Dans les premiers jours de la prise en charge du CHSLD Herron, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal n’a pas été suffisamment proactif aux yeux de la coroner Me Géhane Kamel.
Me Kamel est responsable de l’enquête visant à faire la lumière sur les décès survenus au CHSLD Herron durant la première vague de COVID-19. Elle a «exceptionnellement» ajouté des dates d’audience dans ce dossier.
La coroner souhaitait entendre de nouveaux témoins ou réentendre des gestionnaires du CIUSSS afin de mieux comprendre certains éléments de la preuve présentés au préalable.
La PDG adjointe du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Najia Hachimi-Idrissi, a témoigné mardi matin. Pendant l’audience, la coroner a mentionné que le CIUSSS et Herron étaient tous les deux «responsables» et «imputables» pour les 47 résidents décédés.
Tout ce que je veux entendre [de la part du CIUSSS], c’est: «Oui, dans notre processus, on l’a échappé. Il y a eu des moments où on l’a échappé».
Me Géhane Kamel, coroner
Mauvaise comptabilisation des décès
Cette affirmation de Me Géhane Kamel est survenue dans un contexte où certains aspects entourant le bond significatif du nombre de résidents décédés entre le 30 mars et le 10 avril restent encore nébuleux.
Le CIUSSS faisait état de deux décès en date du 2 avril. Mais ce chiffre est grimpé à 31 le 10 avril. Pourquoi les employés du CIUSSS dépêchés à Herron dès la fin du mois de mars n’ont-ils pas rapporté que les résidents tombaient comme des mouches?
Selon Najia Hachimi-Idrissi, l’information ne s’est pas rendue à la haute direction. «Le pourquoi et le comment, je n’ai pas de réponse», a-t-elle ajouté.
«Vous avez du personnel sur le plancher tous les jours et il y a des gens qui meurent. Ça ne se rend pas jusqu’à la direction, mais il y a des gens du CIUSSS qui voient les gens mourir», a fait remarquer l’assesseur dans ce dossier, Dr Jacques Ramsay. Le Dr Ramsay a aussi dénoncé plusieurs problèmes de communication à l’interne.
Questionnée à ce sujet mardi après-midi, la PDG du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Lynne McVey, a indiqué que ce n’était pas la «priorité» des ressources du CIUSSS déployées au CHSLD de documenter les décès. «C’était la responsabilité de Herron», a-t-elle déclaré.
Pour Me Géhane Kamel, c’était plutôt la responsabilité de tous les professionnels sur le terrain.
La coroner a aussi cherché à savoir pourquoi le CIUSSS n’avait pas appelé les trois médecins du CHSLD Herron qui s’occupaient de signer les constats de décès de la maison. «S’il y avait eu une seule personne du CIUSSS qui avait fait le pont tous les jours… Ce qui est choquant pour nous, en rétrospective, c’est de se dire qu’il y a des gens qui sont décédés jour après jour avec des gens du CIUSSS qui étaient témoins de ça, de la même manière que des gens de Herron», a souligné Me Kamel.
Délestage du personnel
Par ailleurs, la coroner se demande pourquoi le CIUSSS n’a pas décidé de délester de force des employés pour qu’ils aillent prêter main-forte au CHSLD Herron, situé à Dorval. Un arrêté ministériel le lui permettait pourtant.
Plusieurs témoignages ont démontré qu’une moyenne de 40% des quarts de travail ont été comblés dans l’établissement privé, tandis que les soins aux résidents ont été négligés jusqu’au 10 avril.
Or, le 21 mars 2020, la ministre de la Santé Danielle McCann a signé un arrêté ministériel permettant, entre autres, les mouvements de personnel entre les établissements de santé.
Malgré ce levier offert par le gouvernement, Lyne McVey a privilégié le volontariat chez les employés. Elle soutient que l’utilisation de la force ne donnait pas de bons résultats.
De plus, Najia Hachimi-Idrissi a indiqué que l’arrêté ministériel était réservé aux situations «de dernier recours».
«Avec un ratio minimum de personnel qui n’est pas rencontré, des résidents qui meurent de faim et de soif, n’a-t-on pas une situation de dernier recours?», lui a demandé l’avocat qui représente des familles de résidents décédés, Me Patrick Martin-Ménard.
Lors du contre-interrogatoire de Lyne McVey, Me Martin-Ménard lui a demandé si, selon elle, le CIUSSS est imputable des 31 décès. «C’est le virus COVID-19 qui a une grande part de responsabilité pour ces décès», a seulement répondu la PDG.