La lutte contre le VIH au ralenti au Québec
La pandémie laisse derrière elle un constat alarmant: si rien n’est fait, le nombre de personnes infectées par le VIH pourrait augmenter à nouveau. Pendant la pandémie, le système de soin a fortement été mobilisé, faisant ainsi chuter le nombre de tests de dépistage effectués. En 2020, l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) estimait qu’entre 15 000 et 20 000 personnes vivent avec le VIH au Québec, mais 10% d’entre elles ne le sauraient pas.
Derrière ce recul, le milieu communautaire dénonce un désengagement de la classe politique à l’égard de la lutte contre le VIH. Pour preuve, la dernière fois qu’une coalition regroupant les organismes engagés dans la lutte contre le Sida, la COCQ-SIDA, a pu rencontrer un ministre de la santé québécois était en 2013.
En 2020, le nombre de tests de dépistages du VIH réalisés au Québec a chuté de 18% pour remonter de 4,7% en 2021, soit l’équivalent des chiffres de l’année 2016. Une proportion élevée de personnes apprennent leur séropositivité – qu’elles sont porteuses du virus – dans le cadre d’un premier test de dépistage.
Pour le président du conseil d’administration de la COCQ-SIDA, Guy Gagnon, cette baisse du dépistage est un «marqueur important» d’un recul dans la lutte contre le VIH. La COCQ-SIDA regroupe des organismes communautaires à travers le Québec, qui œuvrent à mettre fin à l’épidémie du VIH/sida sur le territoire québécois.
«Pour traiter les personnes et qu’elles deviennent indétectables, elles doivent être dépistées et elles doivent connaître leur statut, cette baisse-là est préoccupante donc ces gens-là doivent connaitre leur statut, dit-il.
Les personnes dont la charge virale est dite «indétectable» ne peuvent pas transmettre le virus lors d’un rapport sexuel non protégé. Pour se faire, la personne séropositive doit avoir un traitement adapté, ce qui permet à sa charge virale d’atteindre des niveaux ne permettant pas la transmission du VIH.
Le nombre de diagnostics tardifs d’une infection au VIH inquiète aussi le milieu communautaire. En 2020, les diagnostics tardifs ont augmenté de 39,7% pour ensuite presque doubler en 2021 (48,4%). Derrière ces chiffres, ce sont des personnes qui ne savaient pas avant d’avoir leur résultat qu’elles étaient porteuses du virus, courant ainsi le risque de complications médicales et de transmettre le VIH à d’autres personnes sans le savoir.
Le nombre de diagnostics au Québec a quant à lui baissé de 21,4% entre 2019 et 2020 et de 3,3% entre 2020 et 2021. Bien que ces baisses pourraient sembler encourageantes, pour le communautaire, elles seraient plutôt les conséquences d’une pandémie qui a monopolisé une grande partie des ressources en santé et drastiquement affecté les capacités de dépistage.
Selon l’INSPQ, il n’y aurait pas de «raison unique» à cette baisse de tests de dépistage. Elle note d’ailleurs que le nombre de tests se révélant positifs serait resté relativement stable au cours des dernières années.
Un recul dans la prévention
Pour Guy Gagnon, le recul au Québec dans la lutte contre le VIH se constate aussi dans la détérioration de la prévention auprès de la population. Il regrette ainsi la disparition du budget de 1 M$ qui y était alloué. «Il a disparu et on n’en parle plus du tout dans les médias», dit-il.
Selon lui, des campagnes de prévention grand public permettraient de sensibiliser un plus grand nombre de personnes et de conscientiser la population à une transmission qui est toujours active dans la province.
«C’est préoccupant, car on ne rappelle pas à la population qu’il y a des risques de contamination et que les gens doivent prendre des mesures de prévention donc évidemment, tenir cet élément-là sous silence amène un recul, explique Guy Gagnon. Au fil du temps, la prévention s’est atrophiée et maintenant c’est un silence complet.»
En entrevue avec Métro, Vincent Marissal explique que le Québec a «mauvaise mine» pour ce qui est de la prévention. Alors que l’OMS recommande de mettre 5% du budget en prévention, il s’élèverait à moins de 2% au Québec.
«Chacun sait quelle est la suite de l’histoire, si on n’est pas capable de reprendre ce retard ou de le freiner ou même de reprendre là où on était avant la pandémie, la roue va se mettre à tourner encore une fois et on va en échapper de plus en plus, dit-il. Ce n’est clairement pas une priorité, on remet toujours beaucoup d’argent dans le curatif et dans les ententes avec les fédérations, mais en prévention au Québec on n’est pas bon, on est presque pourri.»
Quand on combat une épidémie comme celle du VIH/SIDA si on baisse la garde, la maladie va reprendre sa place.
Vincent Marissal., député solidaire
Lors d’un webinaire tenu à l’automne 2022, l’INSPQ a pu présenter les données les plus récentes sur le VIH au Québec. Parmi ses conclusions pour l’année 2021, l’INSPQ formule l’importance de poursuivre les efforts de prévention pour empêcher une montée potentielle des cas.
«On sait que la transmission du VIH est toujours active au Québec, y explique le chef de l’unité scientifique des ITSS à l’INSPQ, Pierre-Henri Minot. Elle pourrait augmenter parce qu’il y a tout de même une proportion de personnes vivantes avec le VIH qui ne connaissent pas leur statut, donc les efforts de prévention doivent se poursuivent.»
Au-delà des chiffres, Guy Gagnon dénonce un «manque de leadership» de Québec dans la lutte contre le VIH/SIDA. En 2021, la COCQ-SIDA a effectué une consultation de ces membres. De cet effort est né le plan d’action RIPOSTE qui identifie les moyens de prévention possibles et on et les facteurs bloquant l’atteinte des cibles de l’ONUSIDA pour 2025.
Bien que l’ensemble des partis d’opposition a reconnu la pertinence et la bonne structure de ce plan d’action, il n’aurait suscité aucun intérêt de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
«On tente de communiquer ces informations-là au gouvernement, mais ça demeure lettre morte. On est un peu étourdi devant ça, explique Guy Gagnon. Est-ce qu’ils ont une réelle préoccupation de l’évolution du VIH au Québec? C’est préoccupant.»
Selon l’organisme, le manque à gagner du milieu communautaire de lutte contre le VIH à Montréal s’élèverait à 371 185$. Le MSSS affirme quant à lui financer la COCQ-SIDA à «hauteur de sa demande», alors que ce-dernier déplore un financement par mission qui ne permet même pas de payer les salaires de ses employés.
Agir avant qu’il soit trop tard
Face à un tel constat, le député solidaire Vincent Marissal insiste sur l’importance d’augmenter significativement les financements en prévention et de favoriser l’accès aux traitements préventifs.
Car oui, bien qu’il n’y ait pas encore de vaccin contre le VIH, il existe bel et bien un antiviral nommé prophylaxie préexposition (PrEP ou PPrE), qui permet de réduire considérablement les risques d’infection par le VIH.
Malheureusement, bien que son efficacité dépasse les 90%, il n’est pas remboursé à 100% par l’assurance maladie comme c’est le cas en Colombie-Britannique ou dans d’autres pays comme la France ou la République dominicaine.
Entre 2016 et 2020, le nombre de personnes prenant la PrEP a été multiplié par quatre avec un bon de 1800 % chez les 18-24 ans. Son prix s’élève à près de 90$ par mois pour une personne couverte par l’assurance maladie et peut aller jusqu’à 200$ pour une personne sans aucune couverture médicale, comme c’est le cas pour de nombreuses personnes immigrantes.
«La science démontre qu’à défaut d’un vaccin la PrEP est la meilleure arme que l’on a, explique Vincent Marissal. Oui c’est des coûts, mais ça va couter pas mal plus cher dans quelques années si on l’échappe.»
Chaque cas infecté, non détecté, non diagnostiqué, non traité, va effectivement en infecter d’autres donc c’est maintenant qu’il faudrait juguler l’augmentation des cas d’autant qu’on était vraiment bien partis.
Vincent Marissal, député de Québec Solidaire
Guy Gagnon émet le même constat, alors que la PrEP permet de sauver chaque jour des vies, il craint que le contexte inflationniste ne pousse certaines personnes à délaisser ce traitement au profit d’autres dépenses comme l’alimentation ou l’hébergement.
«C’est un manque de vision, c’est une réaction à très courte vie, ce que certains pays semblent avoir compris c’est que chaque dollar investit dans la prévention, c’est chaque contamination et infection évitée, dit-il. Notre vision c’est de dire que si on investit dans les moyens de prévention, comme dans la diffusion de la PrEP, d’abord dans les années futures ont soulage le système de santé, et chaque dollar investit dans la prévention est un investissement dans le futur.»
Le suivi des personnes immigrantes de pays où l’épidémie de VIH est endémique inquiète aussi le milieu communautaire, car un partie de ces personnes arrivent au Québec sans savoir qu’elles sont séropositives.
Les femmes venant de pays où le VIH est endémique représentent d’ailleurs le groupe le plus touché (60,5% des nouveaux diagnostics chez les personnes s’identifiant au genre cisféminin) après les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HARSAH) pour 69,4% des nouveaux diagnostics chez les personnes s’identifiant au genre cismasculin.
Selon les plus récentes données datant de 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH au Québec étaient diagnostiquées et 85% d’entre elles suivaient un traitement. Au total, 96% des personnes sous traitement avaient une charge virale supprimée.
«Nous ne ménageons aucun effort»
Le cabinet du ministre Christian Dubé se défend d’avoir déposé il y a un an un plan d’action pour améliorer la prévention dans le réseau de la santé. Il explique que des travaux sont présentement en cours pour améliorer aussi l’accès au dépistage et prévenir la transmission du VIH au Québec.
«Soyons très clairs, nous ne ménageons aucun effort pour prévenir la transmission du VIH, déclare le cabinet. Nous avons demandé à la Santé publique de regarder comment nous pouvions bonifier l’offre de dépistage en collaboration avec les organismes communautaires.»
La Santé publique du Québec explique quant à elle ne pas constater de recul dans la lutte contre le VIH/SIDA au Québec et soutient même voir «le résultat positif des actions des dernières années». Questionnée sur une gratuité de la PrEP pour la rendre accessible à tous, la Santé Publique se contente de rappeler qu’elle est couverte par la RAMQ, bien que cela ne permet pas son remboursement intégral.
«Le Québec a été la première province du Canada à rendre accessible la prophylaxie préexposition au VIH ou PreP, dit-elle. Dès le début, le médicament a été remboursé par le régime public d’assurance-médicaments de la RAMQ et donc par les autres fournisseurs d’assurances dans la province.»