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A Ghost Story: Mon fantôme d’amour

Photo: Métropole Films

David Lowery avait sept ans quand il a tourné son premier film. Pour l’occasion, il avait recouvert son frère d’un drap. «Tiens. Tu joues un fantôme.» Presque trois décennies plus tard, le cinéaste a repris cette idée qui le fait encore rigoler. «Un gars dans un drap.» Pourtant, celui qui se décrit comme un romantique pragmatique l’a traitée avec sérieux. «Derrière la blague, il y avait tant de pathos, de tristesse et de mélancolie que je savais que l’humour s’évaporerait rapidement.» Ainsi, son spectre n’est pas celui d’une entité,
mais plutôt celui de toutes les choses s’étant passées dans un lieu donné. Les rires, les chicanes, les baisers, les fêtes. L’histoire.

En s’attelant à son Ghost Story, David Lowery pensait faire un petit film d’été sympa avec ses amis. Pas de stress. Simple. «C’était le plan…!» acquiesce ce réalisateur réservé lorsque nous le rencontrons durant son passage à Fantasia. Mais les plans sont connus pour leur fâcheuse tendance à ne pas être suivis. «Vous avez beau penser que ce sera simple, votre ambition finit toujours par prendre le dessus. Tout à coup, ce projet que vous imaginiez relaxe devient une gigantesque entreprise.»

Dans son cas, gigantesque non pas comme dans «effets spéciaux incroyables, grosse distribution, action». Mais plutôt comme dans «extrêmement délicate».

Car son histoire de fantôme n’a rien de classique. En fait, attendez, si. Elle est classique dans le sens où son spectre endosse la forme qu’on lui attribue depuis des lunes. Demandez à n’importe qui d’en dessiner un, fantôme, et ce que vous verrez apparaître sur la feuille, c’est un drap blanc avec des trous en guise d’yeux. Non? Eh bien, le cinéaste de 36 ans a reproduit l’idée au pied de la lettre. Ainsi, après sa mort, l’homme joué par Casey Affleck demeure présent. Seulement, il est recouvert d’un drap blanc. Avec des trous en guise d’yeux.

Debout, immobile, il reste là. De temps en temps, il change de pièce dans la maison qu’il occupait autrefois avec son amoureuse qui ne le voit pas, incarnée par Rooney Mara. Et c’est dans le silence qu’il la regarde traverser les journées, l’une après l’autre. Sortir, fermer la porte, ouvrir la porte, entrer. Sortir, entrer, sortir, entrer. Toujours seule. Jusqu’à ce que.

Pour incarner le couple, elle humaine, lui esprit, Lowery a réuni les acteurs qui portaient, en 2013, son drame romantique au titre magnifique Ain’t Them Bodies Saint. Mettant en vedette Rooney et Casey, donc. Comme ici. Dévoilé en première mondiale au festival de Sundance. Comme ici aussi.

La réaction qu’il y a obtenue? Au-delà de ses plus intenses espérances. «J’étais prêt à tout. À recevoir des critiques haineuses, à ce que les gens sortent de la salle. Mais c’est exactement le contraire qui est arrivé. J’en suis très reconnaissant.»

Les pauses sont longues, le regard bienveillant, le ton posé pendant que le réalisateur, scénariste et monteur articule sa pensée. D’ailleurs, au montage, il a laissé des scènes aussi longues que peuvent l’être ses moments de réflexion. Comme cet instant où la jeune femme endeuillée mange compulsivement une tarte. Une minute, deux minutes, trois minutes, quatre minutes d’engouffrement de pâtisserie dans un silence absolu.

La scène, remplie de douleur, met en lumière celle qu’on ressent quand on perd un proche. Un thème que David Lowery a voulu explorer sincèrement, méticuleusement. Sérieusement, ajoute-t-il. «Je ne voulais pas être un touriste du deuil. Empiéter sur la souffrance d’autrui, l’utiliser à des fins de manipulation. Je voulais rendre justice à cette expérience que, pour l’instant, je n’ai vécue qu’en imagination. Tenter de me rapprocher de la vérité.»

«Je suis ouvert à l’idée qu’un fantôme puisse être un disparu qui traîne dans les environs, pour telle ou telle raison. Mais je crois plutôt qu’il s’agit d’une émotion. De l’énergie que nous détectons quand nous entrons dans une chambre, une vieille maison.» – David Lowery

Se rapprocher, aussi, de la maison de son enfance. Tourner dans un ranch sis à Irving, au Texas. Ville où David a grandi, ville où ses parents habitent encore.

C’est du reste cette demeure du passé qu’il a «toujours essayé de retrouver» depuis qu’il l’a quittée, depuis qu’il est devenu adulte. Dans sa vie comme dans ses films. «J’ai été élevé dans un foyer très stable, traditionnel, avec deux parents aimants et beaucoup de frères et sœurs, confie-t-il doucement. J’en suis très nostalgique.»

C’est peut-être pour cette raison que, désormais, peu importe où il se pose, en voyage, en déplacement, très rapidement, il fait tout pour se sentir chez lui. «Je plante mes racines, je bâtis des liens, je m’investis. Par conséquent, lorsque je dois déménager, ou simplement partir, c’est très difficile.»

Par exemple maintenant. Dès son retour à Los Angeles, où il réside désormais, sa femme et lui feront leurs boîtes pour partir vers un tout nouveau logement. Celui qu’ils laissent derrière, ils n’y auront vécu qu’un an. Et pourtant. «Ce sera une expérience douce-amère. J’ai l’impression d’avoir investi une grande portion de ma vie émotionnelle dans cet espace. À l’avenir, chaque fois que je vais passer devant, je vais penser à toutes les choses que j’y ai vécues.»

Et quand il passe devant les maisons d’inconnus, jette-t-il parfois un bref coup d’œil par la fenêtre? Lowery sourit. «Je l’avoue… oui. Et mon épouse aime ça encore plus que moi! Ça me rend toujours nerveux. Ça peut sembler voyeur, mais il y a quelque chose de magnifique dans le fait d’entrevoir quelqu’un dans un apparent moment d’intimité.»

Surtout que, du point de vue d’un réalisateur, la vision est parfaitement cinématographique. Après tout, ce sont des humains que l’on observe à travers un cadre. Et surtout, il y a un côté un peu secret.

À la mention de ce dernier mot, le visage du cinéaste s’illumine. «Oh! J’adore les secrets! J’adore les garder, j’adore les révéler – au bon moment. Et j’aime les choses qui sont tenues cachées entre deux personnes. Il y en a que je garde uniquement entre ma femme et moi, entre ma mère et moi, entre mes frères et sœurs et moi. Personne d’autre n’est au courant. Et personne d’autre n’a besoin de l’être.»

À l’image de ces petits mots que l’héroïne de son film laisse dans les maisons qu’elle quitte, depuis qu’elle est petite. Des notes pliées et repliées en plein de morceaux, dissimulées dans les interstices des murs. «Des choses qu’elle souhaite se rappeler. Afin que, si jamais elle décide d’y remettre un jour les pieds, une part d’elle l’y attende.»

Le spectateur, lui, attendra longtemps avant de savoir ce qu’elle a inscrit sur lesdites notes. Personne ne sait. Pas même celui qui tient les commandes de l’entreprise. «J’ai visionné les images à nouveau, j’ai zoomé… Rien à faire! On ne peut pas déchiffrer ce que Rooney a écrit, assure David Lowery. Elle a récemment affirmé qu’elle ne se souvient plus de ce qu’elle a gribouillé pendant le tournage. Mais je pense qu’elle dit juste ça pour qu’on arrête de l’embêter.»

Vous non plus, vous ne le savez pas? «Non!» Et vous le dites juste pour qu’on arrête de vous embêter? «Non! Mais je suis sûr que c’était quelque chose d’important pour elle puisqu’elle prend les choses à cœur.»

Bercé par un quatuor à cordes qui «fixe l’ambiance et permet aux émotions d’être perçantes», A Ghost Story a également été pris à cœur. Presque majoritairement encensé. Le cinéaste sent-il un lien particulier avec les spectateurs ayant visionné son film lui aussi si particulier? «Oui! Surtout avec ceux qui y ont vu des choses auxquelles je n’avais pas songé. Et avec ceux qui ne l’ont pas aimé. Après tout, je leur ai donné une histoire à laquelle réagir de façon véhémente.»

https://www.youtube.com/watch?v=xAASr0Ukzk0

Au Cinéma du Parc et au Cineplex Forum

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