Le hip-hop queer québécois tarde à sortir du placard
Le rappeur gai Lil Nas X est l’un des artistes ayant le plus de succès au monde. Au Québec, la scène hip-hop queer se révèle de plus en plus, mais demeure très marginale. Pourquoi donc?
«Malheureusement, le hip-hop n’est pas toujours un milieu artistique propice pour que les gens soient confortables ou fiers de montrer leur vraie identité [queer]», lance d’emblée Antoine-Samuel Mauffette Alavo, journaliste spécialisé en hip-hop.
Malgré la diversité qui règne dans le milieu hip-hop, celui-ci reste plutôt misogyne et homophobe, croit-il. On n’a qu’à penser au beatmaker Kaytranada, d’abord connu sur la scène hip-hop, qui a attendu de rejoindre une scène musicale mainstream pour sortir du placard.
Encore plus tabou chez les hommes
Compte tenu de la masculinité toxique qui règne toujours dans le milieu, tout porte à croire qu’il est plus facile de percer pour une personne qui s’identifie comme une femme que pour une autre qui s’identifie comme un homme.
«La plupart des artistes hip-hop queers au Québec ne sont pas nécessairement des hommes cisgenres. On voit plus des femmes, des personnes non binaires ou des personnes trans», remarque Mags du groupe queer soul aux touches de hip-hop Strange Froots.
Elle estime que depuis les débuts du hip-hop, un genre qui provient de milieux traditionnellement plus durs, les femmes avec une attitude plus masculine sont beaucoup plus acceptées que les hommes aux manières dites plus féminines.
À preuve, dans le milieu francophone, personne ne semble faire un cas du fait que la populaire rappeuse Sarahmée fasse partie de la communauté LGBTQ2S+. Il faut cependant dire que son orientation sexuelle n’est pas mise de l’avant dans sa démarche artistique.
Plus militante en la matière, la nouvelle venue Calamine, rappeuse lesbienne et féministe, connaît aussi un joli succès émergent.
«Je n’ai pas l’impression que les autres rappeurs se sentent attaqués par moi ou que je les remets en question. Il n’y a aucune hostilité à mon égard», témoigne-t-elle.
Elle admet ne connaître aucun rappeur gai cisgenre francophone.
Des reconnaissances institutionnelles
Les institutions musicales canadiennes tendent de plus en plus à promouvoir la diversité sexuelle dans le hip-hop, observe d’ailleurs le spécialiste Antoine-Samuel Mauffette Alavo.
Des artistes hip-hop de la communauté LGBTQ2S+ ont reçu de prestigieux prix. En 2021, Calamine a été sacrée Révélation Radio-Canada en rap. En 2020, le prix de musique Polaris, récompensant le meilleur album canadien de l’année, a été remis à la rappeuse trans montréalaise d’origine zambienne Backxwash.
«Les institutions font des efforts. Peut-être que l’industrie musicale spécifique au rap québécois devrait suivre, mais pour cela il faut que les artistes sortent de l’ombre pour qu’on puisse les encourager et les célébrer», estime Antoine-Samuel Mauffette Alavo.
Dans un groupe à part
Mais ce n’est pas si facile pour tout le monde.
Mags, de Strange Froots, affirme que si beaucoup d’artistes queers font du rap, les occasions de se faire valoir sont nettement plus rares.
«C’est mon rêve depuis que je suis petit de rejoindre l’industrie mainstream», lance Blxck Cxsper, rappeur trans montréalais, mais il pense que c’est justement son identité de genre qui l’empêche d’atteindre ce statut.
«Je connais des gens de l’industrie mainstream qui auraient honte de s’associer à moi publiquement», poursuit-il.
«Aussi, les gens pensent que, en tant que queer, ce dont je vais parler dans ma musique ne va pas aller chercher un public non queer, et donc ils ne vont pas m’offrir de monter sur scène.»
Ainsi, le petit bassin d’artistes hip-hop queers de Montréal se retrouve sur une scène alternative à offrir des performances lors d’événements LGBTQ2S+ ralliant leur communauté, seul type d’événement où iels profitent d’une certaine exposition.
Ces événements sont fortement liés à la culture drag et ballroom ainsi qu’à la musique house.
Cette scène est aussi majoritairement anglophone. Le rappeur estime qu’il est beaucoup plus facile pour les artistes queers d’avoir de la visibilité sur la scène anglophone, qui s’inspire de ce l’on voit dans de grandes villes comme New York ou Londres.
«Ce sont des espaces où l’on peut se sentir en sécurité et où l’on peut être une personne à part entière. Quand on va dans des espaces non queers, on devient LA personne queer. Notre individualité est effacée», témoigne Blxck Cxsper.
Le rappeur trouve cependant dommage de n’être engagé que pour ce type d’événement. Il croit que sa musique pourrait conquérir d’autres publics.
«L’art est subjectif. Mes chansons peuvent parler du fait de se sentir différent, de tomber en amour, de perdre quelqu’un, et tout le monde peut se retrouver là-dedans sans avoir à partager ma réalité de personne trans.»
Il y a aussi une question de sécurité. Si Blxck Cxsper indique qu’il se sentirait en sécurité dans des milieux hip-hop non queers, il ne peut pas affirmer que ce serait le cas pour d’autres personnes de son entourage.
Mags, de Strange Froots, estime qu’il y a encore des efforts d’éducation à faire pour rendre les espaces hip-hop mainstream réellement sécuritaires pour les artistes queers.
Espoir pour l’avenir
Le succès mondial d’un rappeur comme Lil Nas X permet cependant à Blxck Cxsper d’espérer que les choses vont changer, même au Québec.
«Il faut une personne comme Lil Nas X qui trace le chemin. Dans l’avenir, un rappeur pourra s’afficher comme étant gai sans que son orientation définisse son identité», croit-il.
Comme l’indique Calamine, le hip-hop est à la base un mouvement militant de soulèvement contre les forces en place. Les luttes queers peuvent facilement faire partie de ses combats.