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Catherine Perrin: la mélodie du bonheur

Catherine Perrin: la mélodie du bonheur

Catherine Perrin

Peut-on sauver le monde par la musique? Si l’animatrice, musicienne et désormais écrivaine Catherine Perrin n’y croit pas, Antoine, musicien bipolaire protagoniste de son roman Trois réveils, en fait une obsession lorsqu’il est en phase maniaque. Il le pense même en majuscules: «SAUVER LE MONDE PAR LA MUSIQUE». À défaut d’accomplir cette mission impossible, il trouvera dans cet art un sens à la vie.

Après avoir été à la barre de la quotidienne Médium large sur ICI Radio-Canada Première pendant huit ans, Catherine Perrin s’est lancée dans la fiction.

«C’était un vieux, vieux rêve, mais j’étais assez intimidée», confie-t-elle.

Dès le départ, celle qui est aussi claveciniste savait qu’elle voulait écrire au sujet de sa passion, la musique.

«Mon père était l’amoureux de musique dans la famille. Après son décès, beaucoup de choses me trottaient dans la tête à propos des bienfaits et de l’importance de la musique dans la vie humaine.»

Après l’écriture d’une soixantaine de pages de ce qui devait être un essai, le syndrome de l’imposteur a surgi.

«Je me suis rendu compte que je n’étais pas vraiment une spécialiste. Je ne suis pas non plus une artiste ayant une autorité. Je n’avais donc pas le droit d’écrire “je”, “moi”, “ma vie”, “mon parcours”.»

Entre-temps, celle qui a travaillé quotidiennement dans le quartier Centre-Sud accumulait des notes dans un fichier nommé «Berri-Beaudry». Comme les stations de métro.

«Quand j’ai pensé au personnage d’Antoine, tout s’est réuni: l’importance de la musique dans le destin humain et cette partie de la ville, de la société.»

En effet, il était hors de question de situer son roman dans un milieu bourgeois.

«Pour moi, c’est le pire des clichés! dit-elle. C’est pour ça que j’ai eu l’idée de ce musicien dont le parcours a bifurqué à cause d’un problème de santé mentale et qui joue dans le métro. C’est un terrain que je connais très bien. D’ailleurs, je trouve ça super sympathique d’avoir une entrevue dans Métro!» lance-t-elle en riant.

Votre roman est très montréalais. On accompagne Antoine dans le métro, dans les rues du Centre-Sud, chez Archambault, à la Maison symphonique… Comment ce décor vous a-t-il influencée?
Ce n’est pas le décor qui m’a influencée, mais plutôt les humains qu’on croise dans ces endroits. J’aime aller à L’Itinéraire servir des repas et jaser un peu. Ces gens ont une relation complètement différente avec la communauté et la société, et je trouve ça assez formidable! Je ne veux pas du tout rendre ça angélique, parce qu’il y a énormément de difficultés dans la rue, mais il y a aussi une liberté par rapport aux codes et aux conventions.

Considérez-vous Antoine comme un marginal, lui qui aime être entouré des «habitués de la rue»?
Absolument. Toutes ses difficultés en santé mentale expliquent un peu pourquoi il s’est lui-même retrouvé marginalisé.

Quel lien entre la musique classique et son état d’esprit?
Dans ses pires moments, il ne touche plus à son instrument. Je ne pense pas que la musique puisse sauver une personne qui est en train de couler, mais elle peut l’aider lorsqu’elle remonte à la surface. Et puis, en raison de la pression qu’on vit quand on étudie dans ce domaine, la musique a peut-être accéléré le début de ses problèmes. J’ai vu de jeunes musiciens craquer sous la pression quand j’étais au conservatoire.

Justement, votre livre montre qu’Antoine n’est pas fait pour ce cadre rigide et exigeant. Est-ce une critique envers ce milieu?
C’est plus un constat qu’une critique. Dans la vie, il y a des choses exigeantes qui ne sont pas faites pour tout le monde. Il y a des types d’emploi pour lesquels il faut avoir la chance de jouir d’une santé mentale solide. Bien sûr, je ne dis pas: «Tant pis pour ceux dont ce parcours ruine la santé mentale.» Ce ne sont pas les exigences des études qui doivent changer, mais plutôt l’encadrement qui vient avec.

De toute façon, Antoine trouve le bonheur hors de ce cadre, notamment en jouant dans le métro. Était-ce une façon de montrer qu’on peut s’épanouir hors des attentes sociales?
Cette question me touche beaucoup parce que, pour moi, c’est ce qu’il y a de plus important. Effectivement, le bonheur d’Antoine passe par la redécouverte du plaisir de jouer de son instrument. Cela dit, il faut dire que les parcours des musiciens sont de plus en plus variés et multiples, et c’est une très bonne chose! Il faut se créer un chemin. Antoine, il le fait après des montagnes russes épouvantables.

«C’est un milieu de vie, le métro. C’est un terrain fertile pour écrire de la fiction. Dans le métro, on est en contact avec la vraie de vraie société. Toutes les classes sociales y sont, toutes les origines ethniques y sont.» Catherine Perrin, dont certaines scènes du roman Trois réveils ont lieu dans le métro.

Plusieurs compositeurs sont nommés au fil du roman; une liste apparaît même à la fin. Leurs œuvres accompagnent les personnages dans leurs émotions fortes. Est-ce qu’on apprécie mieux Trois réveils si on a ces références?
Le but était que le roman se tienne même si on n’a pas les références musicales, car les émotions sont déjà là. Par exemple, je ne suis pas du tout passionnée de Formule 1. Si, dans un roman, il y a un personnage pour qui c’est d’une importance capitale, je vais quand même ressentir et partager ses émotions. Si c’est bien écrit, je ne devrais pas être obligée de regarder une course de Formule 1 pour comprendre. Si je mets une liste à la fin, c’est parce que peut-être que des gens seront curieux d’écouter les musiques dont je parle.

Par Sarah, l’amie d’Antoine, vous évoquez le mouvement #MoiAussi dans le milieu classique, médiatisé avec l’affaire Charles Dutoit. Ces passages restent dans les zones grises, mais on comprend que sa relation avec un chef d’orchestre n’est pas d’égal à égal. Pourquoi aborder cet enjeu?
En effet, c’est vraiment dans des zones grises. Ça l’est tellement que, moi-même, je ne prends pas position. Je n’en suis pas capable, même si je suis l’auteure! Ce que je trouve intéressant, c’est la dimension qu’ajoute la sensualité musicale. C’est non seulement une relation de pouvoir, mais aussi un lien musicalement intense que Sarah vit avec ce chef.

Et puis, j’aborde aussi cet enjeu parce qu’il y en a eu beaucoup, des histoires comme celle-là. Quand j’étais jeune, je me faisais avertir: «Tu t’en vas interviewer un tel? Fais attention.» En tant que journaliste, je n’étais pas soumise au pouvoir de la personne, mais je peux très bien imaginer ce que ça pouvait être pour de jeunes filles qui avaient besoin de l’approbation de ces gens de pouvoir.

Le livre s’appelle Trois réveils, car chacune des trois parties commence par «Antoine ouvre les yeux.» Qu’est-ce que cette répétition symbolise?
J’ai longtemps eu un autre titre de travail. Puis, quand j’ai compris qu’il y avait un troisième réveil – bang! – ce titre est arrivé! On pourrait dire que ces trois réveils correspondent à des étapes importantes de sa vie. Mais tout récemment, j’ai constaté qu’ils correspondent au réveil de la créativité, de la volonté et de l’amour possible, qu’on sent à la toute fin du livre.

Antoine parle de sauver le monde par la musique. La musique a-t-elle ce pouvoir?
Je le pensais! (Rires) Quand j’étais jeune et un peu politisée, vers 18 ans, je rêvais d’aller la nuit fracasser les vitres d’une banque, de m’installer avec un clavecin et de jouer jusqu’à ce que la police arrive! Quand on est jeune, on pense que la musique peut sauver le monde. Même que pour passer à travers des études aussi exigeantes, il faut le croire très naïvement. Mais ce n’est absolument pas vrai. Les nazis pensaient que la musique pouvait rendre la race aryenne meilleure! (Rires) C’est dire à quel point il faut faire attention. À l’échelle collective, ce n’est pas vrai. À l’échelle individuelle, je pense que la musique peut donner un sens à des vies.


Trois réveils
Aux éditions XYZ

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