La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) estime que des cibles intermédiaires sont nécessaires en matière de développement du transport en commun dans le Grand Montréal afin d’éviter d’alimenter «le cynisme» de la population «face à la mobilité métropolitaine», a appris Métro.
Depuis le 13 janvier, l’Autorité régionale du transport métropolitain (ARTM) tient des audiences publiques sur son projet de Plan stratégique de développement du transport collectif de la région métropolitaine (PSD). Le volumineux document, plus de 180 pages, comprend des cibles audacieuses. Il prévoit notamment une hausse de 60% de l’offre de service du transport en commun dans la région d’ici 2031-2035, ce qui devrait se traduire par une augmentation de 30% de son achalandage. L’utilisation de l’auto solo serait alors vouée à diminuer, au profit d’une augmentation substantielle des déplacements en transport collectif à l’heure de pointe, entrevoit l’ARTM.
Concrètement, cela nécessite bien sûr de compléter les projets de transport en commun déjà en construction, comme le service rapide par bus (SRB) du boulevard Pie-IX, le prolongement de la ligne bleue du métro et la première phase du Réseau express métropolitain (REM).
L’ARTM prévoit aussi accélérer l’étude de plusieurs nouveaux projets en vue de leur réalisation. Un mode de transport collectif lourd pourrait notamment voir le jour sur le boulevard Taschereau, à Longueuil. L’organisme envisage aussi de prolonger la ligne orange du métro vers l’ouest, jusqu’à la gare Bois-Franc, et de mettre en place un tramway entre Lachine et le centre-ville de Montréal, entre autres. Ainsi, la facture de mise en oeuvre du PSD pourrait grimper à plus de 36 G$, estime l’organisme.
Prévenir le «cynisme» de la population
Dans un mémoire que le président et chef de la direction de la CCMM, Michel Leblanc, présentera cet après-midi dans le cadre de ces audiences publiques, on soulève la crainte que les cibles audacieuses du PSD rendent les résidents du Grand Montréal sceptiques. Le document de 14 pages rappelle d’ailleurs que plusieurs projets de transport en commun, comme le SRB Pie-IX et le prolongement de la ligne bleue, sont attendus depuis plusieurs décennies. La facture de ces deux projets a aussi explosé au fil des années.
«La volonté de l’ARTM de donner un nouvel élan au transport collectif est louable. Toutefois, si l’on se fie aux tendances des dernières années, les objectifs du PSD seront très difficiles à atteindre. Il faudra donc veiller particulièrement à ce que ces cibles élevées n’alimentent pas la démobilisation des acteurs du milieu et le cynisme de la population face à la mobilité métropolitaine», soulève le mémoire de la CCMM, dont Métro a obtenu copie.
La CCMM recommande donc à l’ARTM d’adopter des «cibles intermédiaires», plus «pragmatiques», sur un horizon de quelques années. Celles-ci s’accompagneraient d’un mécanisme de reddition de compte, afin que les citoyens puissent prendre connaissance sur une base régulière de l’avancement des cibles de l’ARTM en matière de développement du transport en commun. «La crédibilité et l’image de l’ARTM sont également en jeu», prévient le document.
«Le danger, si l’ARTM n’est pas crédible, c’est d’avoir un milieu politique qui ne se préoccupe pas de son plan stratégique et qui arrive avec d’autres projets», laisse tomber Michel Leblanc, en entrevue à Métro.
CDPQ-Infra, l’éléphant dans la pièce
À cet égard, plusieurs experts questionnent d’ailleurs l’absence de la participation de l’ARTM dans la première mouture du projet de REM de l’Est, piloté par CDPQ-Infra.
«CDPQ-Infra arrive avec le REM de l’Est sans coordination avec les sociétés de transport. Et pire que ça, il est en parallèle avec la ligne verte [du métro] sur une partie du trajet», soulève la professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, Florence Junca-Adenot, en entrevue à Métro. Il est donc primordial, selon elle, que ce projet se retrouve dans la version finale du plan stratégique de l’ARTM. D’autant plus que les structures aériennes du REM posent de sérieux enjeux d’intégration urbaine au centre-ville, souligne l’experte.
«C’est comme si deux pilotes organisaient le développement du transport collectif dans la région métropolitaine de façon indépendante. On ne peut pas permettre ça.» -Florence Junca-Adenot
Le transport en commun écope de la pandémie
Selon Mme Junca-Adenot, il est par ailleurs fort probable que les effets du télétravail sur la chute de l’utilisation du transport en commun continuent de se faire sentir après la pandémie. L’achat en ligne devrait aussi continuer d’être très populaire, croit-elle.
Dans ce contexte, «on peut garder les mêmes cibles [d’augmentation de l’achalandage du transport en commun], mais sans doute que ça va prendre plus de temps pour les atteindre. On ne peut pas faire abstraction des impacts de la pandémie», affirme l’experte.
Contactée par Métro, l’ARTM n’a pas voulu commenter les recommandations effectuées dans le cadre de la consultation sur le PSD, puisque celle-ci est toujours en cours. L’organisation souligne toutefois par courriel qu’elle s’est donnée une marge de manoeuvre de quatre ans (2031-2035) pour atteindre ses cibles, afin de tenir compte de la pandémie.
Les audiences publiques de l’ARTM prendront fin le 26 janvier.