Concerts annulés, visibilité perdue et revenus en chute libre: les temps sont durs pour tous les artisans de la musique, mais encore plus pour ceux qui amorcent leur carrière en ces temps de pandémie.
Qu’on les appelle artistes émergents, de la relève ou indépendants, la COVID-19 a frappé durement ceux qui ont tenté de percer sans l’appui de grandes maisons de disques.
Jusqu’au 12 mars dernier, tout allait rondement pour Ariane Roy, jeune auteure-compositrice-interprète de Québec.
Elle venait de dévoiler son premier EP Avalanche et occupait la première place du palmarès des Francouvertes, en plus d’avoir atteint la finale du Cabaret Festif!.
Puis tout s’est arrêté avec la décision du gouvernement d’interdire les rassemblements publics. Plus de lancements à Québec ni à Montréal, plus de concours et plus de visibilité.
«Au début, j’ai quand même eu peur, raconte la vingtenaire. Évidemment, ça fait partie de la vie, mais quel timing poche.»
«J’essaie de relativiser: je suis en santé, je vais bien, j’ai un toit, mais le futur en ce moment est hyper incertain. C’est dur pour tout le monde, mais quand on est seule, indépendante comme moi, l’insécurité est encore plus grande. Personne en ce moment ne sait ce qui est la meilleure chose à faire. Quand tu n’as pas d’équipe, c’est encore plus anxiogène.»
La pandémie a aussi bouleversé les plans de Renaud Paquette, qui gère la carrière de plusieurs jeunes artistes, dont le rappeur Vendou et les groupes De.Ville et Sex Machine Octopus.
Pour aider le moral de ses troupes, le gérant les a invités tour à tour en résidence créative dans un chalet de la Mauricie. Si sortir du «climat un peu lourd de Montréal» leur fait le plus grand bien, les inquiétudes demeurent nombreuses.
«Pour un artiste émergent, le timing fait foi de tout. Pour un artiste qui était sur une pente ascendante, qui devait jouer dans les festivals cet été et lancer un album à l’automne, tout ça vient de chuter. Et c’est très difficile à reconstruire seul, sans l’appui d’une équipe.»
Du point de vue économique, les choses ne tournent pas rond non plus, même si la Prestation canadienne d’urgence (PCU) offre une aide temporaire.
Les pertes approchent la dizaine de milliers de dollars pour un de ses protégés qui devait se produire sur plusieurs grandes scènes cet été,
«Les festivals représentent la plus grosse partie des revenus de spectacle des émergents, note Renaud Paquette. Si l’été culturel disparaît, c’est sûr que les plus gros impacts seront sur la relève. Des gens comme Fouki, Bernard Adamus ou Émile Bilodeau perdent aussi des revenus importants, mais ils peuvent profiter d’une stabilité due à leur statut. Plus tu es populaire, plus tes redevances sont élevées. Ces revenus-là rentrent toujours pour ces artistes. Et c’est plus facile pour eux de reprogrammer une tournée avec une équipe de 20 ans qui va travailler pour recréer le momentum auprès du public.»
Concours amputés
Les concours musicaux, qui apportent visibilité, encadrement et prix (en bourses, heures de studio ou occasions de spectacle) aux artistes en début de parcours, sont une autre victime collatérale de la crise sanitaire.
À l’image des polyvalentes de la province, ces écoles de la chanson ont dû interrompre leurs activités.
Ainsi, pour la première fois en 52 éditions, le vénérable Festival international de la chanson de Granby (FICG) ne couronnera pas de gagnant cette année.
Les 24 artistes qui avaient été sélectionnés avant la pandémie auront tout de même la chance de se produire au Palace de Granby, mais dans une formule virtuelle sans public.
«On voulait quand même leur offrir une vitrine, explique Jean-François Lippé, directeur général du FICG. C’est notre mission de promouvoir les artistes francophones et de faire découvrir la relève en chanson.»
Comme en temps normal, le festival offrira aux musiciens ses ateliers de formation sur les facettes du métier, mais en vidéoconférence seulement
«Il faut garder la flamme allumée dans le milieu culturel, c’est ce qu’on a trouvé comme alternative cette année», dit Jean-François Lippé.
Du côté des Francouvertes, on compte reprendre les rondes préliminaires au Lion d’or à la fin de septembre. L’organisation croise les doigts pour ne pas perdre de joueurs en cours de route.
«Dans notre cas, tous les partenaires qui remettent des prix œuvrent dans le milieu culturel et sont eux-mêmes impactés par cette crise. C’est certain que tout ce beau monde-là a subi des pertes et il va falloir qu’ils se remettent à flot. Vont-ils couper sur le côté musique émergente? On espère que non», admet Sylvie Courtemanche, directrice générale des Francouvertes, qui se dit tout de même très optimiste pour la suite des choses.
Véritable retour à la normale?
La simple réouverture des salles de spectacle à l’automne ne suffirait pas à aider la cause des artistes de la relève, selon Ariane Roy.
«La priorité ira aux artistes établis qui ont annulé ou reporté des dates, estime la jeune femme. La chose plus difficile pour les artistes de la relève sera de retrouver une place dans la programmation. On risque de se retrouver avec plein de shows en même temps, ce ne sera pas possible de recaser tout le monde.»
«Il va rester une ouverture pour la relève, mais chaque diffuseur devra rendre des comptes et se renflouer un peu, tempère Sylvie Courtemanche. C’est une question de survie pour garder la salle ouverte.»
En attendant le déconfinement culturel, la PCU, sur laquelle plusieurs artistes comptent pour vivre, viendra bientôt à échéance.
Dans son plan d’aide à la culture, le gouvernement du Québec a annoncé la création d’un fonds d’urgence pour les artistes. Or, le fonds est administré par l’Union des artistes et par la Guilde des musiciens, deux organismes dont ne font pas nécessairement partie les débutants en musique, souligne Renaud Paquette.
«J’ai souvent l’impression que le gouvernement ne comprend pas ce qu’est un artiste indépendant, soupire l’agent d’artistes. C’est beaucoup plus facile de prendre en compte les voix les plus fortes du milieu, les Dare to Care, les Bonsound, les artistes qui brillent le plus.
«Mais on oublie les artistes qui brillent moins, et qui, en temps normal, remplissent les bars sur Mont-Royal ou Saint-Denis chaque soir. C’est eux qui remplissent les petites salles et qui font que les commerces autour fonctionnent.»