Les tensions se ravivent entre la municipalité d’Oka et la réserve mohawk de Kanesatake. Le grand chef Serge Simon annonce qu’il «coupe toute communication» avec le maire Pascal Quevillon, qui a refusé vendredi de lui accorder des excuses formelles pour des propos qu’il a tenus au cours des deux dernières semaines.
Serge Simon a tenu un point de presse vendredi à Montréal, en marge d’une rencontre avec des représentants de Québec et d’Ottawa.
«Le maire d’Oka, on coupe les liens avec lui. Mais les autres maires qui sont responsables et respectueux, on va continuer le dialogue avec eux.» – Serge «Otis» Simon, grand chef de Kanesatake
M. Simon dit avoir eu une discussion concluante avec les deux paliers de gouvernement.
Les deux hommes sont à couteaux tirés depuis qu’un promoteur immobilier entend céder 60 hectares de terrains aux Mohawks de Kanesatake, dans un geste de réconciliation.
Dans les derniers jours, M. Quevillon a fait part de ses craintes que la municipalité d’Oka se retrouve «enclavée» si cette cession de terrains se concrétise. Il a également dit craindre que des cabanes à cigarette et à cannabis se multiplient dans le secteur, ce qui risquerait selon lui de faire chuter la valeur foncière des propriétés d’Oka.
«Il faut d’abord que ma communauté se prononce à savoir si on va le faire comme ça ou non. Et ça, ce n’est même pas fait encore. Le maire [Pascal Quevillon], il a pesé sur le bouton de panique un peu trop vite», a réagi M. Simon.
L’élu mohawk veut consulter les résidants de sa communauté avant de donner son aval à ce don du propriétaire Grégoire Gollin.
«Pensée colonisatrice»
M. Simon s’en prend à l’attitude du maire d’Oka dans cette affaire.
«Le maire Quevillon est le parfait exemple de cette pensée colonisatrice. Il refuse de reconnaître que les Mohawks sont là. Et il est même allé jusqu’à dire qu’il est là depuis aussi longtemps que nous […] C’est ridicule», a déploré Serge Simon.
Au cours des derniers jours, M. Quevillon a affirmé que les non-autochtones sont aussi chez eux «depuis 300 ans» à Oka.
Le chef de l’Assemblée de Premières Nations du Québec-Labrador, Ghislain Picard, et le secrétaire parlementaire de la ministre fédérale des relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, ont critiqué les propos tenus par le maire d’Oka.
«On est tous un peu vulnérables à une certaine désinformation qui est propagée en partie par le maire d’Oka. Donc, on a demandé expressément aux deux paliers de gouvernement de s’assurer que l’information qui est transmise à la population soit la bonne information. C’est important», estime M. Picard.
M. Miller a pour sa part qualifié d’«incendiaires» et de «stéréotypés» les propos tenus par M. Quevillon. Dans les derniers jours, les tensions entre Oka et Kanesatake ont soulevé le spectre d’une nouvelle «Crise d’Oka», comme celle survenue en 1990.
«Ce n’est pas le temps de rappeler cette crise. Ce que je dois faire, c’est de rappeler que ces deux communautés ont vécu en paix une grande partie de leur existence et continuent de le faire», dit-il.
Oka isolé
M. Quevillon s’est excusé, vendredi, pour le choix de ses mots. Mais sur le fond de l’affaire, il persiste et signe.
«Je n’ai peut-être pas utilisé certains mots et certaines paroles que certains auraient voulu entendre. Mais le fond est réel et c’est la vérité. Il aurait peut-être fallu que j’utilise d’autres termes, d’autres mots, mais ce que j’ai dit est la vérité», dit-il.
«Je me tiens debout. Ma population est derrière moi.» – Pascal Quevillon, maire d’Oka
M. Quevillon estime qu’il faut «arrêter de s’enfarger dans les fleurs du tapi». Il souhaite toujours discuter avec les représentants de Kanesatake.
Bien que «très satisfaite» des «discussions» qu’elle a eues tour à tour avec Serge Simon et Pascal Quevillon vendredi, la ministre responsable des Affaires autochtones au sein du gouvernement Legault, Sylvie D’Amours, a fait part de sa déception quant au manque de communication directe entre les deux hommes.
«Jusqu’à hier, j’avais espoir qu’on puisse s’asseoir tous ensemble», a-t-elle dit.
«Extorquer» les gouvernements?
Serge Simon a par ailleurs réagi à un article du Journal de Montréal publié jeudi. On y lit que la municipalité d’Oka demande un financement de 30 M$ de la part de Québec pour imposer un moratoire au développement immobilier qui est au cœur de cette dispute.
«Honnêtement, je crois que le maire est en train d’essayer d’extorquer de l’argent des gouvernements», a lancé le grand chef.
M. Quevillon a répliqué qu’il s’agit d’une façon de régler les problèmes en attendant qu’Ottawa ne tranche le dossier.
«Ce qui cause des frictions depuis plusieurs années, c’est le développement à Oka. Et le développement à Oka passe par le privé parce que ce sont toutes des terres privées», a-t-il dit.
Mme D’Amours a toutefois rejeté la demande de M. Quevillon.
«Nous avons dit que notre gouvernement n’irait pas en ce sens», a-t-elle confirmé lors d’un point de presse vendredi.
La Crise d’Oka a été déclenchée en 1990 lorsqu’un développeur a voulu agrandir un terrain de golf sur un cimetière mohawk. Le projet a été abandonné, mais la question des revendications territoriales n’a jamais été réglée.