«Brain Freeze»: une crise sanitaire et du sang vert
On dit souvent que la réalité dépasse la fiction. C’est carrément ce qui est arrivé à l’équipe du film Brain Freeze, dans lequel des résidents sont mis en quarantaine afin de lutter contre une crise sanitaire sans précédent impliquant des zombies… au sang vert.
«J’ai filmé Roy Dupuis qui volait du papier de toilette AVANT la pandémie!» lance le réalisateur Julien Knafo, encore étonné des nombreux parallèles à faire entre la crise sanitaire bien réelle que nous traversons et celle qu’il a mise en scène dans ce film qu’il mijote pourtant depuis des années.
Brain Freeze est à la fois une comédie d’horreur et une fable environnementale. Avides d’offrir un gazon vert à l’année sur leur terrain de golf de l’Île-aux-Paons (un clin d’œil à L’Île-des-Sœurs), de riches gens d’affaires utilisent un fertilisant toxique. Lorsque des habitants sont contaminés, l’île est mise en quarantaine.
Deux survivants tentent tant bien que mal de s’en sortir: Dan (Roy Dupuis), un survivaliste qui fait tout pour sauver Patricia (Marianne Fortier), sa fille contaminée, et André (Iani Bédard), un adolescent débrouillard sauvé par son penchant pour les boissons gazeuses, qui doit désormais prendre soin de sa petite sœur.
La pandémie a rattrapé l’équipe au point d’interrompre le tournage de Brain Freeze en mars 2020. Quelques scènes de ce film de genre hivernal ont dû être filmées en plein mois de juillet.
«Le film est bien plus en phase avec son temps que ce que j’aurais pu imaginer», raconte Julien Knafo, qui assure avoir seulement ajouté une référence directe à la COVID-19 en postproduction, soit la phrase «Ça va bien aller».
«La crise sanitaire nous a curieusement profité, mais je n’en suis pas content, précise-t-il. Je m’en serais passé de cette pandémie!»
Le cinéaste, dont c’est le premier long métrage de fiction, avait plutôt en tête les idées véhiculées par l’ancien président américain Donald Trump en écrivant son scénario.
«Je n’allais nulle part ailleurs que dans la peur de l’autre, le phénomène de l’arroseur arrosé, détaille-t-il. Celui qui a peur de l’autre finit par être emmuré. Celui qui a peur de l’autre finit par être celui qui fait peur. C’était ça l’idée.»
Rire et réfléchir
Bien que l’acteur Roy Dupuis ait préféré les premières versions du scénario, qui étaient selon lui «plus grinçantes», Julien Knafo tenait d’abord à divertir les cinéphiles en réalisant une comédie d’horreur.
«Oui, je m’intéresse à parler à travers ça d’enjeux politiques et engagés. Mais je veux que ce soit divertissant en premier», dit-il.
Mission accomplie en ce sens, car plusieurs répliques font éclater de rire, comme lorsque les gens d’affaires, voyant leurs employés transformés en zombies, disent: «Coudonc, ils veulent-tu se syndiquer?» Ou quand André lance à sa mère, qui se fait infecter malgré son obsession pour les saines habitudes de vie: «Maman, t’as fait une overdose de kale?»
Plusieurs acteurs offrent aussi de courtes, mais savoureuses performances. C’est le cas de Simon-Olivier Fecteau en animateur de radio-poubelle, d’Anne-Élisabeth Bossé en mère hyperactive, de Stéphane Crête en vorace propriétaire du golf et de Mahée Paiement en riche femme-trophée.
Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils n’aiment pas les films de zombies d’habitude, mais qu’ils ont aimé celui-ci parce que c’est d’abord et avant tout un film de personnages.
Julien Knafo, réalisateur de Brain Freeze
Si la portée sociale du film s’est développée «par la bande», aux dires du réalisateur, elle a séduit ses principaux acteurs. Car les méchants dans Brain Freeze ne sont pas les zombies, qui sont ici d’innocentes victimes. Ce sont plutôt les propriétaires qui, motivés par un capitalisme sans limites, défient les lois de la nature.
Pour Roy Dupuis, il s’agit d’un rôle en phase avec ses convictions écologiques bien connues, deux ans après Les fleurs oubliées d’André Forcier. «C’est un divertissement, mais je pense que ça peut déranger et faire réfléchir en même temps», dit celui pour qui Brain Freeze est le 50e film en carrière.
Sans qu’il choisisse ses projets uniquement pour leur portée sociale, le célèbre comédien voit toutefois dans celle-ci une plus-value. «Si un film est en accord avec mes valeurs, ça peut faire en sorte que ça me plaise un peu plus. Tant qu’à raconter une histoire!» dit-il, précisant qu’il n’accepte désormais que les propositions qui lui donnent «le goût de jouer».
Sa covedette, Iani Bédard, est pour sa part une révélation, puisqu’il s’agit de son premier rôle d’envergure au cinéma. Une expérience «enrichissante» et «le fun» pour l’adolescent, qui se réjouit en rigolant de ne pas avoir mué pendant la pause forcée de quatre mois du tournage.
Un genre en croissance
Aucun des acteurs de Brain Freeze ne se décrit comme un «fan fini» des films de zombies, mais tous se réjouissent de voir le cinéma de genre gagner en popularité au Québec.
Selon Julien Knafo, qui fait un clin d’œil au film Les affamés de Robin Aubert dans Brain Freeze, ce genre «va exploser bientôt».
«J’ai côtoyé beaucoup de gens qui font des choses extraordinaires avec les moyens du bord, je ne peux qu’imaginer ce qu’ils vont faire quand ils auront des sous. Ça regarde très, très bien pour le film de genre», dit celui qui œuvre depuis longtemps dans le milieu du cinéma et qui a notamment composé les trames sonores des films Truffe et Le marais.
Marianne Fortier a pour sa part été «enchantée» de se glisser dans la peau d’une zombie. «Sur le tournage, il fallait que j’enlève tout ce que j’avais d’humain en moi pour me transformer en créature, c’était vraiment spécial, j’ai adoré! C’était hors de ma zone de confort et c’est ce que je cherche en ce moment», dit la comédienne qu’on a pu voir dans L’Académie et La faille.
Pour Roy Dupuis, peu importe le genre, tant qu’on porte à l’écran de bonnes histoires. «Tant mieux s’il y a une diversité de styles, de formes et de manières de raconter», ajoute-t-il.
Pourquoi le cinéma d’horreur est-il un terrain de jeu fertile pour véhiculer des critiques sociales comme le fait Brain Freeze? «C’est très intéressant, je ne pense pas avoir la réponse», répond Julien Knafo.
Une chose est sûre, selon lui: la figure du zombie est riche. «Le zombie est prisé parce qu’il représente la peur de l’apocalypse. Dans sa nature, c’est un mort-vivant. Il n’a plus de cerveau, il est dépossédé d’âme… Le zombie est porteur de beaucoup de choses.»
Brain Freeze
En salle dès aujourd’hui