Assassinat de Jovenel Moïse: la communauté haïtienne de Montréal sous le choc
L’assassinat du président d’Haïti, Jovenel Moïse, laisse sous le «choc» la communauté haïtienne de Montréal, qui est toujours dans l’attente d’informations supplémentaires.
L’homme de 53 ans a été tué tôt mercredi matin, dans sa résidence située à Piéton-ville, en banlieue de Port-au-Prince, à la suite d’une attaque armée par un commando formé d’éléments étrangers. Son épouse, Martine Moïse, a été grièvement blessée par les meurtriers, a indiqué le premier ministre Claude Joseph dans une déclaration publiée sur les médias sociaux.
Jovenel Moïse était président du pays depuis 2017. Depuis son assermentation, il faisait face à de nombreuses contestations populaires et plusieurs appelaient à sa démission.
En février dernier, il avait déclaré avoir échappé à une première tentative d’attentat et à un coup d’État. Jovenel Moïse gouvernait par décret, mais était toutefois déterminé à terminer son mandat, qui venait à échéance en 2022.
Une «ambiance générale de violence» régnait déjà depuis les derniers mois et était même grandissante depuis des années, explique le président du conseil d’administration du Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM), Réginald Fleury.
Des manifestations qui s’enchaînent depuis 2019 ont fait des dizaines de morts et de blessés lors d’affrontements avec la police.
Choc de la violence
Dans ce contexte général «propice» à ce type d’événement, plusieurs membres de la diaspora haïtienne à Montréal ne sont pas «étonnés» par l’événement, mais restent «choqués» par sa violence.
C’est le cas de la directrice générale de La Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche. «La situation est en train de pourrir depuis des mois. […] Le président actuel aurait dû démissionner parce qu’il n’est plus légitime. Pour beaucoup de personnes, il a fait son terme», a-t-elle dit en entrevue avec Métro.
Le député fédéral de Bourassa, Emmanuel Dubourg, a été «réveillé choqué ce matin». «Il était vers 5h30 du matin quand mon téléphone n’arrêtait pas de sonner», a expliqué l’homme né à Saint-Marc, en Haïti. Pour l’élu libéral, l’acte est condamnable. «Malgré toute forme d’oppositions qui peut y avoir, ça ne peut pas mener à la violence, jusqu’à assassiner le président, donc c’est vraiment déplorable», a-t-il dit.
Comme M. Dubourg, Réginald Fleury pense que les choses auraient dû se passer autrement. «C’est certain que le président était contesté, mais comme toute la population, on aurait préféré que ce soit par les urnes et la démocratie qu’il y ait des changements et pas nécessairement par la violence», a-t-il affirmé.
Le président-directeur général de la radio haïtienne de Montréal CPAM, Jean-Ernest Pierre, ne s’est pas dit surpris par la nouvelle au micro de Patrick Masbourian à Radio-Canada. «Jovenel Moïse, comme président, a toléré la violence au pays et on dit même qu’il était allié à cette violence là. Le gangs de rues se sont fédérés, c’est la première fois qu’on a vu ça», a-t-il ajouté.
Le Regroupement des intervenants et intervenantes d’origine haïtienne (RIIOH) a accueilli la nouvelle avec «infinie tristesse». Il condamne l’acte «odieux contre le peuple haïtien et la démocratie». Pour la coordonatrice du RIIOH, D-yana Bommier, «assassiner un président élu pendant qu’il est en fonction ; je pensais que cela faisait partie des histoires de parents et grands-parents. Pas en 2021».
La dernière fois qu’un président haitien a été tué, c’était il y a plus d’un siècle, en 1915.
L’auteur d’origine haïtienne Dany Laferrière a indiqué, dans une déclaration écrite transmise aux médias par son agence, qu’il était «habitué» de recevoir des demandes de réactions de la part de journalistes lorsqu’un évènement se passe en Haïti.
Or, il affirme n’avoir rien à dire sur le sujet. «Depuis quand un intellectuel haïtien n’a-t-il rien à dire sur quelque sujet que ce soit relatif à Haïti? Justement, je suis simplement un écrivain sans identité, écrit-il. […] En fait, on veut coller mon nom à côté d’une déclaration banale que n’importe qui d’autre aurait pu dire. Ce matin, j’avais l’impression qu’on attendait que je confirme la mort du président du fond de mon lit à Montréal.»
Incertitude générale
Les Montréalais d’origine haïtienne sont dans l’attente d’informations supplémentaires puisqu’on ne sait toujours pas exactement qui sont les auteurs de l’attaque.
«J’ai vu un bout de film qu’on m’a envoyé de là-bas. On voit un commando qui parle anglais, qui parle créole, qui parle espagnol, on ne sait pas trop c’est qui», a mentionné Marjorie Villefranche qui se pose beaucoup de questions sur la suite des choses.
Réginald Fleury explique que, pour les membres de la communauté haïtienne à Montréal, c’est toujours beaucoup d’inquiétude par rapport à la santé et la sécurité de leurs proches. «Au moins, on est rassurés de voir qu’il n’y a pas d’explosion de violence qui se passe en Haïti. Mais, encore une fois, pour nous qui sommes ici, c’est de l’inquiétude», souligne-t-il.
En effet, si la situation semble présentement «calme», le député Emmanuel Dubourg, qui a encore de la famille en Haïti, estime qu’il faut rester vigilants étant donné la présence de «gangs lourdement armés». «J’espère vraiment qu’une solution viable soit trouvée pour le bénéfice de tous les Haïtiens. Je suis un peu aussi préoccupé par l’absence d’institutions démocratiques dans le pays», a-t-il précisé.
Selon lui, «des mesures drastiques doivent être prises pour qu’il y ait des élections justes et équitables».
Pour le RIIOH, il est clair que cet assassinat amène de la douleur psychologique aux membres de la diaspora qui ont de la famille en Haïti. Les organismes membres du regroupement offrent dès maintenant un soutien aux citoyens et une cellule d’urgence sera mise sur pied.
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a aussi réagi mercredi matin sur Twitter. «Je suis sous le choc, apprenant l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse et je suis de tout coeur avec la communauté haïtienne, à Montréal, et à Haïti, qui doit composer avec ce geste inacceptable. Un assaut à la démocratie qui exacerbe l’instabilité dans le pays», a-t-elle écrit.