Découvrez qui sont les 100 000 Français qui vivent au Canada
ANALYSE – Le Canada attire de plus en plus de Français. La langue française associée à la culture nord-américaine et le besoin de main-d’œuvre sont d’indéniables atouts pour attirer les Français en quête de nouvelles perspectives professionnelles ou personnelles.
Par conséquent, la première communauté de citoyens français vivant à l’étranger, se trouve au Canada et plus précisément au Québec. On constate cependant que l’époque où le Canada vu de France se réduisait au Québec est dépassée : le bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick ou les développements économique et technologique à Halifax, attirent aussi un nombre croissant de Français.
Mais qui sont les Français qui vivent au Canada et comment se déroule leur intégration ?
En tant que professeurs français attachés à différentes universités canadiennes, nous avons voulu répondre à cette question en analysant les données de la liste consulaire et en interrogeant 700 Français vivant au Canada entre le 28 Mars et le 5 avril 2021.
Plus nombreux qu’on le croit
Selon les données du ministère des Affaires étrangères, 98 894 Français sont inscrits sur les listes consulaires au Canada, dont 61 074 dans la circonscription électorale de Montréal, 14 268 à Québec, 13 370 dans la circonscription électorale de Toronto, 10 182 à Vancouver et 804 dans celle de Moncton.
En raison du caractère facultatif de l’inscription sur les listes consulaires, ces données seraient en dessous de la réalité. Selon le dernier numéro « S’installer au Canada » du journal l’Express : les deux tiers des Français du Canada vivent à Montréal, dont 28 % sur Le Plateau-Mont-Royal, 18,5 % à Côte-des-Neiges et 16 % à Rosemont-la-Petite-Patrie.
La liste consulaire nous informe que 13 % de ces Français sont nés à l’étranger, 12 % sont nés au Canada et 75 % sont nés en France. La moyenne d’âge de ces expatriés est de 44 ans et, selon le sondage réalisé dans le cadre de cette étude, 65 % sont salariés, 13 % retraités, 12 % indépendants et 10 % étudiants ou avec un autre statut.
En bref, le profil le plus commun du Français qui vit au Canada est un quadragénaire, né en France, qui travaille et vit au Québec, plus précisément à Montréal!
Les difficultés d’intégration
Au-delà de la partie administrative (VISA, Programme vacances-travail, permis de travail, résidence permanente), les immigrés français rencontrent un certain nombre de difficultés pour s’intégrer dans cette nouvelle vie. Il ressort de notre enquête qualitative deux difficultés majeures :
La première concerne les relations humaines. La distance avec la famille restée en France et la difficulté de créer des liens est un enjeu pour l’intégration. La pandémie et les mesures du gouvernement français (interdire le retour en France en milieu de pandémie) ont accentué cette perception d’éloignement.
Comme la plupart des Québécois, Acadiens, Canadiens ont déjà leurs cercles d’amis avant son arrivée, les immigrants Français trouvent qu’il est plus difficile de créer des liens, comme en témoigne l’un des répondants : « Il est plus difficile d’entrer en relation avec des familles pure laine. La plupart de mes amis sont immigrés, enfants d’immigrés ou en couple avec des immigrés ou enfants d’immigrés. »
La santé et l’éducation
La deuxième difficulté qui ressort de notre sondage concerne, comme le précise une autre répondante, « l’accès au système de santé en temps opportun ». La compréhension du système de santé, la difficulté d’avoir un médecin de famille et les frais associés aux soins poussent de nombreux Français à retourner en France pour se faire soigner. Selon l’Observatoire de l’expatriation, 57 % des expatriés français préfèrent se faire soigner en France plutôt que dans leur pays d’accueil.
En ce qui concerne l’éducation, à la question: «Si vous avez des enfants ou si vous en aviez, vous préféreriez les scolariser dans…», une proportion de 44 % des Français qui vivent au Canada ont répondu le système éducatif québécois francophone, 36 % l’école française et 20 % l’école québécoise anglophone.
L’enseignement francophone reste donc une priorité pour ces Français de l’étranger avec une préférence pour le système québécois. À noter que selon le classement international des systèmes éducatifs PISA, publié tous les trois ans par l’OCDE, le Québec est devant la France.
L’équivalence des diplômes est également un enjeu clé qui est ressorti de ce sondage. De nombreuses formations et diplômes similaires ne sont pas encore reconnus de chaque côté de l’Atlantique. Cette situation préoccupe dans les deux sens – pour les Français qui viennent ici, mais aussi pour les jeunes qui voudraient poursuivre leurs études en France.
Être respecté et s’épanouir
Selon les recherches fondatrices de Rokeach aux États-Unis ou de Valette-Florence en France, les valeurs sont des croyances durables déterminant qu’un comportement soit préférable à un autre. Selon ces mêmes travaux, les valeurs sont à la fois stables et dynamiques.
Notre recherche s’est intéressée aux valeurs des Français qui vivent au Canada. Les résultats montrent « qu’être respecté » est la valeur la plus importante pour eux. Cette valeur traduit le fait que l’individu cherche à obtenir de la reconnaissance d’autrui, par exemple en achetant une belle voiture. La difficulté de se réaliser quand cette valeur est mise de l’avant est liée à la nécessaire approbation d’autrui. Elle est en contraste avec la valeur « se respecter soi-même », qui apparaît en troisième position dans notre sondage. Cette dernière est en effet plus centrée vers l’individu et son développement personnel.
La deuxième valeur la plus importante pour les Français qui vivent au Canada est « l’épanouissement ». Ce résultat est cohérent avec l’étude de l’Observatoire de l’expatriation, qui indique que 90 % sont satisfaits et recommandent l’expérience. En comparaison, les principales valeurs mises en avant par les Français de France sont « l’épanouissement » et « les relations chaleureuses ».
Plus à gauche
Sur le plan politique, les Français qui vivent au Canada se situent légèrement à gauche sur une échelle (extrême gauche, gauche, centre, droite, extrême droite). Phénomène générationnel, le glissement vers la gauche représente un changement considérable par rapport au passé. En effet, au premier tour des élections législatives de 2017, le partis du centre (En Marche!) avait récolté 50,5% des voies dans la circonscription éléctorale de Montréal.
Les dernières mesures, dont l’interdiction de rentrer en France à un certain moment de la pandémie, ont définitivement joué un rôle dans la perte de vitesse de la majorité présidentielle. On peut aussi penser qu’une société canadienne plutôt « sociale-démocrate » et pluriculturelle, dans laquelle la laïcité des institutions et un certain communautarisme cohabitent n’est pas étrangère à un regard moins marqué par des oppositions partisanes.
À noter que 24 % ne se situent pas sur ce continuum et ne se sentent donc pas représentés par les idées des traditionnels partis politiques de France. Inévitablement, pour beaucoup, les questions locales seront plus préoccupantes que des dossiers ou des débats politiques purement liés à la France.
Concernant l’environnement, les Français qui vivent à l’est du Canada affichent une [sensibilité environnementale élevée]. Comment pourrait-on vivre au Canada sans se sentir proche d’une nature immense et omniprésente ? Les Français de l’étranger sont d’ailleurs embarrassés par la pollution associée à leurs allers-retours en France. Or ces voyages, pour visiter des proches restés en France, sont essentiels à leurs yeux.
Le béret et la baguette
l’image un peu éculée du Français à vélo avec un béret et une baguette semble bien révolue et a été remplacée par celle de jeunes professionnels, hommes et femmes.
Malgré l’ancienneté de sa relation avec le Canada et ses populations autochtones depuis plus de cinq siècles, la France affirme clairement sa présence aujourd’hui dans tout l’est du Canada. Cela se traduit en grande partie par l’implication de citoyens français dans la vie des communautés québécoises ou acadiennes.
Les Français de l’étranger ont un rôle important dans l’évolution future tant de la France moderne que de cette Île de la Tortue, comme certains peuples autochtones désignent le continent nord-américain, sur laquelle nous vivons.
Léo Trespeuch, Professeur en Sc. de Gestion et co-fondateur de l’observatoire de la philanthropie, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR); David Pavot, , Université de Sherbrooke , and Élisabeth Robinot, Professeure en marketing ESG UQAM, Co-foundatrice de l’Observatoire de la Philanthropie, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article a été repuplié à partir du site La Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.