Au quatrième jour de l’enquête publique visant à démystifier les circonstances entourant la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, une première infirmière confie qu’il y a «un «problème» avec les patients atikamekws.
Cette confidence survient alors que, la veille, l’ensemble des témoins employés par l’établissement de santé de Joliette ont nié avoir déjà entendu des commentaires désobligeants de la part de collègues envers des patients.
Étonnée de cela, la coroner Géhane Kamel, qui préside l’enquête publique, s’est impatientée lundi au palais de justice de Trois-Rivières. «On ne voit rien, on n’entend rien, a-t-elle lancé après le récit du troisième témoin. On n’a jamais rien entendu et tout va bien!»
Pourtant, des membres des Premières Nations ont fait savoir qu’ils avaient été la cible de propos dénigrants. Des proches de Joyce Echaquan ont aussi exprimé devant la coroner Kamel leurs réticences à aller se faire soigner dans cet hôpital par crainte de mauvais traitements.
«Tant et aussi longtemps que les gens vont être dans des positions qui sont diamétralement opposées, c’est-à-dire qu’il y a une planète où tout va bien et une communauté qui dit: ‘Je ne veux pas aller à l’hôpital parce que j’ai peur du personnel infirmier’, eh bien, la réconciliation ne se fera jamais, même si vous avez toutes les plus belles formations qu’il y a au monde», a affirmé Géhane Kamel lundi.
«Première porte» vers la réconciliation?
D’abord questionnée mardi matin par le procureur de la coroner, la quatrième infirmière à témoigner – dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication – a affirmé n’avoir jamais été témoin de commentaires désobligeants envers la communauté autochtone.
Après l’insistance de la coroner qui avait «de la difficulté» à croire l’absence de tels propos, l’infirmière a finalement modifié sa position. «À mon avis à moi, je pense que, oui, il y a un problème» avec la communauté atikamekw à l’hôpital de Joliette, a-t-elle finalement confié.
La témoin a évoqué «la différence» et les jugements de valeur par rapport à la communauté autochtone. Selon elle, il y a des préjugés véhiculés envers les Autochtones, notamment que ce sont des alcooliques, des personnes qui ont des problèmes de toxicomanie et des profiteurs du système.
«Peut-être que vous êtes la première porte à cette petite réconciliation qu’il y aura peut-être», a déclaré ensuite la coroner, qui espère que les autres pourront en faire autant.
La deuxième témoin de la journée pense différemment
Quant à l’infirmière qui était la deuxième à témoigner mardi matin, elle a affirmé n’avoir jamais entendu de stéréotypes véhiculés envers quelconque «communauté», «ethnie» ou «nationalité».
La coroner est intervenue de nouveau, mais l’infirmière est restée fidèle à son récit.
Elle a toutefois indiqué avoir déjà entendu des commentaires négatifs au sujet des patients qui reviennent souvent à l’hôpital. Questionnée plus tard à ce sujet par l’avocat de la famille Echaquan, Me Patrick Martin-Ménard, l’infirmière confie aussi avoir été témoin de tels propos à l’égard de patients narcodépendants.
«J’ai déjà entendu dire ‘le premier du mois approche, des gens sur le bien-être social vont venir’, mais rien contre une nationalité précise», a-t-elle aussi mentionné.
Pour la coroner Kamel, chacun a une «prise de conscience» à faire à la suite du décès de Joyce Echaquan. «On a des biais et le jour où on va être capable de reconnaître qu’on a des biais, on va être capables de faire un pas à la fois», a-t-elle souligné.
Les audiences se poursuivent cet après-midi avec le témoignage de trois autres membres du personnel soignant dont les noms sont aussi protégés par une ordonnance de non-publication.
Intervention trop tard, selon le syndicat
Parmi les documents déposés pour l’enquête publique du coroner se trouve une lettre envoyée le 29 octobre 2020 par le Syndicat interprofessionnel de la santé de Lanaudière (FIQ-SIL) au PDG du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière de l’époque, Daniel Castonguay.
L’agente de la FIQ-SIL qui a signé le texte se disait fortement préoccupée par le fait que deux gestionnaires, toutes deux infirmières inscrites au tableau de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, avaient pris connaissance de la vidéo en direct sur Facebook de Joyce Echaquan vers 10h50 le matin du 28 septembre.
Selon elle, «le cours des choses aurait pu être différent pour Mme Echaquan», si ces deux gestionnaires étaient intervenus immédiatement pour que la patiente soit transférée en réanimation.
Malgré la «détresse évidente» de Joyce Echaquan, elles ne l’ont pas fait. Quelque 45 minutes avant le transfert en réanimation, un membre du personnel de l’urgence avait déjà demandé que Joyce Echaquan soit transférée «rapidement en réanimation», car «la patiente était instable».
Une autre membre du personnel soignant avait aussi fait la même demande à plusieurs reprises, selon ce qui est écrit dans le document. «Le syndicat est à même de constater que la patiente aurait pu être transférée bien avant en réanimation», peut-on lire dans la lettre.
Le syndicat dénonce aussi le manque de personnel, la surcharge de travail et l’absence d’investissement de la direction des soins infirmiers dans l’organisation du travail qui ont, selon le syndicat, «mené à des événements tragiques». Lundi et mardi, des témoins ont d’ailleurs fait part de ces problèmes de surcharge de travail.