Un souhait que partage Geneviève Albert.
«Je souhaite que les gens soient ébranlés par le film, qu’il provoque des discussions dans notre société, au plan individuel, mais aussi au plan politique. J’espère nourrir la volonté politique de nos gouvernements de faire quelque chose à l’égard de la prostitution», conclut-elle.
Noémie dit oui était présenté en ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma.
Le film prendra l’affiche le 29 avril.