Pour son premier livre, nommé Ton absence m’appartient, l’animatrice-chroniqueuse-journaliste-touche-à-tout Rose-Aimée Automne T. Morin a choisi de se pencher sur un sujet tabou comme elle sait si bien le faire: les «enfances tordues» par un deuil ou une absence.
Pour commencer, elle raconte la sienne d’enfance, marquée par la maladie puis le décès de son père, qu’elle décrit notamment comme «un tendre égocentrique» et un «séducteur irresponsable».
Alors qu’elle avait à peine deux ans, ce dernier a reçu un diagnostic de cancer. Il devait lui rester 24 mois à vivre. Déjouant les pronostics, M. Morin a vécu jusqu’aux 16 ans de sa fille en pensant que chaque jour était le dernier, littéralement.
Résultat: la jeune Rose-Aimée a été élevée dans l’urgence par un père excentrique qui s’est donné la mission de faire d’elle la «femme idéale» à ses yeux, soit une femme confiante, effrontée et qui n’a pas peur du ridicule. «Mission accomplie, mon père», écrit-elle.
Sans cette éducation particulière, l’ex-rédactrice en chef d’Urbania se demande si elle aurait développé la même identité, la même personnalité.
Sachant que d’autres ont eux aussi été marqués par une enfance hors du commun, elle donne la parole dans son livre à sept personnes qui, de façons très différentes, ont été transformées par une forme d’absence.
C’est du sérieux tout ça, mais l’auteure reconnue pour son autodérision aborde le sujet avec un certain humour et sans fard.
«Je trouve que ce livre est de l’anti psycho-pop, dit-elle. J’avais peur que ce soit un mode d’emploi pour survivre au deuil, mais au final, je présente des gens qui ont souffert, qui souffrent encore, qui n’ont pas trouvé mieux que d’essayer de se métamorphoser pour survivre.»
On prend toujours un train, avec Rose-Aimée Automne T. Morin.
Quel a été le point de départ de ce livre?
On me proposait d’écrire un livre sur mon père depuis un certain temps. Au début, je me disais : «Pfff, c’est juste une histoire sur moi. Je serais quoi, une autre fille qui raconte sa vie?» Je trouvais ça gênant et absolument pas légitime. Mais à force d’en parler, j’ai commencé à me dire qu’il y aurait peut-être un essai à écrire sur le sujet. Ma condition était que ça ne parle pas que de moi.
Je voulais aussi montrer que le deuil, ce n’est pas juste l’absence d’une personne. Ça peut être perdre son pays [le cas de Thimalay réfugiée du Laos], un sens [le cas de Guillaume, né avec le glaucome] ou une valeur, comme la famille [le cas de Christelle, qui a connu l’identité de son père biologique à 23 ans]. J’ai surtout choisi des gens capables de pointer le moment où tout a changé, ce qui est très dur! Il faut beaucoup s’être penché sur son processus de deuil pour trouver le point de bascule entre qui on était et qui on a choisi de devenir.
Quel est ce point de bascule dans votre parcours?
Je pense qu’il commence avec ce livre. Quand je regarde tout le monde à qui j’ai parlé, je constate que le point de bascule prend toujours la forme d’une rébellion.
«Le livre se voulait au départ un hommage à mon père. À la fin, c’est devenu un solide roast! Mais mon père est encore la personne que j’aime le plus au monde, et c’est la personne qui va m’avoir aimée le plus au monde.» – Rose-Aimée Automne T. Morin
Vous écrivez d’ailleurs que vous vous trouvez trop vieille pour vous rebeller.
Oui! (Rires) Mais je pense que ce livre est une grosse rébellion en soi, parce que je ne suis pas douce avec mon père. Je suis tendre, parce que je l’aime, mais je ne le ménage pas. Je ne pense pas être la seule à adorer un parent bien qu’il ne soit pas une bonne personne, et c’est correct de vivre cette dualité! On peut assumer ce paradoxe: j’aime mon père plus que qui que ce soit, je pense aussi que c’est un peu un mange-marde! (Rires)
La notion d’urgence revient dans chacune des histoires; comment la décrivez-vous et comment fait-elle partie de vous encore aujourd’hui?
Quand tu es élevée comme si chaque jour était le dernier – et ce n’est pas une façon de parler –, tu acquiers rapidement une espèce de frénésie. Le quotidien est effervescent et n’a pas le droit d’être lent. Impossible! Une journée passée à regarder Netflix est une journée perdue, en théorie, mais j’adore ne rien faire en regardant Netflix! Je ne devrais pas me sentir coupable si en une semaine je n’ai pas essayé de changer le monde en étant extrêmement dérangeante. Cette urgence, je l’ai toujours ressentie. Je commence maintenant à aimer la routine et à assumer que ça ne fait pas de moi une personne moins valable.
Vous mettez souvent votre expérience personnelle en perspective en racontant celles des autres protagonistes de votre livre. Qu’est-ce que leurs récits vous ont apporté?
Ces personnes m’ont donné le droit d’accepter ma propre vulnérabilité. Quand des gens s’ouvrent avec une telle franchise et avec une absence complète de fard, tu n’as pas d’autre choix que d’y aller all in comme eux.
Vous vous dévoilez beaucoup dans ce livre. Est-ce par devoir envers eux?
Oui. J’ai écrit mes chapitres personnels après avoir rédigé tous les portraits, donc je ne pouvais pas me défiler. Ces personnes ont mis leurs tripes sur la table pour moi, donc je pense que j’ai un devoir à leur égard.
À quelques reprises, vous relativisez la gravité de votre histoire en la comparant à celles des autres. Est-ce que quand on se compare, on se console?
Ah oui, vraiment! Et les protagonistes ont fait de même en apprenant les histoires des autres. Tout le monde disait: «Moi, c’est vraiment pas si grave!» C’est juste une question de perspective. Ça me faire rire. Au final, je pense qu’on ne prend jamais la pleine mesure des tragédies qui nous ont forgés. C’est peut-être un mécanisme d’autodéfense. Aujourd’hui encore, à mes yeux, mon histoire n’est pas grave. Je n’ai pas eu à dealer avec une dépendance ou de la violence.
Votre livre est le résultat d’une démarche autobiographique et d’une démarche journalistique. Comment avez-vous voulu vous positionner dans tout ça?
Je suis passionnée par Jon Ronson, un journaliste gallois qui a écrit plusieurs livres en utilisant exactement cette démarche, notamment The Psychopath Test, qui est fascinant, et So You’ve Been Publicly Shamed. Il part toujours d’une question ou d’une anecdote personnelle pour aller à la rencontre de gens, toujours dans une perspective journalistique, mais incarnée.
On reconnaît le style d’Urbania dans cette démarche ainsi que dans votre écriture: le récit raconté au «je», vos impressions quant aux témoignages des autres, des descriptions très imagées comme : «Mon cœur était un morceau de viande qu’on tentait de contenir dans une corde serrée» ou encore «Annie mitraille les mots d’une façon quasi fiévreuse». Est-ce que votre expérience à ce magazine a teinté votre écriture?
Bien sûr. Ce livre, je dis que c’est un long magazine sur l’identité! C’est ce que je fais depuis quatre ans et c’est la seule chose que je me sentais le droit de publier. C’est ce qui me réconforte et me donne l’impression de ne pas être un imposteur.
Qu’est-ce qui vous a poussée à mener ce projet sous forme de livre?
C’est toute l’incarnation de ma personne qui dit oui à des affaires qu’elle n’a jamais faites parce qu’on lui en donne l’occasion. Quand les filles de chez Stanké m’ont abordée, leur première question a été: «À quelle date pourrais-tu remettre la v1 d’un livre?» C’est la meilleure façon de me parler! À partir de là, je n’ai pas eu le choix.
C’est drôle parce qu’on a juste à regarder mon enfance pour voir à quel point je peux être manipulée! (Rires) Quand quelqu’un arrive avec assurance et me dit: «Tu dois faire ça», j’ai cette insouciance, parce que ça a toujours fonctionné ainsi pour moi. J’espère que personne ne va me demander de participer aux Dieux de la danse, car je le ferais! (Rires) C’est problématique! L’échec m’attend à un moment donné et je vivrai avec.
Vous n’avez pas peur d’aborder des sujets délicats ou tabous. Qu’est-ce qui vous attire vers ces thèmes et vous donne la confiance de les aborder de front?
C’est tout mon père! (Rires) C’est ainsi qu’il m’a construite. Il m’a appris dès mon plus jeune âge qu’il faut aborder les sujets choquants. Ça ne me fait pas peur de lever la main et de dire : je ne suis pas d’accord.
Pour ce qui est de la confiance, c’est le plus beau cadeau que mon père m’a donné. Je n’ai rien de négatif à dire là-dessus, c’est ce que j’essaierais d’inculquer à mes enfants. Je peux tout faire, c’est ce qu’on m’a appris. Pour une petite fille, ça passe beaucoup par le regard du père. Je n’ai pas validé ça scientifiquement, mais je pense que le daddy issue est bien réel! (Rires)