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Comment aborder les enjeux trans

Le 27 novembre dernier, Lysiane Gagnon réécrivait l’histoire des luttes LGBT en nous apprenant que les personnes trans s’étaient imposées dans l’acronyme, effaçant du coup l’identité des homosexuels. Plusieurs membres de la communauté LGBT, dont plusieurs personnes trans, m’ont indiqué avoir envoyé des lettres à La Presse en réponse à madame Gagnon. À ma connaissance, La Presse n’en a publié aucune. Et bien que j’aie personnellement offert une réplique à madame Gagnon dans la tribune qui m’est offerte ici, j’estime qu’il aurait été nécessaire que La Presse publie une contrepartie à l’opinion de son éditorialiste, de la part des personnes à qui elle s’attaquait.

Récemment, le chroniqueur Richard Martineau a aussi suscité la colère de la communauté trans avec un texte intitulé «Après le sexe : changez de race!» Plusieurs personnes trans m’ont indiqué avoir porté plainte au Conseil de Presse mais, comme le Journal de Montréal n’est plus membre de ce tribunal d’honneur, l’impact de ces plaintes est incertain. Bien que le texte ne prenne pas position en faveur ou en défaveur des phénomènes qu’il présente, force est de reconnaître qu’il contient certaines maladresses. J’y reviendrai.

Récemment, l’animatrice Sophie Durocher, la conjointe de monsieur Martineau, nous apprenait, dans le cadre de son émission OpenTélé, que son neveu, un homme trans, avait été l’une des sources de sa sensibilisation à la cause des personnes trans. Bien que les membres d’un couple ne partagent pas toujours les mêmes idées, prenons pour acquis que, dans le cas qui nous occupe, monsieur Martineau et madame Durocher partagent une certaine sensibilité à l’égard de la cause LGBT, notamment en raison de leur neveu. En fait, je suis persuadée de leur bonne foi. On peut reprocher à l’occasion aux deux commentateurs d’être réactionnaires, mais sauf exception, on ne peut pas leur reprocher leur homophobie. Au pire, on peut leur reprocher certaines maladresses. J’y reviendrai.

Le 15 janvier dernier, le site Grantland, une sorte d’hybride entre Urbania et RDS, publiait l’histoire de l’inventrice mythomane d’un bâton de golf révolutionnaire.

Cinq jours plus tard, l’éditeur du site publiait une lettre d’excuses. «We definitely screwed up», a-t-il affirmé. Comment? En faisant ses recherches, le journaliste a découvert que l’inventrice avait menti au sujet de ses diplômes. Il a aussi découvert qu’elle était née homme, et c’est là qu’il s’est emmêlé entre ce qui était pertinent et ce qui ne l’était pas pour son histoire. Or, avant que l’histoire ne soit publiée, l’inventrice – qui a spécifié au journaliste ne pas vouloir être au cœur de son reportage – s’est enlevée la vie, s’ajoutant aux lourdes statistiques de suicide qui pèsent sur la communauté trans. Outre le fait que le sujet se soit suicidé, ce qu’on ne peut attribuer officiellement à l’anxiété causée par la publication du reportage et d’un éventuel coming out forcé, l’article contient certaines maladresses. J’y reviendrai.

La lettre de l’éditeur de Grantland est une belle leçon d’humilité pour la profession journalistique. «Notre plus grande erreur : ne pas nous être renseignés sur [les enjeux qui touchent la communauté trans]».

En anglais, GLAAD (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation) a développé un guide des bonnes pratiques journalistiques pour aborder des sujets trans. La bonne utilisation des pronoms y est précisée, de même que certains mots à éviter.

Bien que la Chambre de commerce gaie du Québec ait développé un utile lexique sur la diversité sexuelle et de genre en milieu de travail, il serait peut-être temps qu’un tel guide soit proposé aux journalistes. En 2015, il devrait être du devoir de chaque journaliste de se renseigner sur les bons termes à employer pour traiter d’enjeux LGBT dans le respect. Ce fardeau ne devrait plus incomber aux personnes trans.

Toutefois, en tant que journaliste, je sais exactement combien la rectitude politique peut parfois nous sembler dans les jambes de la vérité. Connaissant l’importance du langage, nous craignons souvent que des usages lexicaux imposés par un groupe, aussi favorables soyons-nous envers ce groupe, induise une déformation de la réalité en créant une forme de novlangue. La crainte de mal aborder ces enjeux peut parfois nous décourager de le faire, ce qui ne nous avance pas. Et parfois, nous croyons que tout ce qui est doit être dit, oubliant tout ce que l’on ne dit pas lorsque l’on parle de personnes qui ne sont pas trans.

Quand j’ai appris que certaines personnes trans n’appréciaient pas les questions trop personnelles, notamment au sujet de leur appareil génital, je me suis un moment trouvée à prendre parti pour les journalistes, au nom du droit à l’information. Si Laverne Cox veut être un modèle pour les jeunes trans, ne doit-elle pas s’attendre à parler de son expérience dans les moindres détails? En tant qu’intervenante au GRIS, j’ai aussi été formée à répondre à TOUTES les questions des jeunes, et je crois qu’il s’agit d’une meilleur moyen pour démystifier (enlever le mystère autour de…) l’homosexualité.

Puis, je suis tombée sur cette entrevue où Janet Mock, une militante pour les droits des personnes trans, inverse les rôles de l’intervieweur et de l’interviewé. «Premièrement, je dois vous dire que vous êtes belle, dit-elle à la journaliste qui s’est prêtée au jeu. Ce qui est surprenant, c’est que si je vous regardais, je ne devinerais jamais que vous n’êtes pas une femme trans». Cette entrevue inversée m’a fait comprendre comment, lorsque nous parlons des personnes trans, nous mettons insidieusement l’accent sur ce qui les différencie. Que sous-entendons-nous lorsque nous mettons l’accent sur la beauté physique d’une personne trans? Comment réagirais-je si, en 2015, au nom du droit des gens de savoir, on me demandait en entrevue comment je fais l’amour avec ma blonde? Quant à la question génitale, une amie trans m’a montré combien il était facile d’avoir des réponses fiables – vraiment – à toutes vos questions via Dr. Google.

Ceci étant dit, la communauté trans, comme toutes les communautés, n’est pas homogène. Si certaines personnes sont réticentes à aborder des questions intimes, d’autres n’attendent que ça. Certains vous diront qu’ils sont nés dans le «mauvais corps», d’autres réfuteront d’emblée cette idée essentialiste. Surprise surprise, tous les humains sont différents. Il revient au journaliste de présenter son sujet comme étant ouvert et/ou nuancé*.

D’autres obstacles se posent au traitement respectueux des enjeux LGBT dans les médias et l’un de ces obstacles s’applique à tout rapport intervieweur/interviewé. Presque chaque fois qu’une personne accorde une entrevue, elle oublie que l’entièreté de ce qu’elle dit fait partie de l’entrevue et pourra être publié. Une fois, j’ai fait le portrait d’un cocher cracheur de feu. Durant l’entrevue, le cocher m’a confié les difficultés qu’il avait eu à faire accepter son choix de carrière à ses parents. «Quand j’étais petite, j’étais vraiment un p’tit gars manqué. Je voulais devenir mécanicienne, mais tout le monde me décourageait de ça. Ils me disaient que j’allais toujours avoir les mains sales, même si moi ça ne me dérangeait pas». Le cocher m’a réécrit plusieurs semaines plus tard pour me dire que j’avais employé le mauvais pronom, mais que l’erreur était probablement de lui, puisque lorsqu’il parlait de son enfance, il avait effectivement tendance à parler de lui au féminin.

Ce genre de situation pose des dilemmes difficiles à décortiquer pour les journalistes. L’anecdote d’enfance de ce cocher est pertinente, puisqu’elle illustre la force du genre sur les codes que l’on impose aux enfants. En même temps, la raconter en respectant le genre d’après lequel souhaite être abordé cette personne aujourd’hui enlève du sens à l’histoire. Révéler l’identité sexuelle de cette personne n’apparaît pas beaucoup plus pertinent. Cette question n’a pas, à ce jour, trouvé de réponse dans mon esprit.

Au fil du temps, par contre, j’ai trouvé quelques alliés pour m’aider à résoudre ces questions. En fait, ce sont plutôt eux qui m’ont trouvée. Il s’agit de personnes trans qui, de temps à autre, me soulignent poliment mes maladresses dans mes textes. Je ne me fie pas qu’à l’une d’elles comme certains se fient à «leur ami noir» pour leur dire ce qui est raciste ou non. Je discute avec plusieurs d’entre elles, j’essaie de me mettre à leur place, et, avec toute ma bonne foi, je fais de mon mieux, en acceptant aussi que l’erreur soit humaine.

J’ai dit plus tôt que je reviendrais sur les maladresses de chacun, mais c’était un mensonge. Je ne pointerai pas des doigts à qui mieux-mieux. Je me contente de mettre les outils à la disposition de ceux qui veulent vraiment être de bonne foi dans le traitement des enjeux LGBT.

* Toutefois, l’usage des pronoms adéquats fait consensus dans la communauté. En 2015, franchement, c’est la base.

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