Les attentes sont grandes alors que s’amorce une consultation publique visant à lutter contre le gaspillage alimentaire à Montréal. Les opinions divergent d’ailleurs quant aux mesures à prendre pour s’attaquer à cet enjeu de taille.
En 2019, une résidente du Plateau-Mont-Royal, Atlantide Desrochers, a lancé une pétition pour réclamer une consultation publique sur la cessation du gaspillage alimentaire. Depuis plusieurs années, la Montréalaise recueille au quotidien les surplus alimentaires de divers commerces et épiceries de son quartier afin de les redistribuer à des citoyens qui en ont besoin. Et ils sont nombreux.
«Quand on voit tous les sans-abris, ça ne fait aucun sens qu’autant de nourriture soit gaspillée», déplore Mme Desrochers, en entrevue à Métro mercredi.
La quantité d’aliments encore comestibles jetée chaque année au pays serait en effet suffisante pour nourrir tous les Canadiens pendant près de cinq mois, selon Recyc-Québec.
«Ça prend des solutions. On ne peut pas bâtir une société juste et équitable en continuant à faire du gaspillage ainsi.» -Atlantide Desrochers, citoyenne
Faire pression sur Québec
En trois mois, de la mi-août à la mi-novembre 2019, cette Montréalaise a recueilli plus de 15 800 signatures, ce qui dépasse le minimum requis pour déclencher la tenue d’une consultation publique à Montréal.
«J’avais trois mois pour recueillir 15 000 signatures. J’ai couru en cours de route pour atteindre cet objectif», sa rappelle Mme Desrochers, qui a beaucoup misé sur les réseaux sociaux pour attirer l’attention des citoyens à sa cause.
C’est donc près d’un an et demi après le lancement de cette pétition que les audiences publiques des mémoires sur la lutte au gaspillage alimentaire ont commencé mercredi soir. D’ici le 10 février, une vingtaine d’organismes et de citoyens prendront part à cet exercice.
C’est d’ailleurs le cas de la députée de Québec solidaire dans Mercier, Ruba Ghazal, qui a pris part à cette consultation mercredi soir. Elle espère ainsi que la métropole pourra contribuer à inciter le gouvernement Legault à agir lui aussi dans la lutte au gaspillage alimentaire.
«La Ville peut faire sa part, mais ce n’est pas tout. Ça va prendre aussi l’engagement du gouvernement du Québec», affirme l’élue au cours d’un entretien téléphonique.
Dans son mémoire, Mme Ghazal presse notamment Québec de colliger des données sur l’état du gaspillage alimentaire dans la province afin de pouvoir se fixer des objectifs en conséquence. La Ville de Montréal a d’ailleurs pris l’engagement de réduire de 50% le gaspillage alimentaire sur son territoire d’ici 2025 dans le cadre de son Plan de gestion des matières résiduelles, qui a fait l’objet d’une consultation distincte l’an dernier.
Des «pénalités financières» réclamées
La députée solidaire réclame par ailleurs la création d’un cadre réglementaire pour obliger les détaillants, les transformateurs et les distributeurs à conclure des ententes avec des organismes afin de redistribuer leurs invendus. Les récalcitrants s’exposeraient alors à des «pénalités financières», expose le mémoire.
De nombreux détaillants redistribuent déjà leurs invendus à divers organismes, comme Moisson Montréal. Cette demande vise donc à punir les entreprises alimentaires qui tardent à prendre le virage.
«Il ne faut pas que ça soit une mesure volontaire, mais obligatoire. Comme ça, celles qui le font seront conformes et celles qui ne le font pas devront se conformer à ce plan de réduction [du gaspillage alimentaire]», explique Ruba Ghazal.
«Pas la bonne cible», plaident les détaillants
Le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) ne partage toutefois pas cet avis.
«Est-ce que c’est vraiment une solution d’y aller par la réglementation? On pense que non parce que les détaillants répondent déjà présents», affirme le directeur des relations gouvernementales en matière d’alimentation au CCCD, Francis Mailly. Il estime donc que «le commerce de détail n’est pas la bonne cible».
L’organisation, qui prendra part à cette consultation le 4 février, plaide plutôt pour l’amélioration de la distribution entre les épiceries et les organismes communautaires.
«Le message qu’on a à passer, c’est qu’on doit s’assurer que les dons alimentaires se rendent aux bons endroits», ajoute M. Mailly. Ce dernier propose par ailleurs de tenir des campagnes de sensibilisation afin d’inciter les citoyens à gaspiller moins d’aliments.
Une demande à la hausse
Pendant ce temps, la demande auprès des banques alimentaires est en forte hausse dans la métropole.
«Depuis le début de la pandémie, on a augmenté la quantité [d’aliments] qu’on distribue de 40%», confie à Métro le directeur général de Moisson Montréal, Richard Daneau, qui constate que la crise sanitaire a «exacerbé» l’insécurité alimentaire à Montréal.
Quant à la lutte au gaspillage alimentaire, M. Daneau plaide lui aussi pour une réduction à la source, en incitant les citoyens à changer leurs comportements.
«Il nous apparaît que les causes mêmes du gaspillage alimentaire sont en amont de ce qui se passe à l’épicerie. […] Si je veux apporter un réel changement, je dois changer mes habitudes de consommation», tranche-t-il.