Soutenez

Art Souterrain: derrière les apparences trompeuses

Une œuvre du parcours d’Art Souterrain, CNI, de Raphaël Fabre. Photo: Josie Desmarais/Métro Photo:
Marie-Lise Rousseau - Métro

Ce visage est-il celui d’une vraie personne? Cette caméra de surveillance filme-t-elle réellement? Et pourquoi ces poteaux à sangle sont-ils disposés ainsi? En s’attaquant au thème «Le vrai du faux», le festival Art Souterrain joue avec la curiosité et les perceptions du public.

Notre rendez-vous avec l’artiste et commissaire Martin Le Chevallier a lieu au sous-sol du complexe Guy-Favreau, mais d’emblée, il nous propose de monter au rez-de-chaussée, question de nous montrer une des trois œuvres de son cru qui jalonnent le parcours de quelque six kilomètres d’Art Souterrain. S’arrêtant devant un vaste couloir, il nous met au défi de la trouver.

À première vue, rien n’indique qu’une œuvre d’art a été installée en ces lieux. Après quelques secondes d’observation, l’œil aiguisé de notre photographe perçoit la subtile inscription du mot «Réalité» sur une porte.

«Ça suggère que la réalité est derrière la porte, mais cette porte est fermée au public; alors, on n’est pas dans la réalité. Je ne sais pas où nous sommes. Est-ce que c’est de la fiction? Est-ce que c’est le faux? Est-ce que c’est le rêve? On peut imaginer ce qu’on veut», commente son idéateur, Martin Le Chevallier, invité par Art Souterrain à occuper le poste de commissaire – aux côtés de la photographe Maude Arsenault et de la galeriste Joyce Yahouda – spécialement pour son intérêt artistique pour le thème de cette édition (voir encadré).

L’artiste et réalisateur français a conçu deux autres installations expressément pour cette édition du festival, lui qui y avait également participé l’an dernier. «J’ai voulu que ma contribution à la sélection d’œuvres rende le parcours encore plus ludique», explique-t-il au sujet de sa démarche.

«J’aime la relation entre les œuvres et les lieux. Ça peut produire des effets poétiques, avoir un sens politique.» -Martin Le Chevallier, artiste et l’un des trois commissaires d’Art Souterrain

Ainsi, toujours au même étage du complexe Guy-Favreau, il nous conduit près de la rampe qui offre une vue sur le niveau inférieur. D’en haut, on peut lire le message «SOS» écrit à l’aide de poteaux à sangle de sécurité. D’en bas, nous n’y avions vu que du feu.

«L’an dernier, j’avais remarqué qu’ici, les œuvres étaient toujours protégées par ces poteaux. C’est un endroit très sécurisé. Je me suis dit : s’il ne peut pas y avoir d’œuvres sans que des éléments comme ça interfèrent autour, pourquoi ne pas faire l’œuvre avec ces éléments?»

L’emplacement de ces trois lettres d’appel au secours n’est pas anodin, celles-ci étant disposées à deux pas des bureaux de l’agence gouvernementale Service Canada.

«C’est un peu comme si des gens pris dans des contraintes administratives ou de sécurité par rapport au contrôle de leur identité lançaient un SOS», indique Martin Le Chevallier.

L’œuvre prend tout son sens lorsqu’on la regarde d’en haut, alors qu’au même niveau, «ça a l’air d’être une contrainte classique avec une disposition bizarre ne menant à rien», ajoute-t-il. «C’est ça que je trouve bien, de jouer avec des objets qui sont normaux. Tout d’un coup, avec ces objets normaux, on fait autre chose.»

L’œuvre SOS s’inscrit à merveille dans la thématique de l’exposition. «C’est faussement un dispositif de contraintes lié au bâtiment, mais c’est vraiment une œuvre», remarque l’artiste.

La troisième installation de Martin Le Chevallier n’était pas encore montée lors de notre rencontre. «Mais… si, elle est là, remarquez!» lance le commissaire en sortant une boîte de carton de son sac à dos.

Encore un objet normal : une caméra de surveillance sphérique comme on en retrouve dans de nombreux lieux publics. Mais la sienne est disposée sur une table basse près de fauteuils dans l’édifice du 1000 de la Gauchetière.

«Alors qu’habituellement, les caméras de surveillance sont placées en hauteur pour être discrètes, moi, je la mets en évidence, comme à la place d’un bol de chips.» Sur l’appareil, l’artiste a ajouté l’inscription «Je ne filme pas, devrais-je?»

Fausses représentations
À titre de commissaire, Martin Le Chevallier a convié une quinzaine de ses compatriotes à faire partie des quelque 60 artistes qui exposent dans le cadre d’Art Souterrain. Parmi eux, il y a Raphaël Fabre, dont le portrait géant de sa carte d’identité est affiché en face de l’entrée de Service Canada, là encore pas par hasard.

En nous montrant l’œuvre, le commissaire explique que, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une photo. «C’est une image de synthèse réalisée par ordinateur qui représente l’artiste de manière très réaliste.»

Fait étonnant, Raphaël Fabre a pu utiliser ce faux portrait de lui-même pour faire sa vraie carte d’identité en France sans difficulté. «Même quand des journalistes se sont renseignés auprès des autorités, ça n’a pas été remis en question. Ce qui fait qu’il est officiellement représenté par son avatar», s’étonne l’artiste, qui souligne que cette fausse représentation soulève bien des questions éthiques, notamment au sujet de la fiabilité des images.

Parmi les autres œuvres sélectionnées par le commissaire, il y a aussi la vidéo de Fayçal Baghriche d’un mannequin en plastique imitant les mimes de statue dans les lieux touristiques. «C’est une fausse personne, mais on peut croire que c’est une vraie. Du coup, on le voit dans la vidéo, les touristes qui passent par-là se font prendre en photo avec et lui donne des sous», décrit-il, amusé.

Une autre œuvre qui joue avec les perceptions est Plan du Métro de Montréal, de Nicolas Milhé. Les usagers du transport en commun reconnaîtront l’emblématique plan des stations de métro de la ville, vu des milliers de fois. Sauf que ce plan a perdu le nord, littéralement. «On y voit Montréal représentée de manière inhabituelle; ça fera une perturbation», prévient Martin Le Chevallier.

Cette réflexion autour du vrai et du faux que suscite cette année Art Souterrain est particulièrement d’actualité, alors que les fausses nouvelles (fake news) occupent toujours une place importante dans l’actualité et qu’on déforme sans cesse nos propres réalités par l’entremise des réseaux sociaux.

Par définition, les artistes transforment eux aussi la réalité, souligne le commissaire. «Cette question du faux fait écho à la nature même de l’art, à l’une de ses principales vocations. Produire des formes à partir de ce qui existe ou encore jouer sur les illusions permet d’y réfléchir autrement», indique-t-il.

Thématique inspirante
C’est seulement la deuxième fois que l’artiste et réalisateur Martin Le Chevallier agit à titre de commissaire pour un événement artistique. La première fois, c’était dans une galerie à Paris. «Cette exposition portait pratiquement sur le même thème, c’est pourquoi le directeur général d’Art Souterrain, Frédéric Loury, m’a proposé d’être commissaire cette année», explique-t-il.

La démarche artistique de Martin Le Chevallier s’inscrit tout à fait dans la thématique de cette 11e édition, lui qui aime jouer avec des éléments d’actualité et exposer ses œuvres dans des lieux publics. «Ça m’intéresse beaucoup de faire de l’art en fonction des lieux, note-t-il. Pour moi, l’espace public est plus inspirant qu’un simple espace d’exposition. Ça fait que des gens qui ne s’intéressent pas forcément à l’art peuvent rencontrer par hasard des œuvres et être amenés à s’interroger, à réfléchir ou à avoir du plaisir.»

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.