«Contagion de la terreur»: une expo sur les impacts réels de la violence virtuelle
Le Musée d’art contemporain (MAC) inaugure son nouvel espace temporaire à Place Ville Marie avec Contagion de la terreur, une exposition à glacer le sang sur les dangers de la cybersurveillance. Le lanceur d’alerte Edward Snowden et le musicien Brian Eno contribuent à ce projet créé par Forensic Architecture avec Laura Poitras.
Est-ce de l’art, du journalisme d’enquête ou de l’activisme? L’exposition Contagion de la terreur est en fait un croisement entre ces disciplines. Elle est le résultat du travail colossal du collectif Forensic Architecture, basé à Londres, qui produit des analyses et des documents audiovisuels mettant en lumière différentes injustices.
Ici, le collectif s’est intéressé aux répercussions inquiétantes du logiciel de malveillance Pegasus, conçu par le géant israélien de la cybersécurité NSO. Une fois infiltré dans un téléphone intelligent, ce système d’espionnage numérique peut lire vos messages, écouter vos conversations, voir vos photos et même activer votre caméra et votre enregistreur à votre insu, et ce, où que vous soyez.
L’affaire a fait les manchettes en juillet dernier. On apprenait alors que des centaines de journalistes, politiciens, activistes pour les droits de la personne et avocats avaient été espionnées par ce logiciel.
Un Montréalais parmi les victimes
Contagion de la terreur expose ces histoires de censure, de menace, d’intimidation et de violence. Huit vidéos réparties dans une salle sombre donnent la parole à quelques victimes de cybersurveillance. Leurs troublants témoignages ainsi que d’impressionnantes visualisations de données illustrent comment la violence numérique bascule trop souvent en violence physique et psychologique.
Le résultat expose un système insidieux aux lourdes conséquences. «Notre but est de créer des liens entre le monde virtuel et le monde réel, de visualiser les connexions entre toutes les données recueillies. D’où le titre de l’exposition», a expliqué mardi le directeur de Forensic Architecture, Eyal Weizman, lors d’une présentation à la presse.
Le lanceur d’alerte Edward Snowden, qui vit toujours en exil en Russie, assure la narration de ces vidéos réalisées par la documentariste oscarisée Laura Poitras (Citizenfour, Risk), tandis que le pionnier de la musique électronique Brian Eno a conçu leur trame sonore.
Une des victimes de Pegasus citées dans l’exposition est Omar Abdulaziz, activiste saoudien qui vit en exil à Montréal depuis 2014 et ami du journaliste Jamal Khashoggi, sauvagement abattu en 2018.
Les conversations entre les deux hommes ont été interceptées peu avant l’assassinat de Khashoggi. Le Montréalais témoigne à ce sujet dans le documentaire The Dissident.
Le cas d’Omar Abdulaziz démontre que ces choses se passent près de nous.
Laura Poitras, cinéaste et journaliste
Des frontières poreuses entre l’art et l’activisme
Selon le directeur général du MAC et commissaire John Zeppetelli, cette exposition hybride s’inscrit dans une nouvelle tendance observée dans le monde de l’art. «Il arrive que des vidéos de Forensic Architecture jugées comme des œuvres artistiques soient présentées comme éléments de preuve en justice. Cela illustre que l’art contemporain est de plus en plus connecté aux enjeux de société.»
L’art est une façon d’exprimer une résistance, soutient pour sa part Eyal Weizman. «Il y a des artistes, des scientifiques et des avocats dans notre équipe. Les artistes ne sont pas là pour rendre notre travail beau, mais pour lui donner un sens.»
Laura Poitras souligne que ce projet d’exposition est «très personnel» pour elle et ses collègues. Elle-même a fait l’objet de cybersurveillance après la sortie de son documentaire My Country, My Country, en 2006. Elle a alors été injustement placée sur une liste de terroristes potentiels par le gouvernement américain. «Je dis toujours fièrement dans ma bio que je fais partie de cette catégorie», dit-elle, ironique.
En attendant le nouveau MAC
Contagion de la terreur inaugure le nouvel espace temporaire du MAC. Son site principal sur la Place des Arts est présentement en travaux de modernisation. Le nouveau musée sera prêt à la fin de 2024 ou au début de 2025, nous a-t-on confirmé mardi.
D’ici là, deux expositions majeures seront présentées par année au site de la Place Ville Marie. Des installations temporaires ponctueront la programmation de cet espace situé au rez-de-chaussée de l’édifice, accessible depuis la rue Mansfield.
L’exposition Contagion de la terreur est présentée au site temporaire du Musée d’art contemporain du 1er décembre au 18 avril.