QUÉBEC — La grogne monte dans les grandes villes de banlieue contre le Réseau express métropolitain (REM), le futur train de la Caisse de dépôt et placement.
Elles protestent contre le mécanisme de tarification imposé par la Caisse et craignent l’explosion des coûts à long terme, au détriment des contribuables. Elles reprochent aussi à la Caisse son opacité quant à ses projections sur 20-30 ans.
Dans une entrevue avec La Presse canadienne diffusée dimanche, une source proche du dossier a dénoncé avec véhémence l’entente qui a été conclue entre le REM et l’Agence régionale de transport métropolitain (ARTM).
Celle-ci a été avalisée par les élus de la région lors d’une réunion récente de l’ARTM, malgré l’opposition des villes de Longueuil et de Laval.
Selon cette source confidentielle qui a été impliquée dans les discussions, la Caisse a toujours imposé ses conditions, qui ne sont pas à l’avantage des usagers.
«Chez tout le monde, même les gens qui ont voté pour, il y a un sentiment que les gens sont “bulldozés”», a-t-elle évoqué.
La Ville de Laval va subir des impacts de l’entente, mais Longueuil sera encore davantage frappée de plein fouet, «50 fois plus que Laval».
Cette source haut placée, dont on ne peut dévoiler l’identité, s’attaque entre autres au système de tarification mis en place par la Caisse. La Presse canadienne a obtenu tout récemment une section de l’entente confidentielle qui porte sur le mécanisme tarifaire.
Tarif en «mode ascenseur»
Le tarif est de 0,72 $ du kilomètre par passager, à payer par l’ARTM au REM. Par exemple, si 1000 passagers font 10 km, l’ARTM verserait 7200 $. Le document prévoit l’indexation annuelle non seulement des coûts d’exploitation, pour le tiers du 0,72 $, mais aussi du capital et du rendement, pour les deux tiers restants.
C’est un non-sens selon cette source, comme si on soumettait une hypothèque à une indexation annuelle.
«C’est une façon déguisée de faire monter rapidement le tarif (…). Les 0,72 $ vont être en mode ascenseur.»
De plus, une autre méthode d’indexation permet à la Caisse d’augmenter la facture, basée sur la variation de son panier d’obligations. Bref, si le rendement de ses placements sur les marchés est plus élevé que celui du REM, la Caisse veut être compensée pour la différence.
Et c’est le gouvernement, à 85 pour cent, et les municipalités, à 15 pour cent, qui devront payer la facture totale, qui se chiffrera en plusieurs millions de dollars.
Mais 15 pour cent de quoi? Les villes sont tenues dans l’ignorance. Elles ont demandé des projections sur 20 ans, mais se sont fait répondre que la Caisse n’avait pas fait le calcul.
C’est une «absence de transparence complète», estime le haut-responsable.
«C’est clair qu’ils ont les chiffres (…). On dit qu’il va avoir de la collaboration (pour la suite des choses), mais si on regarde comment tout s’est passé, il n’y a pas eu beaucoup de collaboration, la Caisse a toujours ‘bulldozé’ et a eu tous les privilèges.»
Il est aussi impossible de savoir comment le déficit annuel du REM sera partagé, au prorata du nombre d’utilisateurs selon leur ville d’origine, qui paiera donc la part qui lui revient, ou plutôt ligne par ligne.
«De façon cavalière»
Renseignements partiels, consultations et négociations dans la précipitation: «L’ARTM a négocié avec le couteau sur la gorge, soutient cet interlocuteur impliqué dans le processus. On a été peu écoutés. Ça s’est fait de façon cavalière.»
Les élus des couronnes n’ont eu «aucun pouvoir», a-t-il poursuivi, et le gouvernement libéral a fait pression pour imposer le cadre de la Caisse.
«Les gens de l’ARTM ont été complètement écartés. S’ils tenaient leur bout, ils se faisaient rappeler à l’ordre par le gouvernement», a déploré notre source.
Selon elle, le premier ministre Philippe Couillard en personne veut absolument que le projet se réalise dans cette forme, aux conditions édictées par la Caisse.
«C’est le projet que le premier ministre veut voir se réaliser et il va se réaliser à tout prix.»
Une autre partie du projet d’entente confidentiel obtenu la semaine dernière par La Presse canadienne garantit de vastes zones de monopole au REM, autant sur la Rive-Sud et sur la Couronne nord qu’au centre-ville de Montréal, ce qui pourrait mettre en péril plusieurs services de transport en commun existants ou projetés. Le document prévoit aussi de grands territoires de rabattage, où les autobus devront amener la clientèle vers les gares du REM les plus proches.
Longueuil paiera très cher le rabattage, estime notre interlocuteur, tandis que Laval n’a encore aucune idée précise des impacts du remplacement de la ligne de train de banlieue qui la traverse déjà à l’ouest pour aller vers Deux-Montagnes. Le tracé sera-t-il surélevé? En tranchée?
Et lorsque le train actuel va cesser de circuler pour la construction du REM, «les gens vont tomber en bas de leur chaise, on ne sait pas encore quand ça arrivera, quel sera l’impact, s’il y aura des mesures d’atténuation appropriées».
Enfin, comme l’entente est prévue pour durer jusqu’à 200 ans, alors qu’on n’a aucune idée de l’évolution des technologies et du développement urbain dans quelques décennies, «on menotte les autres réseaux et c’est la Caisse qui a le gros bout du bâton», regrette le haut-responsable.
Beaucoup d’élus se sont résignés, mais quand les travaux commenceront, «ça va crier fort», estime notre interlocuteur.
«Je ne dis pas que c’est un mauvais projet, mais je ne pense pas que c’est un excellent projet, a-t-il conclu. Quand on dépense autant d’argent, on s’attend à avoir quelque chose qui est un excellent projet. Que ce soit un bon projet n’est pas suffisant. On devrait avoir un excellent projet. Mais cela n’a pas été discuté, on n’a pas pu avoir ces réflexions.»
La Caisse de dépôt réagit
La Caisse de dépôt n’a pas mis de temps à donner son point de vue dimanche après-midi. Elle a fait valoir que le REM coûtera au total aux municipalités entre 45 et un maximum de 60 millions $ par an, en vertu de tarifs prévus qui vont en régressant en fonction de paliers d’achalandage.
Si la fréquentation dépasse de 115 pour cent ou de 140 pour cent la cible prévue, la contribution de l’ARTM baisse, donc celles des municipalités aussi, et elle ne dépassera jamais les 60 millions $.
La Caisse fait aussi remarquer qu’en perspective, la contribution des municipalités au REM augmentera de seulement 4 à 6 pour cent leur contribution globale à l’ensemble des réseaux de transport, et ce pour un réseau flambant neuf de 67 km, clé en main, construit, exploité et entretenu par la Caisse.
Enfin, la Caisse de dépôt soutient que pour les municipalités, le REM revient «quatre fois à cinq fois moins cher» que le réseau de trains et de métro, si l’on tient compte de l’ensemble des coûts, immobilisations, exploitation, etc.
Vendredi, le premier ministre Philippe Couillard avait balayé du revers de la main l’opposition des grandes villes de banlieue au projet de REM tel que libellé.
Il a toutefois demandé à la Caisse d’être plus transparente sur l’entente. Il faisait ainsi écho au souhait de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui demandait jeudi à la Caisse de «partager toutes les informations» sur le REM.
Le REM est un projet de train de banlieue de 6,3 milliards $ mené par la Caisse de dépôt, mais également financé par le Québec, le gouvernement fédéral et Hydro-Québec.
Il comprend une grande ligne qui va de la Couronne nord (Deux-Montagnes) à la Rive-Sud (Brossard) en passant par l’île de Montréal, ainsi que deux segments vers l’ouest de l’île, pour un total de 26 stations. Les travaux doivent commencer en avril et se terminer en 2021.
Le Parti québécois a proposé la semaine dernière l’abandon du REM pour réorienter l’argent vers un vaste réseau de bus rapides, de tramways et une bonification majeure des services de trains de banlieue pour desservir l’ensemble de la grande région métropolitaine.
Évalué à un peu plus de 7 milliards $, le plan du PQ prévoit neuf circuits de bus rapide dans l’Est et l’Ouest de Montréal, sur la Rive-Sud et sur la couronne Nord, cinq lignes de tramways électriques dont quatre sur l’île desservant le secteur de l’hippodrome, l’aéroport international Montréal-Trudeau, l’Est de Montréal jusqu’à son extrémité et le boulevard Saint-Laurent.