Réussir à se trouver un appartement, après six ans dans la rue
Pour les personnes en situation d’itinérance, la quête d’un logement peut presque sembler impossible compte tenu de leur historique couvert d’épines. Hossein Qannadan y est toutefois parvenu.
Claire, Gabrielle, Yousra, Jérémie, Alexandre, Bernard, Alana, Lucie. Ces noms défilent dans le récit de vie d’Hossein, rencontré à la Maison du Père, sur le boulevard René-Lévesque. Avant de croiser ces personnes marquantes, il vivait dans la rue depuis six ans.
Ses fondations semblaient pourtant solides, d’après son curriculum vitae: études en arts et psychologie à l’Université McGill, puis en cinéma à l’Université de Colombie-Britannique, fondateur et dirigeant d’une entreprise de publicité. C’est une rupture amoureuse «très difficile» qui a fait tomber de haut l’homme de 59 ans.
«Je faisais plein de choses en même temps pour essayer de me distraire: j’essayais d’acheter une maison, d’élargir les activités de mon entreprise, d’investir mon argent. J’étais incapable de gérer tout ça, mais je ne voulais pas me l’admettre.»
Un déni qui a persisté malgré la perte de sa demeure. «Je me voyais sombrer et je ne pouvais pas arrêter ma chute. J’ai tout laissé tomber. Je n’ai pas vendu mon entreprise. J’ai laissé mes voitures dans la rue et les contraventions se sont accumulées.»
Durant plusieurs années, été comme hiver, Hossein est parvenu à survivre assez solitairement dans les rues de Montréal, prenant garde aux influences néfastes. Ses refuges étaient nombreux: centres commerciaux, bibliothèques publiques, gyms. L’aridité de son quotidien s’est empirée pendant la COVID-19, qui a limité à la fois ses déplacements à cause des couvre-feux et l’accès aux endroits publics.
Je n’avais plus d’argent ni de nourriture. Je m’étais isolé de mes amis.
Hossein Qannadan
Très amaigri, il a dû se résoudre à se rendre à la Maison du Père. Il y a trouvé un lit pendant plusieurs mois. À cet endroit, des intervenants lui ont montré comment obtenir de l’assistance sociale auprès du gouvernement pour stabiliser sa situation financière. On lui a ensuite parlé du Projet Logement Montréal (PLM).
Les agents de logement: bien plus que des courtiers immobiliers
Le PLM est le fruit d’une collaboration entre quatre organismes — la Maison du Père, Mission Bon Accueil, Mission Old Brewery et l’Accueil Bonneau — offrant une issue à la rue à maintenant près de 622 personnes en situation d’itinérance depuis sa création en 2015.
Il s’agit du plus grand projet au Canada relié au placement en logement avec accompagnement pour les personnes sans abri et dont le taux de maintien s’élève à 85%.
Les participants à ce programme s’inscrivent à un guichet d’accès au logement subventionné. Chaque personne sélectionnée est jumelée à un intervenant psychosocial (gestionnaire de cas) qui travaille en tandem avec un agent de logement. Ce dernier se charge de trouver un logement privé dans la région du Grand Montréal qui répond aux besoins explicités par le participant.
Pour sa part, Hossein désirait habiter près du canal Lachine, un endroit idéal pour s’entraîner. «J’ai réussi à avoir tout ce que je voulais», confie-t-il, tout sourire. Depuis maintenant deux ans, il habite le même logement, tout près de l’eau.
«Ce sont les bénéficiaires du PLM qui signent le bail avec leur locateur, explique son agente de logement, Lucie Demazeau. Ils peuvent me contacter dès qu’ils ont une question associée à leur logement: réparation, extermination, ameublement, etc. J’aime beaucoup Hossein et c’est facile pour moi de communiquer avec lui. D’autres préféreront contacter d’abord leur gestionnaire de cas avant que j’intervienne.»
L’accompagnement psychosocial est une variable importante au PLM. «Les gestionnaires de cas vont pouvoir apaiser une crise», précise Lucie. Ayant longtemps navigué sans boussole, Hossein s’était peu à peu isolé de son entourage durant sa longue période d’itinérance. Sa rencontre avec la «si gentille» Alana, sa gestionnaire de cas, lui a permis de trouver les ressources appropriées pour arriver à surmonter son trouble.
«Grâce à son aide, j’ai suivi une thérapie pendant quelques mois par l’entremise d’un programme mis en œuvre par des étudiants en psychologie de l’Université McGill. C’est coûteux, mais j’y arrive.» Il est maintenant suivi par un médecin dans une «super» clinique située près de chez lui.
«On n’est pas seul. Que ce soit pour m’aider à apaiser mes angoisses ou à faire mon budget du mois, ma gestionnaire de cas est toujours disponible.»
Cet entourage lui a permis de s’ajuster à sa nouvelle vie. Pour celui qui vivait autrefois au jour le jour, la perception du temps s’est transformée, laissant un peu plus de place à un avenir. Hossein est avidement à la recherche d’un emploi en cinéma.
Métro quitte la Maison du Père avec Hossein et se rend jusqu’aux portes de la station Berri-UQAM. De là, la Grande Bibliothèque est visible à l’horizon. «Ça fait toujours bizarre de passer dans ce coin de Montréal. Je passais des heures à la BAnQ l’hiver pour me réchauffer…»
Sur ce souvenir d’un passé pas si lointain, l’homme nous envoie la main en lançant un «take care!». Il prend la direction du marché Atwater pour y acheter des fines herbes pour son goûter du soir, qu’il partagera avec un ami.