Un projet routier datant des années 1970 sème la controverse dans Lanaudière
Un projet d’infrastructure routière divise la petite municipalité de Sainte-Julienne, dans Lanaudière. D’un côté, un groupe de citoyens lutte contre le projet de prolongement de la route 125, un projet qui date des années 1970 et qui, selon eux, mettrait en danger des espèces menacées et détruirait des milieux humides. À l’opposé, élus et citoyens attendent impatiemment la concrétisation de ce projet «depuis 48 ans».
Shanie Gauthier, jeune femme de 23 ans résidant à Sainte-Julienne, est l’initiatrice d’une pétition s’opposant au projet, pétition qui compte à ce jour près de 2300 signatures. Elle milite activement pour la préservation des milieux humides qui seront rasés pour faire place à quatre voies automobiles. Ces voies feront 90 mètres en largeur et s’étaleront sur près d’une dizaine de kilomètres.
«Le projet entraînera la destruction de forêts et d’un environnement exceptionnel» s’attriste de son côté le vice-président du Conseil régional de l’environnement de Lanaudière (CREL), Francis Bergeron. Il explique que dans la MRC de Montcalm, où se trouve Sainte-Julienne, de plus en plus de biodiversité est perdue puisque «le privé fait l’acquisition de terres où se construiront des quartiers».
Là, on va perdre des milieux exceptionnels de manière volontaire, parce que c’est le gouvernement qui choisit de construire une autoroute au lieu de préserver la biodiversité.
Francis Bergeron, vice-président du CREL
Une ville divisée
Datant des années 1960, les plans initiaux du projet de prolongement de la R-125 – qui constitue également une portion de l’autoroute 25 – ont subi diverses mutations au fil des ans, explique le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTQ).
Le territoire sur lequel doit se construire cette route a été acquis en 1975.
Cette année-là, alors que Gérald Daviau avait 25 ans, ses parents auraient perdu un tiers de leur terre – principalement un boisé –, une portion acquise par le MTQ. Aujourd’hui, le septuagénaire juge que cette route doit être construite. «On n’a pas le choix, ça fait 48 ans qu’on l’attend!»
Le trafic ralentit la circulation plusieurs jours dans l’année, soutient-il. Tout près de chez lui, un complexe de plusieurs centaines de portes doit voir le jour, ce qui accentuera l’achalandage routier. Si cette portion de route n’est pas construite, «je vais être fâché», lâche M. Daviau.
«Ces travaux permettront d’améliorer la sécurité routière en augmentant l’accessibilité de la partie nord de la région de Lanaudière et en diminuant la circulation au centre-ville de Sainte-Julienne», résume de son côté le MTQ.
Plusieurs élus de municipalités bordant la R-125 entre Saint-Esprit et Saint-Donat se sont unis sous la bannière Mobilité 125. Le comité travaille comme partenaire du MTQ pour la concrétisation du projet. La visite de nombreux tourismes locaux, que les maires souhaitent accueillir à bras ouvert, affluent vers la région lors de la saison estivale.
Ce sont «souvent jusqu’à 20 000 véhicules par jour qui empruntent une route de campagne sur laquelle de nombreux commerces de proximité, résidences et entreprises agricoles cohabitent dangereusement», expliquent les représentants de Mobilité 125.
L’état actuel de la mobilité dans le secteur causerait selon les élus des enjeux de sécurité et nuirait au développement économique et social et à la qualité de vie du secteur.
Un projet anachronique
Du côté de l’organisme Vivre en ville, de Shanie Gauthier et du CREL, on critique l’anachronisme que représente ce projet de prolongement routier. «La croissance pour la croissance, c’est un paradigme duquel il faut se sortir», croit le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard.
«C’est un projet qui est déconnecté de la réalité climatique d’aujourd’hui», ajoute Mme Gauthier.
M. Daviau croit lui aussi que le transport en commun devrait être mis de l’avant, «mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse? Le gouvernement n’investit pas là-dedans.» Les élus de la région assurent qu’il ne souhaitent pas détruire des espaces verts ou des terrains agricoles, mais qu’il n’existerait «pas d’autres issues».
En 2021, le gouvernement devait investir 287 M$ pour le prolongement de la R-125. «Avec l’inflation, on va être rendu à quoi, 400 M$?, se demande M. Bergeron. Avec ce montant-là, on pourrait en avoir, des autobus, des chauffeurs et des gares!»
Avec son projet, le message que le gouvernement envoie à la population c’est «achetez-vous un char».
Francis Bergeron, vice-président du CREL
Selon Mobilité 125, la réalité du terrain «comme partout en région d’ailleurs, ne le permets tout simplement pas». Les élus de ce comité qualifient d’«illusoire d’imaginer» qu’un transport collectif solutionnerait «à lui seul» les enjeux de mobilité.
Ce prolongement causerait de l’étalement urbain, faisant en sorte que dans 15 ans, la population serait aux prises avec le même trafic qu’aujourd’hui, soutiennent ses opposants, qui trouvent inconcevable la destruction d’un milieu naturel «pour que des touristes arrivent plus vite à leur chalet».
Le pied sur le gaz
Malgré la division que ce projet crée chez les citoyens de Sainte-Julienne, la Coalition Avenir Québec (CAQ) maintient sa décision de le voir se concrétiser. Le projet de prolongement de la R-125 compte en effet parmi les 181 projets assujettis à la Loi 66 visant à permettre l’accélération de certains projets nationaux d’infrastructure. Plusieurs groupes de la société civile, dont ceux impliqués contre le prolongement de la R-125, militent pour l’abrogation de cette loi, adoptée dans un contexte pandémique.
«Cette loi-là a été adoptée pour stimuler l’économie, mais là, non seulement l’économie roule, mais en plus, il n’y a pas de main-d’œuvre», soutient le vice-président du CREL. Avec la Loi 66, seules les consultations publiques ciblées sont retenues et sont réservées aux individus et aux groupes sélectionnés par la ministre Geneviève Guilbault, souligne-t-il.
Selon le MTQ, le comité Mobilité 125, en faveur de la construction du tronçon d’autoroute, aurait travaillé comme partenaire en présentant «sa vision globale des besoins en transports pour améliorer l’accès au nord de Lanaudière».
Le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux Changements climatiques à émis un avis défavorable au projet présenté par le MTQ. Ce dernier doit effectué l’analyse des enjeux soulevés dans le cadre d’une consultation publique menée par ministère de l’Environnement. M. Bergeron croit que la route passera «davantage du côté des champs d’agriculture» et maintient sa position vis-à-vis le projet.