«Nadia, Butterfly»: nager vers la liberté
Avec son deuxième long métrage, Pascal Plante a voulu immerger le spectateur au cœur de la natation de haut niveau. Et le pari est réussi, puisque Nadia, Butterfly nous fait vibrer au rythme des longueurs, mais aussi des doutes, de son héroïne.
«29.7, 29.9. 30.4, 30.7. C’est bon guys, come on! On y retourne. Eh hop!» Dès les premiers instants de Nadia, Butterfly, Pierre-Yves Cardinal, qui tient le rôle de l’entraîneur, donne le top départ de ce qui est un très beau film. Bien loin des traditionnelles histoires sur l’univers du sport, ici, tout est question de justesse et de sensibilité.
Pour Pascal Plante, il était impensable de tomber dans certains clichés manichéens des gagnants et des perdants. «Ce rapport-là est très nuancé dans les sports individuels, qui impliquent aussi des sacrifices et une vie dévouée à la pratique», explique l’ancien nageur d’élite qui a délaissé les bassins pour se consacrer au cinéma à l’âge de 19 ans.
Dans Nadia, Butterfly, il est vrai qu’une victoire ne signifie pas forcément de montée sur la première marche du podium…
S’aventurer dans l’univers de la natation olympique, le réalisateur en a eu l’idée en constatant que le thème avait été peu abordé dans le septième art jusqu’à présent. «Je voulais montrer une féminité badass avec des filles qui accomplissent des prouesses sportives», dit-il.
Pour ne pas avoir à tricher dans les scènes de sport, Pascal Plante a fait appel aux athlètes Katerine Savard et Ariane Mainville, qui interprètent respectivement Nadia et Marie-Pierre.
Étranger des bassins olympiques, Pierre-Yves Cardinal a, lui, travaillé fort pour être à la hauteur. «Tout le long du film, Pascal et les filles me donnaient des conseils sur comment être coach. Comment tenir les chronos par exemple. On me disait: « Ça n’a jamais été bien fait dans le cinéma. Il y a tout le temps un coach de natation qui a un chrono dans le cou, mais il n’y a pas un coach qui fait ça dans la vraie vie. Que je te vois avec un chrono dans le cou! »» s’amuse le comédien en se rappelant les souvenirs de tournage.
La beauté du sacrifice
«Mon intuition esthétique était avant tout de mettre en lumière les performances, ce qui n’est pas souvent le cas dans les films de sport», avoue Pascal Plante, avant de plaisanter: «le papillon c’est beau, mais on ne peut pas entraîner un acteur, il aurait l’air de se noyer.»
Et quel résultat! Les scènes aquatiques sont à couper le souffle. Fiction ou compétition réelle? Nadia n’est pas la seule à nager en eaux troubles, la salle obscure aussi.
«Nadia s’est toujours écartée de sa vie personnelle. Elle veut maintenant tout vivre de façon boulimique. L’idée qu’elle puisse déraper dans un party n’est donc pas anodine.» -Pascal Plante, réalisateur, à propos du personnage principal de son film
À l’aube de sa retraite sportive, Nadia traverse en effet une période mal-être, une profonde mélancolie aussi, sûrement parce qu’à 23 ans seulement, la championne a dédié sa vie à la natation. Depuis toujours, elle suit un régime alimentaire strict, évite l’alcool, n’a jamais eu le temps pour un amoureux et de ses voyages, ne retient que les chambres d’hôtel moroses et le bleu des piscines de Moscou ou de Budapest.
«Nadia est prisonnière de son talent et des attentes des autres envers elle. Elle a fait tout ce qu’il fallait qu’elle fasse pour se rendre là où elle voulait, quitte à se sacrifier», explique Pascal Plante.
Mais voilà, la nageuse professionnelle réalise à l’issue de son ultime course que tout ce qu’elle a connu jusqu’à présent s’apprête à s’évaporer. «La natation semble n’exister dans la tête du monde que pendant les Jeux. Le blues post compétition est réel, la question de la suite transcende tous les athlètes», précise-t-il.
Des nageuses professionnelles pour Nadia, Butterfly
Avec ses œillères de sportive de haut niveau, Nadia n’avait pas non plus réalisé que son amitié avec Marie-Pierre, sa coéquipière et alliée, serait à ce point mise à l’épreuve. Encore une fois, le film surprend dans l’authenticité de la relation entre les deux jeunes femmes. Rien d’étonnant à cela quand on sait que Katerine Savard et Ariane Mainville sont aussi proches à l’écran que dans la réalité.
Toutes les deux ont accepté ce défi d’abord parce que Nadia, Butterfly est un bel hommage à leur sport, mais aussi pour l’apprentissage. Alors qu’elles ne savaient pas exactement dans quoi elles s’embarquaient, les nageuses et amies de longue date ont su profiter de leur première expérience d’actrice pour renforcer leurs liens et découvrir Tokyo, où a été tourné une partie du film.
«Entre le moment où on a accepté et le moment où on a commencé à tourner, Pascal n’a pas voulu qu’on se prépare pour que le résultat soit pur. On répétait la journée même. C’était une atmosphère complètement différente qu’on a eu beaucoup de fun à découvrir ensemble», confie Ariane Mainville.
Pour Katerine Savard, par ailleurs stupéfiante dans la peau d’une Nadia au virage de sa vie, voir le film estampé du label Festival de Cannes 2020 était inimaginable il y a un an encore. «L’expérience du cinéma est toute nouvelle, jamais on n’aurait pensé être à Cannes un jour. Donc on ne se donne pas le droit d’être déçu de ne pas y être allé physiquement, même si on a un petit pincement au cœur quand on pense au mythique tapis rouge.»
«C’est nouveau de me voir sur grand écran. Lors de la première projection de Nadia, Butterfly, j’étais vraiment intimidée par moi-même.» -Katerine Savard, nageuse professionnelle
Le cinéaste québécois souligne la poussée et la visibilité d’une telle sélection pour son film. «Il y a beaucoup d’appelés, peu d’élus. Tout le monde connaît le prestige du Festival de Cannes. J’ai mis toute mon ambition dans le film, on pouvait simplement espérer que le film plaise», indique-t-il avec humilité.
Après le tumulte et l’excitation de la sortie de Nadia, Butterfly, Katerine Savard et Ariane Mainville vont continuer de mener leur quotidien – qui concilie vie professionnelle et entraînements assidus – tout en ne perdant pas de vue les Jeux olympiques de Tokyo, reportés à 2021 pour cause de pandémie. Peut-être pourraient-ils, eux aussi, devenir un moment marquant de leur vie.
En salle dès aujourd’hui