Aux sources de l’inspiration de Riopelle
L’œuvre monumentale de Jean Paul Riopelle, un des peintres québécois les plus célébrés et prolifiques, est connue partout dans le monde. Avec l’exposition Riopelle: à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) lève le voile sur deux grandes sources d’inspiration qui ont marqué la création du signataire du Refus global dans les années 1950 et 1970.
«On connait bien le rapport de Riopelle à la nature, on connait moins son rapport à la culture», résume d’entrée de jeu la commissaire, historienne de l’art et muséologue Andréanne Roy.
Métro a pu visiter l’exposition – offerte en version virtuelle d’ici la réouverture des musées – en sa présence ainsi qu’en compagnie de la commissaire Yseult Riopelle, également auteure, éditrice et fille du peintre.
Complété par le conservateur de l’art québécois et canadien du MBAM Jacques Des Rochers, le trio de commissaires a effectué un travail de recherche remarquable et colossal pour assembler cette exposition riche, fascinante et hyper documentée.
Les 160 œuvres et plus de 150 artéfacts et documents d’archives qui y sont présentés retracent les rencontres, les voyages et les œuvres qui ont influencé et nourri l’intérêt de Riopelle pour les communautés autochtones et les territoires nordiques.
Des œuvres en dialogue
Le parcours débute dès la montée des marches du pavillon Michal et Renata Hornstein du MBAM, d’où on aperçoit l’immense tableau Point de rencontre, présenté pour la première fois au Québec. L’œuvre est une commande de l’aéroport Pearson de Toronto. Son nom est la signification du mot «Toronto» en langue huronne.
Juste à côté, nos yeux se tournent vers une grande installation en tipi de l’artiste crie Duane Linklater, de la communauté de Nipissing, en Ontario. Une façon pour le musée de créer un pont entre l’art de Riopelle et celui des peuples autochtones, qui l’ont énormément influencé.
Cette entrée en matière donne le ton. Bien que l’exposition porte essentiellement sur la création de Riopelle, elle offre aussi une belle vitrine aux arts des premiers peuples qui ont nourri le peintre. Un dialogue nécessaire afin de contextualiser son œuvre.
Les commissaires le reconnaissent : l’inspiration que Riopelle a puisée dans les arts autochtones il y a une cinquantaine d’années pourrait être interprétée comme de l’appropriation culturelle en 2020, bien que les intentions du peintre étaient tout à fait louables.
Yseult Riopelle rappelle que son père était «admiratif» et avait un «intérêt profond» envers ces peuples. On ressent cette estime tout au long du parcours d’exposition.
Mais comme le peintre s’abreuvait de l’imaginaire de ces communautés et nommait souvent ses toiles à partir de toponymes autochtones, le MBAM a jugé essentiel – avec raison – de juxtaposer le travail de Riopelle à ses sources d’inspiration.
Par ailleurs, divers artistes et chercheurs autochtones, dont Guy Sioui Durand, Leena Evic et Duane Linklater, ont contribué à l’imposant ouvrage que publie le musée en marge de l’exposition.
Riopelle, un grand curieux
Jean Paul Riopelle est d’abord entré en contact avec l’art inuit et celui du peuple Gitkisan, du nord-ouest du Canada, lorsqu’il habitait en France. Des amis surréalistes, dont André Breton, en étaient collectionneurs.
Yseult Riopelle raconte avoir grandi entourée d’œuvres que leur prêtaient les proches de son père. «Je me souviens très bien de ceux-là», dit-elle en pointant des masques autochtones.
Grand curieux, Jean Paul Riopelle détenait aussi une impressionnante quantité d’ouvrages d’histoire de l’art et d’anthropologie, dont quelques-uns sont exposés dans le parcours du MBAM, notamment des livres de Grey Owl et de Jean Malaurie.
L’influence des arts autochtones dans la création de Riopelle est parfois évidente, parfois voilée. Par exemple, dans le tableau semi-figuratif Les masques, on devine que les formes colorées sur fond blanc représentent des masques traditionnels. Par contre, dans ses esquisses à la pointe d’argent, présentées en fin de parcours d’exposition, le résultat est fidèle aux photos originales.
La pointe de l’iceberg
En plus de l’influence des arts autochtones, Riopelle a été grandement inspiré par ses voyages de chasse et pêche dans le Nord-du-Québec, dont plusieurs ont été effectués dans les années 1970 en compagnie Dr Champlain Charest, qui possédait un hydravion.
Les grands tableaux abstraits exposés au MBAM évoquent les paysages nordiques vus du ciel, avec leurs tons de vert forêt, de gris et leurs reliefs créés par des empâtements. Dans la quatrième salle de l’exposition, on monte encore plus au nord : les couleurs se limitent désormais au noir et blanc.
C’est dans cette pièce qu’on trouve l’impressionnante sculpture La Fontaine, œuvre inédite qui a bénéficié d’une importante restauration. Cette immense installation de plâtre assemblée par des cordages représente la somme des influences de Riopelle, souligne la commissaire Andréanne Roy.
«Le plâtre polychrome rappelle la palette de la série des Icebergs, les cordages évoquent les motifs de la série des Jeux de ficelles – inspirée du jeu inuit d’ajaraaq – et les hiboux en plâtre sont un clin d’œil sa série des Hiboux», explique-t-elle.
Fait intéressant, la sculpture est disposée comme elle l’était à l’origine dans l’atelier français de l’artiste. Une photo d’époque permet de constater que le MBAM a placé au mur derrière l’œuvre le même assemblage de tableaux.
Ce parcours en cinq étapes n’est que la pointe de l’iceberg des influences du grand artiste. «Ça ouvre la porte pour approfondir beaucoup plus loin», soutient Yseult Riopelle, qui répertorie depuis une trentaine d’années les milliers d’œuvres de son père dans le Catalogue raisonné de Jean Paul Riopelle.
Rien ne vaut un contact immédiat avec une œuvre pour en apprécier pleinement les détails, la composition et la texture. D’ici à ce que la Santé publique permette la réouverture des musées, le MBAM offre gratuitement la visite virtuelle de Riopelle: à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones.