Culture

BACA: honorer les savoir-faire autochtones dans les arts visuels

Emma Hassencahl-Perley a conçu une robe traditionnelle à clochettes en y intégrant des morceaux de la Loi sur les Indiens, qu’on peut la voir à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) jusqu’au 30 juin.

Emma Hassencahl-Perley a conçu une robe traditionnelle à clochettes en y intégrant des morceaux de la Loi sur les Indiens. On peut la voir à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) jusqu’au 30 juin.

Le déconfinement donne un nouveau souffle aux musées et aux galeries d’art, et par ricochet, à la cinquième édition de la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA), consacrée aux arts visuels autochtones, qu’il aurait été fort dommage de manquer.

L’événement, nommé Kahwatsiretátie: Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie en langue kanien’ keha (mohawk) a d’abord été lancé par vidéoconférence le 23 avril. Depuis, les œuvres de la cinquantaine d’artistes qui y participent sont accessibles en ligne sur le site de la BACA.

Mais il n’y a rien comme voir de ses propres yeux les tableaux, sculptures, installations, vidéos, tissages et autres créations des artistes issus de plusieurs communautés autochtones canadiennes pour apprécier pleinement leur talent et leur imaginaire.

C’est pourquoi l’événement, qui devait prendre fin la semaine dernière, a été prolongé jusqu’au 30 août.

Depuis peu, trois galeries d’art montréalaises partenaires de la Biennale ont rouvert leurs portes. Il s’agit d’Art Mûr, Pierre François Ouellette Art contemporain et La guilde. La première, située dans La Petite-
Patrie, présente une importante sélection d’œuvres réparties sur trois étages.

À cause de la pandémie, des créations en transit sont restées bloquées pendant des semaines. Petit à petit, elles arrivent à destination, bonifiant l’offre des lieux de diffusion. «On a reçu des œuvres de Vancouver, notamment une grosse installation de tissages réalisés par des artistes de la nation Squamish sur la côte ouest. Il y a aussi beaucoup d’œuvres sonores et vidéos qui ont été ajoutées au troisième étage d’Art Mûr», s’enthousiasme la coordonnatrice de la BACA, Christine Dufour.

Emma Hassencahl-Perley a conçu une robe traditionnelle à clochettes en y intégrant des morceaux de la Loi sur les Indiens, qu’on peut la voir à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) jusqu’au 30 juin.

Une visite à l’établissement de la rue Saint-Hubert nous a permis de constater la diversité et la richesse des œuvres de cette cinquième édition de la Biennale, dont le thème rassembleur «Honorer nos affinités» a de multiples sens.

«Les œuvres mettent en scène, notamment, les relations intergénérationnelles, le rapprochement avec les ancêtres passés et futurs, les liens avec d’autres entités que les êtres humains, les personnes à la recherche d’un “foyer” dans des territoires que les pas de leurs ancêtres n’ont pas foulés, les amitiés, les liens entre mentor et mentoré, et autres interactions», détaille le commissaire invité et métis David Garneau dans un éditorial présentant cette édition qu’il a orchestrée assisté de rudi aker (Wolastoqiyik) et de Faye Mullen (Anishinaabe).

«Il ne s’agit pas strictement de relations humaines ou d’affinités humaines, détaille en entrevue Christine Dufour, qui n’est pas autochtone. C’est vraiment les affinités au sens large, comme quoi l’être humain fait partie d’un environnement, d’un système dans lequel il est un élément parmi tant d’autres.»

Résistance par la création

Les commissaires ont d’abord rassemblé des œuvres célébrant l’interdépendance de tout ce qui existe. Les artistes sélectionnés ont ensuite été invités à définir leur rapport à ce thème, ce qui permet de porter un nouveau regard sur leurs créations. «C’est très intéressant de lire les réponses des artistes, ça se recoupe beaucoup autour du respect de l’environnement, sur le territoire… Il y a vraiment des convergences dans les propos», remarque la coordonnatrice, qui est aussi muséologue.

Cette convergence saute aux yeux lorsqu’on découvre les œuvres de la Biennale. Bien que très différentes les unes des autres, elles ont toutes une portée sociale et politique très forte. Parmi les thèmes évoqués par les artistes: l’identité, la colonisation, l’histoire et la violence.

Ces messages sont véhiculés par des techniques qui honorent les pratiques ancestrales de leurs ancêtres, dont le tissage, le perlage et le tannage de peaux. Cette édition de la BACA se distingue particulièrement par cet audacieux assemblage de textures.

«Ce qui se dégage de ça, c’est que les Autochtones ont tendance – et c’est positif – à se réapproprier leurs savoirs pour faire les choses à leur façon, observe Christine Dufour. C’est une forme de résistance et une forme de réaction au colonialisme qui est très constructive, très créative.»

C’est notamment ce qu’a fait l’artiste d’origine crie, métis et saulteaux Jon Corbett, en concevant un programme informatique qui reproduit la pratique du perlage de façon numérique, avec lequel il a créé les portraits de membres de sa famille.

David Garneau a également invité une douzaine de créateurs à sélectionner eux-mêmes les œuvres de collègues avec qui ils ont des affinités, qu’ils soient artistes professionnels ou amateurs. Une  belle façon de donner une visibilité à des artisans méconnus.

«Ce n’est pas une pratique qui se fait normalement dans les expositions, souligne la coordonnatrice. Là, c’était un objectif assumé. On s’est dit: “On va voir où ça va nous amener, ce que ça va nous proposer”. Ça permet d’élargir notre offre. C’est intéressant!»

C’est ainsi qu’on peut apprécier les talents de perlage de Lucas Hale, qui a décoré une planche à roulettes, ainsi que la créativité d’Emma Hassencahl-Perley, qui a conçu une robe traditionnelle à clochettes en y intégrant des morceaux de la Loi sur les Indiens.

Les créations sont présentées sur un large éventail de supports: textiles, dessins, peintures, céramiques, sculptures, photographies, installations audio, vidéo… «C’est moins monumental que les autres Biennales. Il y a eu des éditions comportant énormément d’œuvres très imposantes. Dans ce cas-ci, on est dans quelque chose de plus délicat. Comme si les revendications étaient faites avec douceur», constate Christine Dufour, qui est en poste depuis l’automne dernier, mais qui est «abonnée» de la BACA depuis ses débuts. «J’allais à toutes les éditions même quand j’habitais à Sept-Îles», dit-elle.

Qu’est-ce qui la fascine dans les arts visuels des peuples autochtones? «Dans le milieu de l’art contemporain, on a des façons de faire et on s’en tient à ça. Quand des commissaires autochtones arrivent et veulent briser ce concept, ce n’est pas toujours évident, mais c’est super enrichissant. Et le résultat est au rendez-vous.»

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