Avortement en campagne: la plupart des ecclésiastiques évitent les esclandres
James Altman est un prêtre catholique du Wisconsin, peu connu en dehors de sa paroisse jusqu’à il y a quelques semaines. Robert Jeffress est un pasteur bien connu d’une méga-église baptiste de Dallas. Ils ont un message en commun pour les membres de leur confession: voter pour les démocrates qui soutiennent le droit à l’avortement est un mal qui mérite potentiellement une damnation éternelle.
Cette rhétorique incendiaire, ouvertement partisane, attire l’attention, mais elle reste l’exception dans le paysage religieux diversifié des États-Unis, même en cette année électorale où les Américains sont particulièrement divisés.
La plupart des membres du clergé, dont des ennemis notoires de l’avortement, évitent d’appuyer ou de dénoncer ouvertement des candidats. Ils formulent leur position sur l’avortement de manière à respecter plusieurs points de vue.
L’Église évangélique luthérienne en Amérique (ELCA), par exemple, adhère depuis trois décennies à une politique nuancée visant à respecter les fidèles de tous les côtés du débat.
«Nous disons que l’avortement doit être considéré comme une voie de dernier recours, mais nous défendons le droit de la femme à prendre des décisions sur son propre corps», a déclaré l’évêque Paul Egensteiner, qui dirige le synode métropolitain de New York de l’ELCA.
L’Association nationale des évangéliques, qui représente environ 45 000 églises, affirme dans un énoncé de politique qu’elle «s’oppose activement, ardemment et fermement à l’avortement sur demande», mais en même temps elle appelle à la courtoisie.
«Nous ne rejetons pas ceux qui plaident pour un accès légal à l’avortement (et ne les décrivons pas) comme étant indifférents à la vie humaine ou indignes de notre respect et de notre attention», écrit-elle.
Être à la fois catholique et démocrate?
De telles prises de position diffèrent nettement de celles proposées récemment par MM. Altman et Jeffress.
«Vous ne pouvez pas être catholique et démocrate», a tranché M. Altman dans une vidéo YouTube, dans laquelle il exhorte les gens à «se repentir de (leur) soutien à ce parti et à sa plateforme ou à affronter les incendies de l’enfer».
Ses commentaires ont été critiqués par de nombreux catholiques, alors qu’ils ont été approuvés par d’autres, comme l’évêque Joseph Strickland, du diocèse de Tyler, au Texas.
M. Jeffress, le pasteur de la First Baptist Church de Dallas et un proche allié de Donald Trump, emploie un langage tout aussi fort pour dénoncer l’adversaire du président.
«Tant que Joe Biden et le Parti démocrate continueront à soutenir l’avortement sans restriction pour quelque raison que ce soit et à n’importe quel stade de la grossesse, les prêtres et les pasteurs comme moi n’auront aucun problème à dire: « Seuls les chrétiens qui ont vendu leur âme au diable voteraient pour Joe Biden »», a-t-il déclaré dans un courriel.
L’église de M. Jeffress est affiliée à la Southern Baptist Convention (SBC), la plus grande congrégation protestante du pays. Ses dirigeants ont adopté une position antiavortement stricte il y a près de 40 ans qui reste en place.
Daniel Patterson, vice-président de la branche des politiques publiques de la Southern Baptist Convention, a indiqué que la plupart des pasteurs de la congrégation ne s’engagent pas dans la politique partisane depuis la chaire, bien qu’ils soient libres d’aborder l’avortement et d’autres questions comme bon leur semble.
Critiques envers la partisanerie
Le révérend Kevin Smith, directeur principal de la Convention baptiste du Maryland / Delaware et l’un des plus hauts dirigeants afro-américains de la SBC, a critiqué les chrétiens qui soulignent leur opposition à l’avortement tout en minimisant le problème du racisme. Il s’est aussi opposé à la partisanerie qui fait des incursions dans certaines églises.
«Alors que trop de soi-disant pasteurs attendent les points de discussion du matin de leur parti politique choisi, trop nombreux sont ceux qui échouent dans une tâche pastorale essentielle», a-t-il écrit sur Twitter le mois dernier.
Plus tôt ce mois-ci, l’Association nationale des évangéliques (NAE) a publié une déclaration se repentant des lacunes dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités raciales. Elle s’est engagée à «résister à la récupération des programmes politiques» et à défendre une «éthique pro-vie globale qui protège à la fois les enfants à naître et les personnes vulnérables de tous âges».
Le président de l’association, le révérend Walter Kim, a déclaré que de nombreux pasteurs de la NAE prêchaient sur diverses politiques, mais que la plupart évitaient les appuis politiques.
Un membre du conseil d’administration de la NAE, le révérend Mitch Hescox, dirige le Réseau environnemental évangélique, qui exhorte les pasteurs à élargir le concept de «pro-vie» afin qu’il englobe les efforts de protection de l’environnement.
«Il incomberait aux pasteurs de se soucier des gens plutôt que de se lancer dans la politique, a plaidé M. Hescox. Nous sommes censés être une voix pour nos valeurs et ne pas choisir notre camp.»
Des congrégations pro-choix
Certaines congrégations protestantes ont des positions officielles pour les droits reproductifs.
Selon une résolution de l’Église épiscopale de 2018, l’accès à l’avortement «fait partie intégrante de la lutte d’une femme pour affirmer sa dignité et sa valeur».
L’Église Unie du Christ a une politique similaire. Son président, le révérend John Dorhauer, s’est dit irrité par les avertissements de certains pasteurs selon lesquels les fidèles risquaient de trahir leur foi avec leurs choix politiques.
«Dire à un membre doté d’une conscience et d’une autorité morale qu’un vote pour un parti ou un candidat en particulier est une violation de sa foi est, à mon humble avis, contraire à l’éthique et immoral», a-t-il soutenu.
L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, connue pour ses opinions sociales conservatrices, affirme que les avortements «pour des raisons personnelles ou sociales» violent les enseignements de l’Église et peuvent conduire à l’excommunication.
Cependant, l’église affirme que des circonstances exceptionnelles peuvent justifier certains avortements, par exemple lorsque la grossesse résulte d’un inceste ou d’un viol ou que la santé d’une femme est menacée.
Matthew Bowman, professeur d’histoire et de religion à la Claremont Graduate University, a expliqué que la plupart des membres de cette église s’opposaient à l’avortement, mais que ses dirigeants n’avaient pas utilisé la question comme un cri de ralliement politique.
Les autres religions plus flexibles
Dans le judaïsme, la religion non chrétienne la plus répandue aux États-Unis, l’avortement n’a pas été aussi politisé que dans les congrégations chrétiennes. Les branches conservatrice et réformiste disent que l’avortement est acceptable dans diverses circonstances et que la décision appartient à la femme concernée.
Les juifs orthodoxes sont plus ouverts aux restrictions sur les avortements électifs, a déclaré le rabbin Avi Shafram, porte-parole d’Agudath Israel of America,
Mais son organisation faîtière orthodoxe «ne soutiendrait aucune loi qui donne à un enfant à naître une « personnalité », puisque la loi religieuse juive conseille l’avortement dans de rares cas», a déclaré M. Shafran par courriel.
«Nous aimerions cependant que l’avortement soit traité avec plus de gravité, comme plus qu’un simple « choix de la femme ».»
Pour de nombreux musulmans américains, l’avortement est «essentiellement un faux problème», selon Atiya Aftab, qui préside le Centre pour la vie islamique de l’Université Rutgers.
«Depuis les jours de formation de la loi islamique il y a plus de 1000 ans, les universitaires classiques ont adopté des positions variées sur l’avortement, de sa permission à son interdiction», a-t-elle indiqué dans un courriel.
Des érudits islamiques plus récents ont émis diverses décisions, notamment sur le début de la vie. L’avortement est généralement mal vu si la pauvreté est le motif, mais accepté si la santé d’une femme est menacée.
David Crary, The Associated Press