Joyce Echaquan a été «méprisée à mort», selon un pédiatre urgentiste
Joyce Echaquan a été «méprisée à mort» par le système de santé, a déclaré le pédiatre urgentiste et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université McGill, Dr Samir Shaheen-Hussain , durant sa présentation à l’enquête publique visant à faire la lumière sur le drame.
Depuis vendredi dernier, l’enquête présidée par la coroner Géhane Kamel est passée à une autre étape, celle du volet «recommandations».
Le Dr Samir Shaheen-Hussain, qui est l’auteur de l’essai Plus aucun enfant autochtone arraché: pour en finir avec le colonialisme médical canadien, a lu lundi après-midi sa présentation intitulée «Le colonialisme médical canadien a tué Joyce Echaquan».
«Dans le cas de Mme Joyce Echaquan, une patiente atikamekw ‘agitée’ est devenue ‘calme’ pas parce qu’on a soulagé sa douleur, mais parce qu’elle était fort probablement déjà décédée, a-t-il témoigné. Je ne dirais pas qu’elle a été ignorée à mort, mais plutôt qu’elle a été méprisée à mort.»
Un mépris ancré dans le système de santé
Si ce «mépris» s’est manifesté de façon évidente dans les propos émis par des soignantes dans la vidéo diffusée en direct par Mme Echaquan, il fait pourtant partie intégrante du système de santé au Canada, a affirmé Samir Shaheen-Hussain.
Il cite notamment en exemple des propos tenus par l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette en 2018 qui ont nourri les préjugés anti-autochtones. À l’époque, M. Barrette avait insinué que des parents du Nunavik risquent encore d’être expulsés de l’avion-ambulance puisqu’ils consomment.
«À l’échelle individuelle, ce qu’on appelle le racisme individuel ou interpersonnel, les commentaires de Barrette ont donné de la légitimité aux opinions de gens qui pensent comme lui. À l’échelle du système (racisme institutionnel ou structurel), si un ministre perpétue les stéréotypes racistes en toute impunité, comment savoir si des points de vue similaires ne sont pas intégrés aux politiques de soins de santé, sans parler des autres ministères et institutions ayant pour mandat de servir le public de façon équitable et transparente?», a demandé Dr Shaheen-Hussain.
Des employés dans le «déni»
À la barre, tous les membres du personnel soignant ont nié la présence d’une culture qui méprise les communautés autochtones et ont affirmé traiter les patients de manière égale.
Une façon d’interpréter ce «déni» est qu’il y a une «omertà» dans le milieu de la santé, a ajouté Dr Shaheen-Hussain. Mais il propose une autre interprétation: la possibilité que le personnel soignant estime réellement n’avoir aucun biais. «Je ne doute pas des bonnes intentions de la plupart des gens qui choisissent de faire carrière dans les soins de santé. [..] Mais nous ne sommes pas neutres. Prétendre à la neutralité, c’est ignorer l’histoire, la politique et les privilèges qui découlent ou ne découlent pas de la position sociale de chacun», a-t-il expliqué.
La preuve démontre des lacunes graves dans les soins qui ont été prodigués à Joyce Echaquan, mais des éléments liés aux conditions de travail des employés sont aussi en cause dans sa mort.
«Il faut se poser une question importante: de telles conditions nous poussent-elles simplement au point que nous commençons à dire des choses tout haut qu’on pensait de toute façon tout bas? C’est-à-dire, de telles conditions amplifient et exacerbent-elles nos biais et préjugés ancrés dans des stéréotypes?», a demandé Samir Shaheen-Hussain.
Si rapport d’expertise sur la mort de Joyce Echaquan conclut que la cause principale de son décès est due à l’apparition d’un œdème pulmonaire lié à une maladie cardiaque rare, le médecin estime que le stress émotionnel vécu par Mme Echaquan a joué un rôle dans sa mort.
«Et je me demande si les conclusions auraient été différentes si on approchait ce dossier dans une optique qui reconnaît que la discrimination dans les interactions cliniques peut avoir des conséquences graves mortelles», a-t-il ajouté.