OTTAWA – Les conservateurs fédéraux ont décidé de souligner le jour de la Terre, lundi, en lançant un portail très attendu où le public peut avoir accès aux données entourant l’exploitation des sables bitumineux.
Le ministre de l’Environnement, Peter Kent, et son homologue albertaine, Diana McQueen, étaient à l’université Carleton d’Ottawa, lundi, pour lancer l’initiative, qui permettra à la population de consulter les résultats des recherches mesurant la qualité du sol, de l’air et de l’eau dans la région de l’Athabasca, en Alberta.
Il s’agit d’un contraste évident par rapport à l’approche défensive à laquelle nous ont habitués les conservateurs lors des dernières célébrations du jour de la Terre. L’an dernier, lors des marches organisées pour souligner l’événement, les conservateurs s’étaient déguisés en courant d’air alors qu’ils essuyaient des critiques pour leur décision de se retirer du protocole de Kyoto.
Et cette démarche nouvelle s’inscrit dans un effort urgent de rallier le public à la cause de l’exploitation des ressources naturelles, alors que les inquiétudes entourant les projets d’oléoducs se font de plus en plus vives.
«Je crois qu’ils sont en quête d’acceptabilité sociale, c’est certain», analyse Megan Leslie, porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière d’environnement. «C’est leur faute s’il s’agit d’une ‘quête’», poursuit-elle.
Le mécanisme de surveillance des sables bitumineux a été lancé il y a plus d’un an. Il était présenté alors comme un outil crucial dans le cadre des efforts déployés par Ottawa pour persuader les Canadiens — et le monde — que les sables bitumineux ne sont pas la source majeure de pollution et de réchauffement planétaire que les critiques dépeignent.
Une fois les données rendues publiques, les sceptiques seront confondus, a déclaré Peter Kent, lundi. Ils verront que le pétrole issu des sables albertains devrait être bien perçu et non dénigré, a plaidé le ministre.
«Cela permettra d’avoir accès aux faits, et la science défendra le produit que certains, à l’étranger, menacent de boycotter», déclarait-il au moment de l’annonce de la mise en place du système de cueillette des données en juillet 2011.
Vint ensuite le budget de 2012, et ses dispositions permettant le traitement accéléré des obstacles auxquels l’industrie doit faire face pour exploiter les ressources naturelles du Canada. Ces mesures avaient suscité l’ire d’une partie de la population, qui avait investi les rues de Vancouver et de Montréal au jour de la Terre du 22 avril 2012 afin de les dénoncer.
En décembre, une nouvelle voix s’était ajoutée au concert de critiques: celle des Premières Nations, mécontentes des mesures contenues dans les deux projets de loi budgétaires omnibus. Ces mesures remaniaient de façon draconienne les procédures en matière d’examen environnemental, les lois sur les pêcheries et la surveillance de la plupart des voies navigables canadiennes.
Les fameux oléoducs
Les yeux sont maintenant tournés vers l’Alberta, qui a l’intention de construire au moins un oléoduc pour assurer le transport de ses sables bitumineux vers un port côtier de l’Ouest. Le projet Northern Gateway a du plomb dans l’aile. Les inquiétudes de la population en ce qui a trait aux possibilités de déversements et aux enjeux de sécurité reliés au transport par superpétrolier risquent de le faire avorter.
Un autre chantier projeté, l’oléoduc Keystone XL, est dans la mire des environnementalistes des deux côtés de la frontière. Le pipeline doit assurer le transport du pétrole albertain jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique, au Texas.
Selon des sources anonymes sur la colline parlementaire, Ottawa tient mordicus à éviter que le même scénario de dénigrement ne se reproduise avec deux autres projets d’oléoducs, qui achemineraient le pétrole d’ouest en est jusqu’à des raffineries au Québec et dans les Maritimes.
En somme, les conservateurs apprennent à la dure ce que les entreprises du secteur des mines et de l’énergie savent depuis belle lurette: l’acceptabilité sociale est cruciale pour s’assurer du succès des projets.
Le problème, c’est qu’Ottawa est parvenu à ce constat trop tard et qu’il doit maintenant regagner la confiance de la population dans les dossiers environnementaux.
«Je crois qu’ils se sont compliqué la tâche sans raison valable», estime David McLaughlin, qui était à la tête de la défunte Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, laquelle a mis fin à ses activités le 31 mars 2013 comme le prévoyait le budget fédéral de 2012.
«Ça a été difficile, mais il n’est pas trop tard pour tourner la page (…) Il n’est jamais trop tard pour changer le cours des choses», ajoute-t-il.
Le programme de surveillance des sables bitumineux est la pièce maîtresse d’une série de mesures que les conservateurs comptent mettre en oeuvre au cours des prochains mois, en grande partie pour montrer aux Canadiens et au monde que l’exploitation des sables bitumineux s’effectue de façon responsable.
Greenpeace Canada demeure malgré tout sur ses gardes.
«Nous sommes un peu sceptiques, puisque le système ne sera pas totalement mis en place avant 2015, et les deux ordres de gouvernement continuent malgré tout à approuver de nouveaux projets malgré l’absence de données fiables sur les impacts à grande échelle», plaide Keith Stewart, coordonnateur de la campagne Climat-Énergie au sein de Greenpeace Canada.