Foi et féminisme : raviver les atomes crochus
Dania Suleman vient de publier Les malentendues aux Éditions du remue-ménage. Dans ce livre qui croise le droit, la sociologie et le féminisme, elle cherche une réconciliation qui réduirait les «fossés intellectuels et émotifs» dans les débats impliquant la religion au Québec.
En passant en revue des jugements fondateurs de la Cour suprême du Canada, l’avocate de formation montre que, dans le domaine du droit, l’équilibre entre liberté de religion et égalité des sexes est délicat, imparfait, mais qu’il est aussi possible pour peu que l’on accepte de sortir de l’approche réductrice dans laquelle l’un annule forcément l’autre.
C’est ce que font bien des femmes qui défendent sans compromis l’égalité tout en souhaitant préserver leur identité religieuse.
Sans enjolivement ni déni, Dania me dit : « Check, le track record des institutions religieuses en matière de droits des femmes n’est pas incroyable, mais les religions, comme n’importe quoi d’autre, ne se réduisent pas à leurs ratés. Elles ne sont pas fixes et monolithique, il y a des remaniements et de la mobilité au sein de ces institutions. »
Ce remaniement est beaucoup le travail de femmes.
Au fil des pages, Dania convoque ainsi le travail de féministes religieuses qui parviennent à harmoniser religion et égalité des sexes. Il y a en effet une remarquable tradition de luttes féministes au sein des institutions religieuses ; des luttes qui, d’ailleurs, se passent de la béquille du féminisme occidental.
Elle explique aussi que la foi peut être source d’apaisement et d’émancipation, notamment en contexte d’immigration. Même pour des personnes de deuxième génération, comme elle et moi, l’identité religieuse reste fondamentale, entre autres parce qu’elle aide à dépasser « les expériences de stigmatisation, de discrimination, d’altérisation. »
Et la loi 21 dans tout ça ?
Elle se fonde également sur une vision étroite du religieux tout comme de la neutralité. Dans son livre, Dania critique les raccourcis du gouvernement caquiste : «L’absence de signes religieux ne rime pas avec neutralité […].» En s’accordant le pouvoir de déterminer quelles apparences sont acceptables dans la fonction publique, l’État québécois contrevient à son devoir de réserve, «il définit pour nous ce qui est “libérateur”, “neutre”, “impartial” et surtout, ce qui ne l’est pas.»
À vrai dire, le gouvernement érode la laïcité et le droit à l’égalité de – toutes – les femmes.
Y a-t-il alors moyen d’apaiser les esprits au Québec quand s’entrechoquent des visions aussi divergentes sur les enjeux impliquant la liberté de religion ? Quand l’égalité des sexes est utilisée comme passe-partout pour justifier toute entrave à l’expression religieuse des femmes de groupes minoritaires ?
«Si un symbole religieux était perçu dans toute sa complexité, la perception de confrontation entre la liberté de religion et l’égalité des sexes serait nettement moins présente», écrit-elle. Sans l’approuver, on pourrait cesser de le voir comme quelque chose d’hostile à la majorité et de radicalement incompatible avec la liberté des femmes.
Dania, qui invite à «plus de curiosité et moins de rigidité», ne parle pas à travers son chapeau ; quiconque la connaît un peu s’aperçoit qu’elle incarne une posture décomplexée et complexifiée dans laquelle foi et féminisme cohabitent et se renforcent.
Disons que son track record de réconciliatrice est déjà éloquent.