«Je me vois comme un professeur de yoga émotionnel», laisse-tomber le volubile Patrick Watson au beau milieu d’une longue réflexion sur la créativité. «Ma job est de t’étirer dans toutes les directions possibles pour te donner accès à toutes les différentes parties de ton esprit.» C’est précisément ce que le musicien fait avec son sixième album, le bien nommé Wave.
En se définissant ainsi, l’auteur-compositeur-interprète montréalais rejette l’étiquette de «rock star» attribuée erronément à trop d’artistes, selon lui. «On regarde le milieu des arts et on s’imagine une gang de soûlons qui se torchent et qui font des trucs bizarres, mais ce n’est pas ce qu’on fait! On travaille 12 heures par jour. Je ne suis pas une rock star, je ne suis pas un gars cool, je n’ai pas une coupe de cheveux débile… OK, j’ai une coupe de cheveux débile! Mais ce n’est pas voulu.»
Voilà qui est dit. Ce qui ne l’empêche pas d’apprécier le travail de certaines stars, dont Cardi B. «Elle est incroyable et inspirante», dit-il au sujet de la rappeuse américaine. Après tout, «il existe plusieurs types de musique pour t’étirer de toutes sortes de façons».
Lui, son type de musique reste celui qui l’a fait connaître il y a une quinzaine d’années: une pop superbement mélodieuse d’influence classique, aux accents mélancoliques, se distinguant notamment par sa voix haut perchée.
On a bien dit mélancoliques, et non tristes. Malgré les épreuves qu’il a traversées ces dernières années – décès de sa mère, séparation amoureuse, départ de son batteur – et qui ont nourri la création de cet album, Patrick Watson assure être plus heureux que jamais. Ainsi, insiste-t-il, Wave «n’est pas un album triste».
«Il faut dire qu’aucun de mes deuils n’a été terrible; ce n’est pas comme si j’avais perdu un enfant. La vie change, toutes nos mères meurent un jour… La mienne vieillissait, elle a souffert longtemps. Est-ce triste? Pas particulièrement. C’est difficile, mais ce n’est pas tragique.»
S’il parle avec autant de sagesse, c’est que Patrick Watson a choisi de se laisser porter par la vague qui donne son nom à son nouvel album. «Je dis à tout le monde la même chose, parce que c’est ce qui est le plus important: au-delà de ce qui s’est passé ces quatre dernières années, Wave renvoie à ce moment où on se trouve pris dans une vague et où on réalise qu’il est inutile de nager.»
Bref, ce moment où on lâche prise, où on cesse de lutter à tout prix pour garder la tête hors de l’eau. Patrick Watson nous invite plutôt à plonger et à laisser la vague nous ramener à la surface. Ce qui lui a fait le plus grand bien, assure-t-il, assis dans son lumineux studio. «Ça a amélioré toutes les sphères de ma vie. Je suis une bien meilleure personne aujourd’hui que je l’étais avant.»
Conscient de sa chance – «Je suis une personne très privilégiée: j’ai la musique, des enfants, une job… Je n’ai pas à me battre pour payer mon loyer» –, Patrick Watson n’a aucunement l’intention de s’apitoyer sur son sort. «L’album est à propos du sentiment formidable de lâcher-prise quand on vit des moments transformateurs dans sa vie. J’ai voulu l’encapsuler sur ce disque.»
«La créativité n’est pas un choix esthétique. La créativité est un outil de survie. Toutes les jobs – que tu sois journaliste, médecin ou travailleur en construction – demandent de la créativité. Sinon, aussi bien qu’elles soient faites par des robots.» – Patrick Watson
Cela se traduit notamment dans la chanson Here Comes The River, la 10e et dernière de Wave, qu’il a écrite après avoir reçu de sages conseils de son ami Kenzo, «un coiffeur en bas de la rue, ici, sur Duluth. C’est vraiment un être humain exceptionnel», dit-il à son sujet.
Ce conseil? «Il m’a dit: “Pour deux ou trois ans, tu seras très ébranlé et tu ne pourras rien y faire. Mais tu devras laisser les choses aller.” C’était très honnête, très direct.»
Au risque de tomber dans les clichés, on ose tout de même une question : au-delà des sages paroles de Kenzo, la musique ne l’a-t-elle pas aussi aidé à traverser cette vague? «Je ne joue pas 10 heures de musique par jour parce que je suis une personne très saine! Come on! répond-il dans un éclat de rire en pointant sa cigarette. Évidemment, ça amène un équilibre dans ma vie, c’est une part importante de mon régime.»
Laisser les mots faire leur travail
Si Patrick Watson a de la facilité avec les mélodies – «elles viennent à moi toutes seules, c’est presque une joke» –, il admet que l’écriture de paroles lui donne du fil à retordre. «Je ne suis pas un bon parolier. Je travaille très fort pour chaque texte que j’écris. J’y consacre beaucoup de temps. Si ce n’était pas des paroles, je pourrais composer neuf chansons par jour. Écrire des paroles, c’est chiant, c’est difficile, c’est si douloureux!» lance-t-il en riant.
Ainsi, le musicien peut passer des mois sur ses textes. Comme il l’a fait pour la phrase «Even in the way you try», qu’il chante sur la sensuelle Turn Out The Lights. «J’ai travaillé quatre mois à cette ligne! Pour quatre mots! Ça m’a rendu fou!»
Les textes sont néanmoins à l’avant-plan de Wave, et ils y sont transmis plus clairement qu’à son habitude. Ce n’est pas le fruit du hasard: le chanteur a perdu la voix après son précédent album, Love Songs For Robots (2015). «Après avoir donné des concerts la voix brisée, je me suis demandé pourquoi je faisais autant de sons hauts au départ. Ç’a a été une leçon pour moi: je n’ai pas besoin de trop chanter, je peux laisser les mots faire leur travail.»
Cette leçon, il la tient aussi du grand Leonard Cohen, avec qui il a collaboré sur son ultime album, You Want It Darker, paru quelques semaines avant sa mort, en 2016. «Quand j’isolais sa voix du reste de la musique, elle se suffisait à elle-même. J’aurais pu y ajouter du gazou que ça aurait quand même bien sonné, lance-t-il en pouffant de rire. Je te jure, ça aurait marché! J’aurais ajouté du gazou et tu aurais dit : “C’est la chose la plus intense que j’ai écoutée!”»
Plus sérieusement, Patrick Watson dit avoir été inspiré par la vulnérabilité des textes de Cohen. «Nous ne sommes pas toujours la meilleure version de nous-mêmes. Parfois, nous sommes vraiment des versions merdiques de nous-mêmes. Leonard a été capable de l’assumer et c’est ce que je trouve si spécial chez lui.»
L’influence du mythique Montréalais se fait sentir dans le texte de l’envoûtante Melody Noir, qu’il définit comme une chanson d’amour pour les gouffres qu’on a en soi. «J’avais cette idée depuis toujours: nous avons tous ces abîmes au fond de nous que nous essayons de remplir, notamment avec l’amour, mais ils feront toujours partie de nous.»
Melody Noir se veut par ailleurs une réponse à la pièce Tonada del Luna Llena du défunt artiste vénézuélien Simón Díaz. «C’est probablement ma chanson préférée de tous les temps. C’est dans mon top 10, du moins», dit-il au sujet de ce titre en nous le faisant écouter sur son téléphone, tout juste après avoir fait jouer son obsession du moment: la chanson Movies, de Weyes Blood.
C’est que Patrick Watson est fasciné, avec raison, par la force de la musique. «Elle est faite pour être une présence plus grande que nous. C’est ainsi que je la vois. Elle ne m’appartient pas. Je fournis un moment qu’on partage tous ensemble, mais ça ne vient pas de moi, ça vient de là», dit-il en ouvrant les bras et en regardant tout autour.
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Au MTelus les 10, 11 et 12 décembre