La crise sanitaire générée par la COVID-19 pousse les médecins et les éthiciens à faire des choix difficiles. Lorsque les lits sont tous occupés, surtout aux soins intensifs, qui sera sauvé? Qui devra laisser sa place? Métro a parlé à des experts pour comprendre quel impact ces temps incertains ont sur l’éthique médicale.
Dès le mois de mai, au ministère de la Santé et des Services sociaux, les équipes éthiques s’activent en coulisse. Elles souhaitent éviter de reproduire les événements du printemps, lorsque, de l’autre bord de l’océan, en Italie notamment, des médecins ont dû trier les malades selon leur chance de survie.
«Trier» est un mot lourd de sens dans ce contexte. Ceux qui ont moins de chances de survie ne reçoivent pas les traitements qui pourraient encore les sauver. Ces traitements sont réservés à ceux qui sont un peu moins mal en point.
Québec élabore donc le Protocole de priorisation pour l’accès aux soins intensifs adultes en contexte extrême de pandémie. Son objectif: allouer les ressources adéquatement «en se fondant sur les meilleures données disponibles sur les plans scientifiques et éthiques».
La crise de la COVID-19 est un casse-tête éthique pour le réseau, convient le directeur du Bureau de l’éthique clinique de l’Université de Montréal, Antoine Payot. Si bien qu’elle a changé la manière de réfléchir les relations patient-clinicien, selon lui.
«L’éthique clinique, c’est une éthique qui vise les meilleurs choix pour le patient. On est dans une dynamique très relationnelle, et je dirais intimiste», souligne Dr Payot.
«Avec la pandémie, on est davantage dans une réflexion populationnelle. C’est-à-dire comment faire la prise en charge pour donner la meilleure chance de survie aux Québécois.» – Antoine Payot, directeur du Bureau de l’éthique clinique de l’Université de Montréal
Le bon choix éthique?
Au Québec, devant la flambée des hospitalisations, le ministère de la Santé a opté pour une stratégie de délestage importante. Plutôt que d’activer le protocole de triage, le ministre Christian Dubé, soutient qu’il vaut mieux reporter chirurgies et rendez-vous pour libérer des bras.
Mais pour Pénélope*, médecin dans un hôpital des Laurentides, la stratégie de délestage n’agit pas nécessairement pour le bien des Québécois avec le plus de chances de survie à long terme.
«S’il y a un patient qui a une démence, un Alzheimer, qui, avant l’hospitalisation, n’était même plus capable de manger tout seul… On dépense énormément d’énergie pour des patients qui n’ont aucune qualité de vie et aucun pronostic de s’en sortir», martèle cette professionnelle de la santé, qui a préféré taire son nom pour éviter des représailles.
«Le choix du Québec de dire qu’on va enlever des dépistages de cancer, annuler des chirurgies, ça a quand même des gros impacts. Tous ces patients, ce sont des patients qui sont chez eux, ont une qualité de vie et une espérance de vie.» – Pénélope*, médecin dans les Laurentides
La professionnelle de la santé n’y va pas par quatre chemins. Déjà, dit-elle, l’heure des choix a sonné. Sans quoi, «on sacrifie ces patients-là, plus jeunes et plus en santé, pour essayer de sauver des gens que, de toute façon, on ne pourra pas sauver.»
Experte en éthique médicale, Jocelyne St-Arnaud, s’étonne aussi de la stratégie de délestage du gouvernement. Le protocole, croit-elle «est plus équitable que le délestage».
«Tous ceux qu’on retourne à la maison n’auront pas les soins appropriés», avance cette professeure associée à l’Université de Montréal.
Déjà des choix de vie et de mort
Surtout que les médecins se trouvent déjà devant des choix difficiles, où ils doivent décider de laisser mourir certains patients plutôt que de les envoyer dans les rares lits encore accessibles aux soins intensifs.
Lors d’une conférence récente sur la COVID-19 au sein des populations autochtones, le médecin innu Stanley Volant a indiqué avoir récemment eu à faire un tel choix.
«Le pire est à venir. Le scénario catastrophe de choisir des patients, je le vis déjà aujourd’hui. Hier, j’ai décidé de laisser mourir quelqu’un de 92 ans parce qu’il n’y avait plus de place aux soins intensifs. J’ai laissé de la place pour quelqu’un de 50-60 ans qui devait être réanimé», a-t-il déclaré jeudi.
Survie et qualité de vie
Dr Payot soutient qu’il s’agit là de «choix extrêmement difficiles à faire». Selon lui, toutefois, le ministère le fait en toute connaissance de cause.
«Pour augmenter les chances de survie des patients, on est probablement prêts à faire des concessions sur la qualité de vie d’autres personnes», constate-t-il.
Selon les dernières données officielles du gouvernement, environ 140 000 personnes sont en attente d’une chirurgie au Québec.
Lundi dernier, en annonçant que «la majorité des hôpitaux au Québec sont en délestage», la sous-ministre adjointe Lucie Opatrny confirmait qu’il faudrait «des mois, voire des années» avant un rattrapage des opérations.
Quant au protocole, il ne doit être activé qu’à 200% d’occupation des soins intensifs. Au moment d’écrire ces lignes, ce pourcentage se situait toujours sous les 100%.