Oscars: Le sacre ultime de La La Moonlight

La soirée allait rondement, tout le monde semblait content. Au Québec, on célébrait la victoire de Sylvain Bellemare, oscarisé pour le montage sonore d’Arrival, de Denis Villeneuve. Jimmy Kimmel faisait des blagues assez mordantes, les discours étaient plutôt inspirés et les stars semblaient sur le point de repartir du Dolby Theater l’esprit plutôt léger. Puis, sur le coup de minuit trente, après avoir remporté moult prix, La La Land a été sacré film de l’année. Sauf que, bam, la carte gagnante a été mal lue. «Euh… en fait… c’est Moonlight qui a gagné.» Une fin à laquelle on n’aurait pas cru au cinéma.
Des prix, des gags , encore des prix, encore des gags et un gros QUOI?!?!
C’est l’instant où la mâchoire de tout le monde est tombée par terre. Celui où pendant les mercis des producteurs de La La Land, qui saluaient leur épouse, on a entendu les mots : «Euh… c’est une erreur, le film de l’année est Moonlight.»
Personne ne comprenait plus rien, c’était le bordel dans la salle. Pendant que les artisans de La La Land s’éloignaient du micro et reculaient vers le fond de la scène, ceux de Moonlight s’avançaient, le réalisateur Barry Jenkins en tête, la main sur la bouche et les yeux exorbités, vers le lieu occupé quelques secondes plus tôt par une autre équipe. Pendant un instant, on a pensé que ouh, la classe, la bande de la comédie musicale faisait son Adele aux Grammy – à savoir, remettait son prix à un concurrent qu’elle jugeait plus méritant. Mais non, semblerait simplement que Warren Beatty et Faye Dunaway, les présentateurs dudit prix, aient mal lu la carte («Warren, qu’as-tu fait là!» s’est écrié, mi-figue mi-raisin, Jimmy Kimmel.)
Sinon, du côté québécois, LE moment est survenu deux heures plus tôt. C’est là que bien des cinéphiles d’ici ont crié devant leur écran. Là où le prix du Meilleur montage sonore a été remis à «Arrival. Sil-vaigne Bel-ou-mar.» (comprendre : Sylvain Bellemare). «Ils disent de prendre une grande respiration. 30 secondes, 29, 28…» a compté le Montréalais de 49 ans au micro, avant de s’exclamer, avec chic: «Ce prix est collaboratif! Salut Montréal! Denis, où es-tu? I love you so much! You bring love to us. All we need is love!»
Nommé dans la catégorie du Meilleur réalisateur, Denis Villeneuve n’a pas remporté la statuette, même si pendant un instant on y a cru en entendant Amy Adams dire que le prix était remis à «Ddd… amien Chazelle». Ce dernier est devenu, à 32 ans, le plus jeune réal à jamais remporter un Oscar (pour La La Land). Restant dans l’esprit de sa comédie musicale, légère et hop-la-vie, il n’a pas lancé de message politique, social ou unificateur particulier. Il a plutôt opté pour un merci mignon à l’adresse de sa copine : «C’est un film sur l’amour et j’ai été assez chanceux pour tomber amoureux pendant le tournage.»
L’interprète principale de son film, Emma Stone, sacrée reine dans la catégorie de la Meilleure actrice, a également baigné dans les mêmes eaux pour son discours. «J’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Et ce p’tit bonhomme (lire: mon Oscar) va m’aider à y arriver!» a-t-elle lancé après avoir salué les grandes dames qui concouraient avec elle dans la même catégorie.
Toujours pour ce même film, Samuel L. Jackson a remis sans trop d’enthousiasme le prix de la musique originale à «Justin Hurwitz pour (soupir, voix blasée) La La Land».
Sur une note drôlement plus politique, il y a eu l’Oscar du Meilleur film étranger décerné au cinéaste iranien Asghar Farhadi, pour The Salesman. Dans une lettre, le gagnant-absent a lancé un appel à l’empathie et a expliqué son boycott de la cérémonie. «C’est un grand honneur de recevoir ce prix pour une deuxième fois. Mon absence est motivée par mon respect pour les ressortissants de mon pays et des six autres nations à qui on interdit l’entrée aux États-Unis.»
Soulignons ici que si le gala a connu une légère baisse de régime en milieu de parcours (normal, dira-t-on), Jimmy Kimmel a assuré. Il s’est moqué ponctuellement de son souffre-douleur, Matt Damon, qui a donné «le rôle qu’il devait jouer dans Manchester by the Sea à son ami d’enfance Casey Affleck pour faire un film où il joue un guerrier chinois avec une couette» (lire : The Great Wall). Ledit Casey a d’ailleurs été sacré Meilleur acteur en fin de soirée pour ce rôle. Une victoire controversée, des accusations de harcèlement sexuel planant sur le lauréat. «J’aurais aimé avoir quelque chose de significatif à dire», a-t-il sobrement affirmé.
Matt a aussi remis l’Oscar du scénario à Kenneth Lonergan, sous une musique assourdissante visant à chasser les gagnants prenant trop de temps au micro. «Vous m’enterrez? Sérieusement?!»
Autres blagues de Jimmy? Lorsqu’il a présenté Cheryl Boone Isaacs, la femme à la tête de l’Académie. «Vous conviendrez qu’elle représente quelque chose de très étrange de nos jours, soit un(e) président(e) croyant à l’art et à la science. Ou lorsqu’il a invité les journalistes de CNN, du L.A. Times ou de «n’importe quoi qui comporte le mot “Times”, même si ces temps font référence aux temps médiévaux» à quitter la pièce. «On aime les faux bronzages, mais les fausses nouvelles? Pfffft!» s’est-il amusé, toujours à l’adresse de Trump, bien sûr.
Histoire de rassasier les hôtes probablement affamés, Kimmel a également fait pleuvoir des petits sacs de bonbons du plafond. («Non, on n’a pas de popcorn»), et on a vu certaines stars se jeter sur les paquets. «Ne vous faites pas mal, l’an prochain, on devrait distribuer les Oscars de la même manière», a-t-il blagué.
Notons un moment un peu malaisant, dont on se serait passé, celui où des «gens ordinaires» (ish le qualificatif) sont entrés, pensant naïvement qu’ils allaient «faire un p’tit tour touristique d’Hollywood». Il y avait Shelly, avec son couvre-téléphone en diamant, qui capotait. Yulery, dont le nom rime avec «jewelry». Et une dame et son fiancé qui a affirmé que son acteur préféré est : «Mmmm. Cet homme juste là» (en pointant Denzel Washington). Bof.
Départ dansant
La soirée a commencé par un changement bienvenu du traditionnel et éculé concept de la vidéo réunissant des clins d’œil aux films en nomination (on a été là, on l’a fait, been there, done that, merci). On a plutôt été pour hop, Justin Timberlake, qui s’est pointé dans la salle en chantant Can’t Stop the Feeling point d’exclamation. Tirée de la bande-son du film animé des Trolls, cette pièce guillerette est menée par un impératif: «Just dance, dance, dance.»
Clairement, tout le monde avait besoin d’un peu de légèreté en ces temps sombres. Et JT s’est arrangé pour en saupoudrer dès le départ: «Du parterre au balcon, faites du bruit! Hollywood, tu es jolie ce soir! Te sens-tu jolie?»
Le joli monde semblait se sentir bien, se trémoussant, tapant des mains, chouette. Puis, l’étoile de la pop a cédé la place à Jimmy Kimmel. Mais pas avant que toute la salle se soit rassise, visiblement fatiguée par les stepettes servies en entrée. Le maître de cérémonie a fait mine d’être choqué. «Oh. Super. J’ai une ovation assise.» Il a enchaîné avec le même ton un peu ironique. «C’est ma première fois aux Oscars et, à voir la façon dont vous traitez vos animateurs, probablement la dernière.»
L’intro a mené au sujet qui préoccupe, celui du climat social actuel. «Le pays est divisé en ce moment. On m’a dit: ce soir, tu dois ramener les gens ensemble. Mais je ne peux pas faire ça. Il n’y a qu’un seul Braveheart dans cette pièce, et il ne peut rien faire non plus.» Caméra sur Gibson. «Mel, t’as l’air en pleine forme. La scientologie te sied bien.»
Kimmel a aussi fait un clin d’œil aux commentaires prononcés par Trump au lendemain des Golden Globes, où Meryl Streep a dénoncé ses pratiques et valeurs au micro. «Elle a bravé le temps avec ses performances ternes et surestimées, en commençant par celle, médiocre, dans Deerhunter. Veuillez vous lever et l’applaudir de façon complètement imméritée!» Il a ensuite regardé la tenue de la star en nomination pour une 20e fois le sourcil levé. «Belle robe. C’est une création d’Ivanka?»
«Hey @realDonaldTrump, ça va? – #merylfaitdirebonjour» – Jimmy Kimmel, animateur de la soirée, s’inquiétant du silence inhabituel du président américain sur Twitter, et décidant de le provoquer un peu en lui envoyant quelques messages
Solidarité et unité
Le gala a été fait de belles manifestations de solidarité, de discours qui sont sortis du nombril des gagnants et de leur entourage. À commencer par Mahershala Ali, qui a remporté les honneurs pour son rôle de soutien dans Moonlight. Tandis qu’il allait chercher son premier Oscar à vie, son concurrent Jeff Bridges, nommé lui aussi, et assis dans la première rangée, lui a donné une tape dans le dos. «Ma grand-mère aurait voulu que je me boutonne», a lancé l’acteur honoré en faisant précisément ça, se boutonner, et en remerciant tous les professeurs («J’en ai eu d’incroyables») qui l’ont inspiré dans son parcours. Il a aussi salué sa femme, enceinte durant le tournage, qui a donné naissance à leur fille « il y a quatre jours».
«En tant que Mexicain, en tant que latino-américain, en tant que travailleur immigrant, en tant qu’être humain, je suis contre toute forme de mur visant à nous diviser.» – Gael García Bernal, après avoir présenté l’Oscar du meilleur court métrage d’animation à Piper et avant de remettre celui du meilleur long métrage de la même catégorie à Zootopia
Autre message d’espoir : celui lancé par les maquilleurs récompensés de Suicide Squad, Giorgio Gregorini, Christopher Nelson et Alessandro Bertolazzi. Ce dernier, rappelant ses racines italiennes, a dédié son prix à tous les immigrants. Il y a également eu Janelle Monàe, Octavia Spencer et Taraji P. Henson, les actrices de Hidden Figures, film racontant l’histoire de trois femmes noires ayant contribué aux programmes aéronautiques et spatiaux de la NASA. Des femmes de l’ombre. Rayonnantes, elles ont convié une de celles ayant inspiré ledit film, soit Katherine Johnson, 98 ans, physicienne, mathématicienne et ingénieure spatiale américaine, à monter sur scène avant de remettre l’Oscar du Meilleur docu à O.J. Made in America, de Caroline Waderlow et Era Edelman. Ce dernier a dédié son prix «aux victimes de brutalité policière, de violence raciste, d’injustice».
Tribune bien utilisée.
«Je suis devenue une artiste et, Dieu merci que je l’ai fait! Puisque nous sommes la seule profession qui célèbre ce que cela signifie, de vivre une vie.» – Viola Davis, en remportant le prix de la Meilleure actrice de soutien pour son rôle dans Fences. («Je ne sais pas si quelqu’un va être capable de faire un discours après ça. Viola vient d’être nommée pour un Emmy pour ses remerciements, d’ailleurs», a commenté Jimmy Kimmel sur le sujet.)