La Ville de Montréal ne demandera finalement pas à la vérificatrice générale (VG), Michèle Galipeau, d’auditer un rapport préélectoral sur les finances de la métropole avant le prochain scrutin municipal. Une décision qui soulève l’ire de l’opposition officielle à l’hôtel de ville.
Quelques jours après son arrivée au pouvoir, en novembre 2017, la mairesse de Montréal avait fait une sortie publique pour déplorer un «manque à gagner» de 358 M$ dans les finances de la Ville. Or, cette dernière a ensuite présenté un surplus financier de 139,5 M$ pour l’année 2017.
«L’idée d’avoir une instance indépendante, comme la VG, qui prépare un rapport, c’est pour éviter cette crise récurrente à chaque changement d’administration. Les Montréalais en ont marre et ils ont raison», a lancé lundi à Métro le chef d’Ensemble Montréal, Lionel Perez.
Ainsi, en janvier 2018, le parti d’opposition a déposé une motion demandant la mise en place d’un Bureau indépendant du budget pour analyser les finances de la Ville de façon impartiale. En réaction, l’administration de Valérie Plante avait plutôt proposé de donner ce mandat à la VG afin d’emboiter le pas à l’Assemblée nationale, qui avait pris depuis peu une initiative similaire.
Puis, en août 2019, le conseil municipal a adopté une résolution prévoyant de demander à la VG de présenter un audit, au plus tard en septembre 2021, d’un rapport préélectoral que complètera l’été prochain le Service des finances de la Ville.
Revirement de situation
Le rapport préélectoral qu’aurait audité la VG aux élus aurait compris un état complet des finances de la Ville, mais aussi des projections de l’évolution de ses revenus et de ses dépenses pour l’année suivant les prochaines élections municipales, qui auront lieu en novembre 2021. Ce document aurait ainsi pu aider les partis à ajuster leurs promesses électorales à la situation financière de la Ville et de maîtriser les défis auxquels celle-ci fait face.
Or, dans un point inscrit à l’ordre du jour de la séance du conseil municipal, en cours depuis 13h ce lundi, le comité d’audit de la Ville qui s’est penché sur ce dossier recommande toutefois au conseil municipal de «retirer sa demande d’un rapport préélectoral». Cette recommandation a été adoptée vers 17h40, lundi, malgré la dissidence de l’opposition officielle.
«C’est choquant et c’est étonnant […] Je suis sans mot.» -Lionel Perez, chef d’Ensemble Montréal
La faute à la pandémie?
Pour justifier cette décision, la Ville souligne notamment les impacts de la crise sanitaire, qui a retardé «la capacité» de la VG de livrer son rapport préélectoral dans les temps. Les documents décisionnels notent aussi «le manque de ressources humaines et de systèmes adéquats pour supporter l’exercice».
«La pandémie a fait en sorte de ralentir les travaux et a fait en sorte que les ressources étaient beaucoup plus importantes [pour concrétiser ce rapport préélectoral] que celles qu’on pouvait mettre à ce moment-là», a justifié en fin d’après-midi le président du comité exécutif, Benoit Dorais, quelques minutes avant la tenue du vote sur ce point.
Depuis deux ans, Michèle Galipeau a interpellé la Ville à plusieurs reprises pour lui demander de lui fournir les informations nécessaires pour planifier l’audit de cet éventuel rapport préélectoral, avant de finalement obtenir des détails à cet égard.
«La vérificatrice générale prend acte de la recommandation du comité de vérification et de la résolution du conseil municipal», a indiqué son bureau par courriel, en début de soirée.
La VG retournera donc à la Ville «l’intégralité» du budget additionnel de 900 000$ que celle-ci lui avait accordé pour réaliser ce mandat, avant de se rétracter. Elle continuera malgré tout «les travaux d’audit sur les principaux processus budgétaires touchant les revenus et les dépenses» de la Ville, a précisé le bureau de Mme Galipeau. Ces démarches devraient mener à la publication d’un rapport distinct en 2021.
Une instance indépendante
En réplique à l’opposition, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a assuré que les services de la Ville présenteront l’année prochaine une mise à jour des finances de la Ville.
«Il y aura une mise à jour économique, c’est-à-dire que tous les partis pourront voir l’état des finances de la Ville avant les élections», a-t-elle affirmé. Une analyse que réalisera le Service des finances de la Ville, a plus tard précisé le président du comité exécutif, Benoit Dorais.
«Nous sommes la première administration qui n’a rien à cacher.» -Valérie Plante, mairesse de Montréal
Cette initiative ne viendra toutefois pas compenser l’audit du rapport préélectoral qu’aurait réalisé le bureau de la VG – une entité neutre – estime la professeure de l’Université du Québec à Montréal et spécialiste des affaires municipales, Danielle Pilette.
«Pour moi, la question, c’est l’indépendance de la personne qui fait le rapport [sur la situation financière de la Ville]», souligne l’experte. D’autant plus, ajoute-t-elle, que la VG a la «capacité d’enquêter», tandis que le Service des finances se contente de «compiler des données».
«Je pense que ce qui peut expliquer ça, c’est qu’on préfère garder certains postes budgétaires dans l’obscurité», ajoute-t-elle au sujet de la décision de la Ville de retirer ce mandat au bureau de Mme Galipeau.