«Dreamweaver»: dans la toile d’Anachnid
À l’instar de l’araignée, son animal totem, Anachnid a tissé son premier album, Dreamweaver, comme une toile. Elle a d’abord consolidé sa fondation. Puis, elle a tramé un fil à la fois, multipliant les couches sonores. N’ayez crainte, elle n’est pas venimeuse… ou à peine!
«Tu peux mettre une araignée n’importe où dans le monde et elle saura instinctivement où tisser sa toile, où faire passer ses fils pour qu’ils s’entrecroisent et forment une toile unie.»
En entrevue, la jeune Montréalaise d’origine oji-crie et mi’gmaq explique qu’une aînée de sa communauté a identifié l’araignée comme étant son alter ego du règne animal.
«Un animal totem, c’est comme un ami spirituel. Je connecte aussi beaucoup avec les corbeaux et les loups. J’ai des amis qui ont ces caractères instinctifs, voire un peu agressifs. Ça ne me dérange pas, parce que je suis moi-même un peu venimeuse. Je fais beaucoup d’humour noir!» dit-elle en riant.
Comme l’araignée, Anachnid a une part de noirceur en elle. À partir de ses émotions sombres, elle a tissé Dreamweaver, un album où se côtoient harmonieusement des sonorités trap, hip-hop, électro, ainsi que des musiques traditionnelles autochtones. Ces influences variées forment un tout cohérent, au-dessus duquel plane une aura énigmatique incarnée par la voix éthérée de la chanteuse.
Parmi les artistes qui l’inspirent, elle cite la défunte chanteuse montréalaise Lhasa de Sela. «J’ai beaucoup communié avec son œuvre, même si on ne l’entend pas trop dans ma musique, dit-elle, introspective. Ça se retrouve plutôt dans ma voix, je trouve, dans mes tons chaleureux et tristes, comme dans la chanson La lune. Elle m’a beaucoup inspirée.»
Le pouvoir d’un rêve
Très spirituelle, Anachnid se laisse guider par ses rêves dans la création, d’où le nom de son album, Dreamweaver. «Par exemple, la chanson Summer Hunting est sortie d’un rêve. Je me suis réveillée à moitié et j’ai chanté: “Ah, ah, ah, hummm”», dit-elle en fredonnant cette pièce aux accents électro.
L’onirisme est très présent dans sa culture. «C’est tellement drôle que Billie Eilish ait sorti un album qui s’appelle When We Fall Asleep, Where Do We Go?. Quand j’ai vu ça, je me suis dit: “Moi, je sais où je vais quand je dors!”» lance-t-elle avec un sourire rayonnant, ajoutant au passage qu’elle aimerait bien un jour travailler avec la jeune sensation pop américaine.
Lorsqu’elle rêve, Anachnid dit avoir accès à une «plateforme invisible» qu’elle compare à un moteur de recherche. «Je peux poser une question, l’univers m’amène vers la réponse et je m’en souviens quand je me réveille. Ensuite, je suis capable de transformer ça en musique. Ça, c’est mon talent!»
Si la jeune artiste est souriante et énergique en entrevue, elle traversait une période sombre lors de la création de Dreamweaver.
«J’étais en fauteuil roulant; je n’ai pas pu marcher pendant deux mois. Ç’a affecté ma santé mentale, raconte-t-elle, mais ça m’a permis de créer un album dont je suis très satisfaite. Veux, veux pas, quand tu es une artiste romantique, la douleur te permet d’aller chercher des paroles que tu n’irais pas chercher en étant stable. Le fait de ne pas bouger m’obligeait à être beaucoup dans mes pensées. C’est un épisode de ma vie que je ne regrette pas, mais que je ne voudrais pas revivre!»
Elle fait d’ailleurs référence à cette période à mi-parcours de son album, sur Anachnid, chanson autobiographique aux airs trip-hop, dans laquelle elle rappe: «Spider bitch, Spider bitch, You just broke a leg/Spider bitch, Spider bitch, Don’t it feal great?»
«Je suis partie de ma petite patte d’araignée cassée pour écrire cette toune, détaille-t-elle. C’est aussi un clin d’œil à l’expression anglophone “Break a leg!”, employée pour souhaiter du succès.»
Au fil des 10 chansons, on suit le parcours émotionnel de la chanteuse, en passant notamment de la tristesse à la colère. Sur la vaporeuse China Doll, elle traite avec fragilité de séparation et d’abandon. «Anachnid suit en disant, en gros: “Fuck this shit! Prends le dessus sur ta douleur.” Et ensuite, Windigo arrive.»
«C’est un art de raconter des histoires. De grosses productions culturelles le font, mais c’est aussi important de lire des livres et de se connecter avec les histoires de nos aînés, parce que ce sont nos racines; c’est ce qui est le plus proche de nous. Il ne faut pas trop s’isoler dans la technologie en ne regardant que la vie des autres.» Anachnid, à propos du «rituel» de raconter des histoires
Windigo, sixième titre de Dreamweaver, fait référence à cet esprit très présent dans la mythologie des peuples autochtones d’Amérique du Nord. «Quand je me suis blessée, je lui ai demandé: “Bon, c’est quoi, la leçon?” Il m’a avertie: “Oui, tu peux exprimer ta colère dans tes chansons, mais fais attention. Sois humble.” C’est lui qui a écrit les paroles. Moi, je suis comme un walkie-talkie, j’ai accès à des fréquences», illustre-t-elle.
Cette rage, elle l’exprime en montrant ses crocs: «Yes I drink and yes I smoke, and I love to lose control/Fuck your system, Fuck your law», y rappe-t-elle d’un ton défiant.
Cela dit, Anachnid préfère se garder une petite gêne avant de se prononcer sur les enjeux sociaux qui touchent sa communauté. «Je préfère montrer la beauté de ma culture. Je suis très délicate sur la façon dont j’exprime ma position politique. J’essaie de ne pas mélanger ça avec ma position artistique.»
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la jeune artiste, qui se décrit comme une «introvertie qui aime aller à la rencontre des gens», s’est choisi un nom de scène et préfère taire le sien.
«Quand tu choisis un autre nom, c’est parce que tu es sensible et que tu ne sais pas comment séparer ta vie d’artiste de ta vie personnelle. Quand je travaille en étant Anachnid, je suis beaucoup plus calme, gracieuse et portée à l’écoute.»
Un beau sceau d’approbation
L’an dernier, Anachnid a reçu une belle marque de reconnaissance de l’industrie de la musique en étant sacrée Auteure-compositrice autochtone de l’année par la SOCAN.
«C’est sûr que, quand on voit ça dans mon dossier de presse, ça montre que je suis une artiste accomplie et reconnue nationalement. Donc, je suis vraiment, vraiment contente et reconnaissante», dit-elle à ce sujet.
Surtout, ce prix donne un souffle à la jeune femme, également sculptrice et peintre, qui fait de la musique depuis seulement deux ans.
«Ça me donne de la confiance en moi. Quand on est artiste, souvent, on se questionne, on doute, on vit de l’anxiété. Maintenant, quand je travaille avec des gens qui ont plus d’expérience que moi, au lieu de leur laisser plus de place ou de ne pas donner mon opinion parce que je suis intimidée, je m’affirme davantage. Cela dit, les personnes dont je m’entoure me traitent très bien, mais en tant qu’artiste, ça valide mes positions.»
Dreamweaver
Album disponible dès vendredi
Spectacles de lancement au MAI (Montréal Art Interculturel) vendredi et samedi soirs