Moderniser la Loi sur les langues officielles pour mieux protéger la francophonie canadienne
Alors que le Québec voit le déclin du français s’agrandir de jour en jour, le gouvernement fédéral s’apprête à voter le projet de loi C-32 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles. Dans un texte de La Conversation, le professeur à l’Université d’Ottawa François Larocque revient sur les ambitions de ce projet.
Le gouvernement fédéral, par l’entremise de la ministre Mélanie Joly, a récemment déposé le projet de loi C-32 visant la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), vieille de 51 ans. Le projet de loi introduit des mesures ambitieuses pour atteindre l’égalité réelle entre le français et l’anglais.
Il s’agit de la plus importante proposition de réforme sur le statut du français et de l’anglais au Canada depuis l’adoption, en 1982, de la Charte des droits et libertés, qui a inscrit les principales dispositions de la LLO de 1969 dans la Constitution canadienne. La dernière grande réforme remonte à 1988.
La Charte et la LLO proclament toutes deux que « le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux […] dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ».
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En réalité, bien sûr, comme Statistique Canada le rapporte régulièrement, l’anglais domine partout alors que le français est en déclin, y compris au Québec.
À l’instar de la nouvelle politique linguistique publiée au mois de février, le projet de loi C-32 se fonde sur le constat indéniable « que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais » et que le gouvernement fédéral doit en faire plus pour protéger le français.
En ce sens, le projet de loi C-32 concorde avec les principes bien établis en matière de droits de la personne : les différentes réalités exigent un traitement différencié afin que l’égalité réelle (par opposition à l’égalité formelle) puisse être réalisée. Une approche explicitement asymétrique aux langues officielles constitue un changement législatif remarquable et salutaire.
En tant que chercheur et professeur s’intéressant aux droits linguistiques des communautés de langues officielles minoritaires et des peuples autochtones, j’estime que le projet de loi C-32 atteint son objectif de favoriser une « égalité réelle » entre les deux langues officielles.
En faire davantage pour le français
Atteindre une égalité réelle entre les langues officielles, c’est donner un coup de pouce au français. À cette fin, le projet de loi C-32, qui fait plus de 55 pages, introduit une gamme de mesures ambitieuses visant à soutenir les communautés francophones et leurs institutions, à améliorer l’accès à l’immersion française et, plus généralement, à renforcer l’exemplarité du gouvernement fédéral en matière de bilinguisme officiel.
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Par exemple, la loi obligerait désormais le gouvernement à adopter une politique d’immigration francophone favorisant la vitalité des communautés minoritaires francophones, en mettant l’accent sur le recrutement d’enseignants francophones pour les programmes d’immersion, de langue seconde et de français. L’objectif ici, exprimé dans le préambule que propose le projet de loi C-32, est d’améliorer les possibilités pour tous les Canadiens d’acquérir les deux langues officielles et de favoriser une plus grande cohésion sociale à l’échelle du pays.
De nombreux changements sont sensés et opportuns, comme l’exigence d’une révision périodique de la LLO tous les dix ans et le renforcement des pouvoirs d’exécution du commissaire aux langues officielles. De plus, le projet de loi C-32 reconnaît les démarches de réappropriation et de revitalisation linguistique entreprises sous l’égide de la Loi sur les langues autochtones.
Le secteur privé interpellé
L’une des propositions les plus ambitieuses est l’application de la LLO aux entreprises privées relevant de la compétence fédérale (comme les banques, les entreprises de transport et de télécommunication) qui exercent leurs activités au Québec et dans les régions du Canada à forte présence francophone, telles que le Nouveau-Brunswick et l’Est de l’Ontario.
Ces dispositions du projet de loi C-32 sont calquées sur le projet de loi 96 déposé en mai à Québec visant, entre autres, à assujettir les entreprises fédérales à la Loi 101. Ces projets de loi parallèles ont le même objectif : protéger le français en dehors du secteur public et normaliser son utilisation comme langue de travail et de service dans un plus grand nombre de milieux.
Au Québec et dans d’autres régions francophones, les employeurs et les entreprises de compétence fédérale seraient tenus de communiquer avec les travailleurs et les consommateurs dans la langue officielle de leur choix.
La reconnaissance du fait que le secteur privé ait un rôle à jouer dans la promotion de la sécurité linguistique est un développement opportun. Il reste cependant à voir si cette mesure saura satisfaire le Bloc québécois et les autres partis de l’opposition qui privilégient la proposition législative québécoise.
Une Cour suprême bilingue
Une autre proposition phare est d’abroger la disposition de la LLO qui exempte actuellement la Cour suprême du Canada de l’obligation d’assurer que les juges saisis d’un appel puissent comprendre les deux langues officielles sans l’aide d’un interprète. Cette mesure codifie la pratique actuelle du gouvernement qui consiste à ne nommer que des juges bilingues et alignerait la Cour suprême sur les autres cours et tribunaux fédéraux.
Certaines critiques allégueront qu’une telle mesure fera obstacle aux candidats autochtones et racialisés. En revanche, la nomination récente du juge Mahmud Jamal – la première personne non blanche à être nommée au plus haut tribunal du pays – démontre éloquemment que la diversité et le bilinguisme sont loin de s’exclure mutuellement au Canada.
Les périls de la politique partisane
Bien que le projet de loi C-32 contienne plusieurs des propositions avancées par le chef du parti conservateur Erin O’Toole pour protéger le français, il va beaucoup plus loin et sa portée ambitieuse allumera assurément l’opposition. Par exemple, le projet de loi C-32 reconnaît la CBC/Radio-Canada comme une institution fédérale phare qui promeut la vitalité des deux langues officielles dans tout le pays, une mesure qui vise probablement à contrecarrer le plan de Erin O’Toole d’affaiblir considérablement le radiodiffuseur national.
Une autre disposition potentiellement litigieuse est celle qui enchâsse le Programme de contestation judiciaire dans la LLO. Le Programme, qui finance les litiges contre le gouvernement relatifs au droit à l’égalité et aux droits linguistiques, a été aboli par les conservateurs en 2006 avant que les libéraux ne le rétablissent et l’élargissent en 2017.
Si le gouvernement déclenche une élection au cours des prochaines semaines, comme le veut la rumeur, le projet de loi C-32 mourra au feuilleton. Le cas échéant, le gouvernement s’est engagé à le déposer derechef dès l’ouverture de la prochaine session parlementaire.
Certains médias anglophones critiquent la surenchère sur le français qu’opère le projet de loi C-32. En revanche, les réformes proposées reflètent largement les aspirations des communautés francophones et acadiennes. Sa mise en œuvre est réalisable si les partis arrivent à s’entendre sur l’importance de faire primer la sécurité linguistique des communautés minoritaires sur la bisbille partisane.
François Larocque, Professor, Research Chair in Language Rights, Faculty of Law, Common Law Section | Professeur, Chaire de recherche Droits et enjeux linguistiques, Faculté de droit, Section de common law, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.