Antoine Corriveau présente Pissenlit, un quatrième album au titre aussi intrigant qu’il nous est familier. Entre road trip, enracinement et temps qui passe, le musicien partage harmonieusement ses questionnements existentiels, parfois enveloppés de piquants.
Pissenlit. Le mot évoque tant de choses, de la tendresse de l’enfance à un indésirable de la nature. Pour l’artiste québécois, la signification va au-delà. «Je réfléchissais à ma jeunesse et le pissenlit s’est imposé à moi comme la première fleur qu’on cueille, puis qu’on trouve un peu moche quand on vieillit», explique un Antoine Corriveau pensif.
«J’aime l’instantané de ce mot-là, qui évoque quelque chose d’un peu cheap et touchant à la fois», dit-il. Mais même si le pissenlit ravive de doux souvenirs lointains, ce n’était certainement pas suffisant pour donner son nom à un disque.
Au cours de réflexions et discussions, Antoine Corriveau a fait le rapprochement entre le pissenlit, présent partout, et la notion de territoire. Celui de l’espace au sens large d’abord, et comment il a été aménagé au fil de l’histoire, partagé avec les Autochtones, aussi. «Aujourd’hui, on traite les Premières nations un peu comme on considère le pissenlit, soit comme une mauvaise herbe. Et c’est d’une violence inouïe,» regrette-t-il.
«J’ai beaucoup écouté The Voidz pendant que je faisais Pissenlit. J’aime leur liberté, leurs changements de direction.»- Antoine Corriveau
Le musicien fait ensuite un pont avec les immigrants, qu’on «ghettoïse» sans nécessairement s’en rendre compte. Tous ces sujets brutaux, il les dénonce, entre autres, dans le très politique et électrisant morceau Ils Parlent.
«Le policier qui passe, les yeux baissés qui cassent/En route vers le parc pour y chasser le Black/Et pendant que j’attends ils répètent aux enfants/Que l’Indien est le méchant et la victime est le Blanc», peut-on entendre sans équivoque entre deux crissements de guitares, quelque part entre Jean Loup et The Voidz (NDLR, le side project de Julian Casablancas des Strokes).
Du mouvement Black Lives Matter à la dramatique affaire Joyce Echaquan, la chanson s’insère parfaitement dans l’espace-temps de 2020.
Sur la route
Un espace-temps, mis en musique et en mots par Antoine Corriveau, que l’on retrouve justement en mouvement dans Pissenlit. La composition, l’écriture et l’enregistrement de l’album ont été concentrés sur six ou sept mois, qui correspondent à la période où il venait de s’acheter une voiture – une Corolla, sûrement – et se promenait beaucoup.
«Ça m’a permis de réfléchir autour du territoire. J’ai longtemps cherché à acheter un logement dans le bas du fleuve, donc j’y allais souvent. Dans le disque, il y a ainsi cette idée du mouvement, mais aussi son antithèse, celle la maison, qui revient», poursuit-il. «J’ai eu le temps de penser à la façon dont je me positionne dans ce territoire, autant géographiquement que socialement.»
De façon plus intime, Antoine Corriveau, qui est âgé de 35 ans, a également pu appréhender l’approche de la quarantaine, «lorsqu’on commence à vieillir, à réaliser la vitesse à laquelle le temps passe.» Une belle remise en question, en soi.
Celui qui ne «voyage pas tant que ça» – au Canada et en Europe, pour la musique essentiellement – apprécie pourtant l’état que procure le dépaysement. «C’est très riche pour moi de me retrouver dans un endroit que je ne connais pas et dans lequel je n’ai pas de repères. Je ne suis pas un voyageur de guide touristique, alors je vais me promener dans les rues et j’espère toujours m’y perdre» confie-t-il.
Quel meilleur exemple que celui du clip de Quelqu’un pour illustrer ses propos. La vidéo a été réalisée à partir des images tournées il y a quelques années à Santiago de Cuba. On s’y balade en voiture à travers les rues de la ville, croisant passants et vieilles bâtisses de style colonial qui font le charme de l’île caribéenne.
«On était à l’aller dans l’avion avec un ami, et nos voisins de sièges, qui partaient dans un tout-inclus, ne comprenaient pas pourquoi nous on ne savait pas où on allait dormir la première nuit.» Pour Antoine Corriveau, être dépaysé est une manière de «se mettre la tête en mouvement» pour activer l’écriture, «inévitablement».
Écrire la musique
Après avoir pratiqué la bande dessinée dans une autre vie, peut-être, Antoine Corriveau est tombé dans la musique. Et ce fut comme une révélation pour lui. «Je ne me suis jamais considéré comme un grand dessinateur, mais ultimement, j’ai compris que l’affaire qui me passionnait dans la création était l’écriture. Peu importe l’art, j’ai compris que j’allais toujours écrire.»
Et pendant l’écriture de Pissenlit, l’auteur-compositeur-interprète savait très bien où il s’en allait, quelle(s) musique(s) il voulait. «On fait un album. Pourquoi on ne ferait pas n’importe quoi?», a-t-il lancé à ses collaborateurs. Son unique souhait à l’époque: trouver une manière de partir tous azimuts, tout en demeurant cohérent, avec une ligne directrice.
«OK! T’avais une vision tout le long. C’est fou d’entendre le résultat», lui a soufflé le bassiste qui l’accompagne Marc-André Landry, une fois le disque fini.
S’il s’agit d’un projet solo, Pissenlit n’en est pas moins un album collaboratif. La douzaine de musiciens allaient et venaient dans son lumineux studio de l’avenue Van Horne dans le Mile End. «J’avais envie de leurs idées et de leur sensibilité, mais aussi de spontanéité. Je ne leur laissais pas de temps pour se préparer car je voulais enregistrer de la matière, et ensuite m’amuser avec», avoue Antoine Corriveau, s’estimant chanceux que ces gens-là lui fassent confiance.
En avril 2019, au moment du début de l’enregistrement, cet espace personnel était tout nouveau, et très stimulant pour la bande. «On ne faisait pas attention à l’heure, combien ça nous coûtait par jour. J’avais le luxe de pouvoir prendre mon temps et d’essayer des affaires. Je n’étais pas freiné par la technique», se réjouit-il alors qu’il pointe du doigts le piano, les guitares, les enceintes… c’est vrai que le lieu a de quoi faire rêver n’importe quel mélomane.
Quoi qu’il en soit, le résultat est une belle réussite, où la voix rauque d’Antoine Corriveau nous berce et nous transperce de ses paroles tantôt graves, tantôt corrosives, qu’on sent toujours très honnêtes. Côté mélodies, les notes de pianos s’entremêlent à merveille avec des riffs ultras saturés et une batterie énergique.
«Peut-être je prends la fuite/Et peut-être que j’évite/De laisser tes yeux voir/Tous ces pans de moi.» Voilà des Maladresses qui n’ont pas besoin d’en dire plus pour nous convaincre.
Le spectacle de lancement virtuel de Pissenlit d’Antoine Corriveau aura lieu le mardi 13 octobre à 20h