Daniel Bélanger: Comme un enfant au terrain de jeu
En créant son premier album instrumental, Daniel Bélanger dit s’être senti comme dans un terrain de jeu. Il s’est éclaté en jouant de tous les instruments dans son studio, en donnant des titres plus originaux les uns que les autres à ses pièces et en s’inspirant de ses souvenirs de jeunesse. «J’ai eu TELLEMENT de plaisir à le faire», assure-t-il. Ça s’entend tout au long des 13 pièces de Travelling.
«C’est très ludique avec les moyens d’un adulte. C’est formidable!» s’emballe le célèbre auteur-compositeur-interprète en parlant de son neuvième album qui s’écoute comme une trame sonore de film, sans film.
Ses pièces instrumentales sont riches, accrocheuses et rêveuses. Au fil de l’album, on s’imagine par moments dans un vieux film d’espionnage, dans un western spaghetti ou encore dans un film noir.
Le titre Travelling fait d’ailleurs référence au mouvement de caméra du même nom. En 2005, Daniel Bélanger avait composé la trame sonore du film L’Audition, de Luc Picard, qui avait été récompensée d’un prix Jutra.
«Je me suis dit : “C’est chouette, je vais probablement avoir d’autres invitations à faire de la musique de film”. Et puis, plus rien. Plus-e-rien!» raconte-t-il généreusement en entrevue.
L’artiste a alors eu envie de créer sa propre trame sonore, il y a de cela environ cinq ans. Pour se faire, il s’est inspiré des thèmes des films et de séries télé qui ont bercé sa jeunesse. Il cite en exemple les pièces d’ouverture des émissions Les Champions, Le Saint et Bip Bip et Coyote (Road Runner en VO).
«Je voyais tant d’ardeur et d’implication à faire un aussi grand thème de série télévisé pour enfant et je me disais : mon Dieu, c’est capoté!» se souvient-il en riant en parlant du populaire dessin animé des Looney Tunes.
On perçoit ces références dans son album, qui explore notamment du côté du classique, du jazz, du rock et de l’électro. Une panoplie de styles musicaux qui font allusion à différents genres cinématographiques.
L’artiste cite également Ennio Morricone parmi ses influences. «En ce moment, je découvre des compositeurs que je ne savais pas que j’aimais, ajoute-t-il. Je viens de découvrir Bernard Herrmann qui a fait la musique de beaucoup de films de Hitchcock. On lui doit le fameux coup de couteau dans la douche avec les violons dans Psycho. Il a aussi fait la trame sonore de Taxi Driver. Il y a des vapeurs de tous ces compositeurs dans mon travail.»
En plus de puiser dans des œuvres marquantes pour créer ses propres thèmes de séries et films imaginaires, Daniel Bélanger a retenu de sa jeunesse une règle d’or qu’il applique encore et qui fait de lui un «artiste qui ne réapparaît jamais tout à fait là où on l’attend», comme le dit si bien sa bio : ne jamais revenir sur ses pas.
«À 16 ou 17 ans, je lisais Blaise Cendrars, qui est un grand voyageur, raconte-t-il. Son truc était de ne jamais retourner au même endroit, même s’il y avait été heureux. Il continuait toujours d’explorer. Je ne sais pas, ça m’est resté dans la tête», dit-il, songeur.
Ce qu’il n’applique pas toujours à la lettre, cela dit. «Je ne suis pas plus smatte qu’un autre. [L’album] Paloma était une forme de retour sur un travail que les gens connaissaient un peu plus de moi. Mais sinon, j’aime voyager, encore plus en ce moment où, physiquement, on ne peut pas le faire.»
Avec et sans contraintes
Daniel Bélanger s’est libéré de certaines contraintes pour s’en donner de nouvelles lors de la conception de Travelling. «Dans une chanson, il y a trois contraintes : la musique, les paroles et la réalisation. J’ai eu l’impression de prendre congé d’une», explique-t-il, se disant «persuadé» que composer de la musique est plus «naturel» pour lui que de «mettre des mots» sur des mélodies.
Ce qui ne l’a pas empêché de s’amuser avec les mots pour donner des titres pour le moins singuliers à ses compositions, comme Le triomphe d’une perruche, Un grillon au parc national, Aux champignons par temps clair, La flûte atomique et – notre préféré – Rupture élastique en milieu propice.
L’artiste souligne qu’il a toujours porté grand soin aux titres de ses chansons. Il cite en exemple Une Femme, Un Train, Un Homme et Une Gare de son incontournable album Rêver mieux.
«Puisqu’il s’agit ici d’un album instrumental, j’y suis allé avec du sauté pour les titres, commente-t-il. J’ai voulu rentrer dans l’imaginaire.» Le tout afin d’«espérer faire un monde curieux, globalement, sur Travelling.»
Lors de l’enregistrement, Daniel Bélanger a échangé la contrainte des paroles par une autre, celle de jouer de tous les instruments dans son studio. Là aussi, il s’est éclaté. «J’ai tout mis à contribution : des flûtes à coulisse en plastique, des gazous, des archets, des jouets…», énumère-t-il.
Plus précisément, le musicien joue de la guitare, du banjo, du piano, de la batterie, des percussions, de l’orgue, du sifflet, du saxophone soprano, de la flûte, de l’omnichord ainsi que de l’électronie.
«C’était stimulant, parce que je faisais des expériences. Comme je travaille dans mon propre studio, je peux passer trois heures sur un gazou et ça ne coûte rien à personne! C’est le fruit de la liberté que j’ai depuis quelques années.» -Daniel Bélanger
«C’est fantastique, se réjouit-il. J’avais des instruments de musique qui niaisaient. Je savais en jouer, mais je n’en mettais à peu près jamais sur mes albums.»
Quelques amis musiciens, dont le contrebassiste Martin Roy et le trompettiste Jacques Kuba Séguin ont ajouté leur touche à l’ensemble. Daniel Bélanger a également puisé dans des sessions d’enregistrement de cordes de son album Chic de ville pour orner les pièces d’ouverture et de fermeture de l’album.
Sur scène, un jour
En écoutant Travelling, on ne peut que souhaiter avoir l’occasion d’assister un jour à une déclinaison scénique et orchestrale de ses pièces instrumentales. Daniel Bélanger caresse lui aussi ce rêve. «J’aimerais bien ça le faire à grand déploiement, avec les musiciens que ça nécessite. Je sens que ça va grandir en moi cette idée-là», dit celui qui prenait une pause de la scène avant que la COVID-19 ne bouleverse nos vies.
«Je ne pensais pas prendre une pause aussi longue que la pandémie!» lance-t-il en riant, reconnaissant qu’il est «chanceux d’avoir des réserves pour passer au travers».
«Tous ceux qui comptaient beaucoup sur la scène pour se développer et gagner leur vie, c’est d’une tristesse sans nom», ajoute-t-il.
D’ici à ce que la vie culturelle reprenne son cours, Daniel Bélanger planche sur de nouvelles chansons. Et lui qui espérait à nouveau signer la trame sonore d’un film a récemment vu son souhait être exaucé, à nouveau par Luc Picard. Il vient d’ailleurs tout juste de finaliser la musique de son prochain long métrage, qui porte sur le tueur à gages Gérald Gallant.
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