Le président américain, Joe Biden, a donné 90 jours aux services de renseignement pour produire un rapport sur une potentielle fuite du coronavirus d’un laboratoire chinois. L’hypothèse, qui avait été écartée publiquement par les autorités de santé publique au début de la pandémie, refait maintenant surface.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les recherches menées pour établir l’origine du virus SARS-CoV-2 ont donné lieu à différentes hypothèses.
À l’heure actuelle, aucune d’entre elles n’a permis de déterminer comment ce virus a réussi à se transmettre dans la population humaine. Un des premiers scénarios avancés, celui du marché de Wuhan qui aurait mené à une dispersion rapide du virus, semble moins crédible étant donné les données présentement disponibles. Malgré une année de recherche intensive, le virus n’a été identifié chez aucun animal.
Cependant, la transmission animal-humain demeure une des hypothèses les plus solides qui expliqueraient l’apparition de ce nouveau coronavirus. Ainsi, il est proposé qu’un membre de la famille des coronavirus aurait été transmis de la chauve-souris chez l’humain via un hôte intermédiaire. Une telle situation n’est pas unique et on peut se référer à l’origine du coronavirus MERS-CoV (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) : des dromadaires auraient servi d’hôte intermédiaire. Dans le cas du virus de la Covid-19, cet hôte pourrait être le pangolin, vendu illégalement au marché de Wuhan, bien que cette hypothèse nécessite des preuves plus convaincantes.
Professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal, je suis expert en virologie, plus particulièrement au niveau des rétrovirus humains et plus récemment sur les coronavirus humains.
Les « gains de fonction »
Assez rapidement après le début de la pandémie, l’idée d’une fuite du virus en provenance du laboratoire de niveau de confinement 4 (NC4) situé dans l’Institut de virologie de Wuhan (WIH) a commencé à circuler. Bien que fort probablement accidentel, un tel événement n’a pas été écarté.
En fait, ces dernières semaines, cette possibilité a refait surface et ainsi placé Dr Anthony Fauci, le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), dans une situation embarrassante. Ainsi, les États-Unis auraient financé ce laboratoire de recherche, et les projets financés auraient été axés sur des études de gain de fonction. Certains journaux américains, tels que le Wall Street Journal, soutiennent que Dr Fauci aurait appuyé ces expériences de gain de fonction en cours au WIV.
Or, malgré les avantages qui lui sont attribués, cette approche n’est pas sans risque.
Mais qu’est-ce que la recherche de gain de fonction ? Bien qu’elle soit parfois référée au sens large à certaines études portant sur l’analyse de fonctions des protéines, au niveau médical, elle revêt une connotation particulière autour de la recherche portant sur les virus. Ainsi, l’objectif des études de gain de fonction est de créer un virus ayant acquis de nouvelles propriétés qui le rend plus pathogénique et/ou plus transmissible chez l’humain.
Traditionnellement, ce type de changement se concentrait sur l’utilisation de cellules animales/humaines dans lesquelles le virus était cultivé. Au cours des dernières années, des modèles animaux et les techniques de biologie moléculaire visant des modifications précises de certains gènes viraux ont mené à d’importantes avancées. Ce processus peut ainsi mener à la génération rapide (comparativement à l’évolution naturelle des virus qui s’échelonnent sur plusieurs années) de nouveaux virus mieux adaptés à l’espèce humaine avec des changements possibles au niveau de leur virulence et de leur capacité de se transmettre entre humains.
Le bien-fondé de ce type de recherche relève du fait que l’isolement de tels nouveaux virus pourrait permettre d’identifier les changements spécifiques dans leur génome qui ont mené à ces nouvelles caractéristiques. Ainsi, de telles connaissances pourraient aider les scientifiques à mieux prévoir la venue prochaine de nouvelles pandémies et mener également au développement de vaccins et traitements adaptés à ces possibles agents infectieux.
Des recherches trop dangereuses ?
Cependant, le principe de la recherche de gain de fonction a été grandement contesté au cours de la précédente décennie.
Un exemple classique souvent cité, qui a semé l’inquiétude auprès de nombreux scientifiques, est le cas des travaux de recherche menés par Ron Fouchier et Yoshihiro Kawaoka. À la suite de l’utilisation d’un protocole de passages multiples d’un virus aviaire très dangereux (infection répétée de furets suite à un transfert d’un échantillon provenant d’un furet précédemment infecté), ces chercheurs ont pu créer un virus influenza H5N1 transmissible chez cette espèce animale par aérosols.
L’étude en question a fait l’objet de nombreux débats et a mené à une pause de cette recherche. Le gouvernement américain a même exhorté les revues scientifiques à ne pas publier ses résultats complets, soutenant que ces informations pourraient servir à des bioterroristes. Elle a été à nouveau relancée en 2013.
La recherche utilisant la procédure de gain de fonction a certainement des avantages afin de prévenir la transmission animal-humain d’un virus qui pourrait ainsi être responsable d’une pandémie catastrophique. Ce type de recherche requiert cependant des infrastructures de haut niveau de sécurité, tel qu’un laboratoire NC4.
Le mode opérationnel d’un tel laboratoire assure la protection de ses utilisateurs et évite également une fuite d’un nouveau virus transmissible chez l’humain. Or, certains documents ont révélé que la rigueur des normes de biosécurité au laboratoire NC4, abrité par le WIV, était parfois déficiente. De plus, il a été avancé que certaines des études de gain de fonction ont été réalisées à cet institut à partir de coronavirus de chauve-souris dans des conditions inadéquates de biosécurité.
L’hypothèse de la fuite du laboratoire NC4 de Wuhan relancée
C’est ainsi que la possibilité que ce virus provienne d’une fuite du laboratoire NC4 de Wuhan devient de plus en plus prévalente comme hypothèse.
Bien qu’un comité formé par l’OMS ayant visité les installations à Wuhan a conclu que les évidences ne semblaient pas supporter la thèse d’une origine humaine du virus SARS-CoV-2, plusieurs scientifiques de renom doutent de la transparence de la Chine lors de cette visite. Ils ont demandé, dans une lettre ouverte publiée en mai dans le magazine Science, une investigation plus approfondie.
Plus tôt ce mois-ci, Dr Fauci a affirmé qu’il n’est désormais « pas convaincu » que le virus de la Covid-19 se soit développé naturellement, et il a appelé à une enquête plus approfondie sur les origines du virus. Enfin, dans une déclaration relayée mercredi par la Maison Blanche, le président américain Joe Biden a demandé à ses services de renseignement de redoubler leurs efforts afin d’investiguer sur une possible fuite de laboratoire du virus qui serait responsable de la pandémie actuelle.
De nouvelles évidences ont été mises de l’avant par différents médias : le WSJ révélait dimanche que de nombreux employés du WIV ont éprouvé des symptômes similaires à ceux de la Covid-19 en novembre 2019 et qu’au moins trois d’entre eux ont dû être hospitalisés, supportant la théorie de la fuite du virus du laboratoire de Wuhan.
Des investigations additionnelles sont demandées et la recherche sur les études de gain de fonction à partir de coronavirus animaux est au centre de ces demandes.
Bien qu’une démonstration concluante de l’origine du SARS-CoV-2 du laboratoire NC4 de Wuhan pourrait ne jamais être obtenue, les derniers développements suscitent des inquiétudes nouvelles autour des expériences de gain de fonction. Ils pourraient mener à une réévaluation de cette approche expérimentale ainsi que des règles de sécurité des laboratoires qui en font l’utilisation.
Benoit Barbeau, Professeur, expert en virologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.