De l’extérieur, la maison louée par Projets Autochtones Québec à l’air de n’importe quelle maison partagée, avec six colocataires qui partagent une cuisine, une salle commune et une cour extérieure. En fait, ce «wet shelter», ouvert depuis décembre, permet aux résidents, dont certains ont vécu l’itinérance pendant des décennies, à reconstruire leurs vies – grâce entre autres à une distribution méthodique et surveillée d’alcool.
Les programmes de consommation d’alcool surveillée ne sont pas nouveaux au Canada. Seaton House, le plus grand refuge de Toronto, en offre un depuis 1997. Heather Johnston, directrice générale de PAQ, compare le concept à celui des sites d’injection supervisés.
«Les personnes aux prises avec l’alcoolisme sévère vont consommer. Sans alcool, ils risquent le sevrage, qui pourrait être fatal, ou ils risquent de boire du désinfectant. C’est mieux d’aller les rencontrer là où ils sont, et leur donner un espace sécuritaire et encadré pour consommer», souligne-t-elle.
Sous la supervision d’une médecin, un plan de consommation est développé pour chaque résident. Des canettes de bière, incluses dans le loyer des résidents, sont offertes à chaque heure, du matin au soir. On ne met pas de pression sur les résidents afin qu’ils réduisent leur consommation, mais certains décident de le faire de leur propre gré.
«Pour les personnes ayant des problèmes de dépendance sévères, toute leur journée est orientée vers leur prochain verre», explique Heather Johnston. «Chez nous, ils n’ont plus besoin de chercher de l’alcool et ils n’ont plus besoin de chercher un lit pour la nuit. Ça leur enlève cette pression. Et maintenant, leur souci est de trouver un but à leur vie.»
Une première
La mise en place d’un wet shelter à Montréal a été réclamée par plusieurs organismes communautaires depuis des années. Pendant la pandémie, un programme temporaire de consommation surveillée devait voir le jour à l’ancien hôpital Royal-Victoria pour des personnes en attente des résultats d’un test de COVID-19. Ce projet a toutefois été retardé à cause d’une importante éclosion dans la population itinérante.
Certains refuges ne ferment plus la porte aux personnes intoxiquées. Mais le programme de PAQ, où un programme de consommation surveillée se déroule à l’intérieur d’une maison de transition, est une première.
Au printemps, un financement fédéral du Fonds de soutien aux communautés autochtones a permis de jeter les balises du programme. Ensuite, le programme a été mis sur pied en quelques mois avec le soutien de la Ville de Montréal et le Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Des drames évitables
Pendant l’été, deux femmes autochtones itinérantes qui faisaient partie de la communauté de PAQ ont été tuées dans des accidents de la route en étant intoxiquées. L’une d’elles avait postulé pour le programme d’hébergement transitionnel de PAQ – sans succès, parce que le programme, comme la plupart des initiatives similaires, n’était pas adapté aux besoins des personnes sévèrement alcooliques.
Son décès a ajouté au sens d’urgence ressenti par Heather Johnston et ses collaborateurs.
«Le projet qui a ouvert en décembre est un projet permanent pour des hommes plus âgés qui ont vécu l’itinérance, qui sont aux prises avec un problème de dépendance et dont la santé physique et cognitive montre des signes de déclin», précise Heather Johnston.
PAQ est actuellement en train d’acheter une maison pour le programme. Si le financement le permet, la directrice espère pouvoir doubler la capacité du programme et ajouter des volets pour femmes et pour personnes âgées. Elle est convaincue qu’un accès élargi au programme sauvera des vies.
«Chaque année, des gens meurent parce qu’ils vivent dans la rue», conclut-elle. «S’ils et elles avaient un toit et accès à plus de services de soutien, ces personnes seraient encore parmi nous.»