Activité de prédilection de plusieurs citadins depuis le début de la pandémie, la marche peut aussi servir à appréhender différemment l’expérience du théâtre.
Avec sa compagnie L’activité, l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière (Zoé, Mommy, Ennemi public) s’était déjà fait une spécialité des déambulations sonores, ces parcours théâtraux qui amenaient le spectateur à l’extérieur des murs du théâtre avec l’aide d’acteurs ou d’audioguides.
Trois de ses déambulations sont maintenant adaptées en fichiers audio téléchargeables, qui peuvent être écoutés à leur guise par les spectateurs sur leurs téléphones.
La marche est toutefois hautement recommandée lors de l’écoute.
«Le débit, le rythme, la construction sonore: tout est fait pour être écouté en marchant. Le format prend en compte la pensée vagabonde du marcheur, qui crée des liens entre ce qu’il voit, ce qu’il entend et les sons accidentels, qui viennent interférer avec la bande sonore, explique Olivier Choinière. Ça n’a pas de sens d’écouter ça à la maison.»
On est donc loin du balado traditionnel et de son format léché et beaucoup plus près de l’immersion.
Parmi les trois déambulations offertes, une seule, Ascension, pèlerinage sonore sur le mont Royal, est associée à un lieu précis. Les deux autres, Beauté intérieure, interprétée par Marc Beaupré, et Bienvenue à – (une ville dont vous êtes le touriste), qui met le spectateur dans la peau d’un visiteur dans une ville étrangère, s’apprécient dans n’importe quel environnement, pourvu qu’on mette un pied devant l’autre.
«Le processus d’adaptation a permis de ramener ça à l’essentiel. Ce qui est raconté gagne en clarté. On a coupé du texte et des interventions des acteurs. Ça permet une interaction avec l’extérieur qui est moins contrôlée, moins mis en scène et plus accidentelle», soutient Olivier Choinière.
«J’ai toujours voulu m’adresser intiment au spectateur et le rendre actif. Alors quoi de plus actif que de le faire marcher?» Olivier Choinière, dramaturge et metteur en scène
Le dramaturge de 46 ans croit également que ce nouveau format apporte une plus grande marge de manœuvre aux spectateurs/auditeurs.
«Soudainement, en tant que spectateur, je suis plongé dans un autre univers grâce à la bande sonore. On me fait des propositions et j’ai la liberté de les accepter, de m’y plonger, sans avoir à penser aux détails concrets.»
Encore là, la marche joue encore un rôle important pour apprécier cette liberté.
«Lorsqu’on marche, on écoute d’une autre manière que lorsqu’on est dans une salle devant une scène. Dehors, on est dans une situation réelle. La pensée est très active. Ne serait-ce que pour traverser la rue sans se faire frapper, regarder les vitrines ou faire des liens entre ce qu’on entend dans nos écouteurs et l’environnement qui nous entoure. C’est beaucoup d’informations qu’il n’y a pas au théâtre, où tout est construit pour qu’on se concentre uniquement sur l’action présentée sur scène», illustre l’auteur de Manifeste de la jeune-fille.
Mais ce type de formats, où le spectateur est seul avec son téléphone, coupé des acteurs et du public, est-il encore du théâtre? Olivier Choinière croit que oui.
«Selon moi, le fondement du théâtre, c’est la rencontre. Dans ce contexte, elle est différente, d’une autre nature, mais elle est toujours là. On est dans la rencontre d’un texte en action, d’un personnage et de ses actions.»
Les déambulations sonores sont offertes sur le site lactivite.com. Une contribution volontaire de 3$ par téléchargement est suggérée.
Prise de parole
Olivier Choinière fait partie des 250 artistes qui ont appuyé la lettre ouverte Pour les arts vivants, publiée hier par le dramaturge Olivier Kemeid.
Les signataires y dénoncent le peu d’attention accordée aux arts de la scène par la ministre de la Culture Nathalie Roy dans la relance du milieu culturel. «On nous dit de nous adapter aux canaux qu’on veut bien nous donner. Mais ce n’est pas au Conseil des arts, aux subventionnaires ou au gouvernement de dire aux artistes comment pratiquer leur art», plaide Olivier Choinière.
«Un théâtre, ce n’est pas qu’une salle avec des sièges et une billetterie. C’est un lieu de prise de paroles à travers la fiction. En ce moment, cette parole de citoyens dans une démocratie nous est enlevée.
Ce n’est pas anodin.»