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Les cochons gras

Photo du chroniqueur Frédéric Bérard avec titre de sa chronique, In libro veritas

À quelque part la semaine dernière, après une huitième entrevue (ou plus?) sur la question, apparemment névralgique, de la constitutionnalité de mesures visant à interdire les voyages non essentiels. Coup de batte de baseball derrière la tête, la mienne: sérieux, on est vraiment rendu-là? Monopoliser l’espace médiatique ambiant pour un bordel de daiquiri aux fraises à Cancun? On n’a pas plus important, plus urgent, plus métaphysique?

Ma tronche allait ensuite se fracasser, sens figuré, des suites du deuxième coup de batte. Re-bordel. Le feu de l’action plaide coupable d’avoir anesthésié, une fois de plus, l’évidence: nos priorités collectives, si l’on pouvait leur faire honneur d’un tel qualificatif, sont-elles réellement conformes à des aspirations sociétales décentes?

Me suis ensuite mis à réfléchir aux enjeux juridiques qui, depuis le début de la pandémie, ont occupé notre temps: légalité des manifs anti-masques, chances de réussite d’un recours visant à faire abroger les mesures sanitaires, constitutionnalité d’un vaccin obligatoire et, maintenant, ledit droit aux daiquiris-aux-fraises-bédaines-au-soleil.

Moi qui suis pourtant le premier à me réjouir de l’intérêt populaire envers les questions constitutionnelles, reste qu’il devient difficile de ne pas conclure à l’échec, total, de l’opération.

Parce que si les Québécois ne se sont jamais, de mémoire, autant interrogés sur l’ampleur et la portée des libertés civiles, reste que l’angle abordé relève, quand on y pense, d’absurdités petites bourgeoises. Du Je-Me-Moi à son paroxysme.

Trois jours d’hôtel forcé au retour d’un voyage dans le Sud? On s’approche de Guantanamo, pas de doute.

2000$ pour la quarantaine en question de celui qui a sacré le camp en pleine pandémie, malgré la tonne d’avertissements? Peine cruelle et inusitée, j’imagine.

Couvre-feu à 20h en janvier? Allô Nelson Mandela, Rosa Parks et Martin Luther King.

Port du masque au Petro-Canada? George Orwell et son aversion de la dictature (p.s.: le père de 1984 a combattu pendant la Guerre d’Espagne; pas aussi important que la bataille flic-jambon dans un Tim Hortons l’été dernier, mais quand même).

Tout ceci, donc, pour conclure à une certaine gêne, sinon quasi-désarroi.

Et si, finalement, les «problèmes» occupant l’espace médiatique n’existaient pas ailleurs que dans une lutte aux clics?

Si, d’une manière ou l’autre, ceci venait confirmer l’institutionnalisation du confort bourgeois? Si, quand on y pense, les réflexions juridiques sont dorénavant prises en otage par un nombrilisme décomplexé? Si les chartes des droits et libertés étaient devenues, malgré elles, l’arme de prédilection d’Elvis Gratton? D’aucuns, une fois les œillères de l’absurde tombées, seraient portés à le croire.

Meilleur exemple, peut-être, de ce qui précède: la crise, ou plutôt ce qui aurait dû en être une, entourant le traitement des itinérants par le gouvernement Legault.

Quelle attention portée à cet enjeu, un vrai, versus les autres clowneries susmentionnées? Un sur dix? Sur cent? Sur mille?

Qui dit démocratie dit, entre autres et par définition, loi du nombre. Or, quel poids électoral et médiatique de ces personnes en situation d’itinérance versus les ressortissants de Tout-Inclusland?

Si Talleyrand affirmait que «tout ce qui est excessif est insignifiant», j’aurais envie, ces jours-ci, de plaider que l’inverse l’est tout autant.

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