Des sites de consommation supervisée près de la surdose, des vies en jeu
Alors que le nombre de surdoses atteint des records, les quatre sites de consommation supervisée (SCS) de la métropole tirent la sonnette d’alarme et dénoncent un manque de financement mettant à risque leur survie et celle de leurs usagers. Le manque à gagner s’élèverait à 430 000$ pour l’ensemble des SCS montréalais, qui ont évité près de 500 décès par surdose l’an dernier.
Chaque jour, des dizaines de personnes franchissent leurs portes pour pouvoir consommer de manière sécuritaire leur substance. Alors que le pays est frappé par une augmentation de consommation de drogues dures, certains de ces sites enregistrent une hausse de 400% des surdoses, comparativement à 2019, pour lesquelles les intervenants communautaires doivent intervenir d’urgence avec les moyens du bord.
Avant le mois de février, les services de consommation supervisée étaient sous la gouvernance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL). En janvier 2023 et à la demande des organismes, des ententes financières ont été signées entre eux et le CCSMTL, leur conférant une autonomie totale et favorisant une approche communautaire auprès des bénéficiaires.
La santé publique maintient depuis l’approvisionnement en matériel et le déploiement des ressources infirmières dans les organismes. Mais depuis ce transfert, les organismes voient leur qualité de services drastiquement impactée, les forçant à réduire leurs horaires d’ouverture, allant même jusqu’au licenciement de personnel.
Selon le CCSMTL, la nouvelle entente négociée et approuvée entre les différentes parties prévoit une somme totale de 2,2 M$, soit une hausse de 34% par rapport à l’entente précédente, mais ces sommes allouées ne suffiraient pas à maintenir une offre de services adaptée à la réalité.
L’organisme CACTUS enregistre lui un manque à gagner de 300 000$ pour pouvoir «opérer minimalement». Face au manque de financement, l’organisme qui opère sans interruption a dû réduire de sept heures par semaine ses horaires d’ouverture, leur retranchant une heure par jour.
Pour son directeur général, Jean-François Mary, derrière cette coupure d’une heure, «c’est potentiellement 30 vies» chaque année que son organisme ne pourra pas sauver, alors que près de 90% des surdoses en SCS auraient lieu dans son établissement.
«On a signé une entente qui nous rend pleinement responsables des services, mais malheureusement, les crédits n’ont pas suivi les responsabilités […] Avec la même enveloppe, on ne peut pas offrir la même intensité de services, dit-il. En plus, on a toute une somme de nouvelles responsabilités qui relèvent de nous maintenant et plus de la santé publique et qui doivent être compensées par du financement.»
Entre 2019 et 2023, le nombre d’interventions d’urgence en SCS a été multiplié par cinq, la grande majorité étant des surdoses d’usagers. Rien qu’au CACTUS, 75% des substances consommées contiennent du fentanyl, une substance hautement létale. Les décès par intoxication suspectée ont aussi augmenté dans la métropole, passant de 134 pour l’année 2021-2022 à 172 pour 2022-2023.
C’est toute une somme de personnes qui viennent à CACTUS pour éviter de faire une surdose et survivre mais qui n’ont pas accès à la salle. Nous, ce qui nous préoccupe, ce n’est pas tant la survie de notre organisation que la survie de nos usagers.
Jean-François Mary, directeur général de CACTUS
Un manque de personnel infirmier
Au mois d’avril, 63 surdoses sont survenues au CACTUS, soit une moyenne de deux surdoses par jour. En plus des enjeux financiers, l’organisme fait face à un manque de personnel infirmier déployé par le CCSMTL, ce qui viendrait fragiliser ses opérations.
«On a besoin de personnel infirmier en tout temps pour être capable d’éviter de faire venir les services ambulanciers et d’amener les gens dans des urgences qui sont débordées, explique Jean-François Mary. C’est aberrant que des intervenants communautaires, sous-payés, sous-reconnus, aient le pronostic vital d’êtres humains entre leurs mains et donc on a besoin de ce personnel infirmier.»
Pour le directeur général de CACTUS, une option serait que les organismes soient transférés à une direction régionale de santé publique qui dispose d’un plus gros bassin d’infirmières. Il propose aussi que le modèle des cliniques communautaires soit adopté pour que les organismes puissent embaucher eux-mêmes leur propre personnel infirmier.
On sait que les besoins dans nos communautés sont plus élevés qu’avant la pandémie, mais on est incapable d’offrir des services à cette hauteur-là et le pire, c’est qu’on les réduit.
Jean-François Mary
Le CCSMTL justifie les difficultés de déploiement de personnel infirmier dans les SCS par les difficultés de recrutement et de rétention des infirmières qui touchent tout le réseau de la santé et des services sociaux. Il reconnaît que cette situation rend «critique cette offre de services».
«Malgré différentes stratégies pour pallier la situation, l’offre de service a dû être ajustée en fonction de la capacité du CCSMTL, comme cela a été effectué ailleurs pour l’ensemble des services infirmiers du réseau de la santé et des services sociaux», ajoute le CCSMTL.
Le CCSMTL explique que de façon exceptionnelle, la direction régionale de santé publique (DRSP) peut faire appel au besoin à Urgences-santé ou au Service de police de le la Ville de Montréal (SPVM) pour «augmenter la vigilance autour des SCS et la réactivité de la réponse aux urgences».
Les interventions d’Urgences-santé pour intoxication ont aussi connu une hausse au cours des dernières années. Elles s’élèvent à 492 pour l’année 2022-2023, contre 168 pour l’année 2019-2020.
Mardi, la députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques et porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, ainsi que le député de Taschereau, Étienne Grandmont, ont remis la médaille de l’Assemblée nationale aux organismes CACTUS, Spectre de rue, Dopamine, L’Anonyme et à l’organisme situé à Québec Interzone. Une motion déposée par la députée solidaire a été adoptée dans la foulée afin d’amener le sujet nationalement.
«En pleine crise de surdose, c’est clair qu’il faut tout faire pour que ces centres-là puissent offrir leurs services, car ça sauve des vies, explique Manon Massé. [Avoir plus de ces lieux] est la seule façon de pouvoir protéger des vies et aussi d’améliorer les relations dans l’espace public.»