La troublante beauté de The National

Fort de son nouvel album Trouble Will Find Me, le groupe indie-rock The National est de passage à Montréal ce jeudi, accompagné des Barr Brothers, pour un concert présenté par Osheaga.
Aaron Dessner est sous l’effet des médicaments. Le guitariste de The National a dû reporter notre entrevue deux fois parce qu’il devait se rendre chez le médecin pour faire soigner son cou bloqué, conséquence d’un accident de travail, semble-t-il. «Je pense que c’est peut-être dû à ces six heures à jouer Sorrow, dit-il. Nous avons joué la même chanson six heures en ligne, mon dos était ultra-tendu à cause de ça et je n’ai jamais réussi à le relaxer ensuite.»
Dessner, qui, avec son frère Bryce, compose la majorité de la musique du groupe, présente ses excuses à l’avance s’il semble un peu dans les vapes à cause des antidouleurs. Et pourtant, ses propos sont tout à fait sensés, alors que nous discutons avec lui de l’excellent nouvel album de The National, Trouble Will Find Me.
Comment est venue l’idée de jouer Sorrow pendant six heures en ligne?
C’était une collaboration avec l’artiste islandais Ragnar Kjaransson. Il avait approché le MoMA [Musée d’art moderne de New York] et lancé l’idée qu’il aimerait collaborer avec nous. Il a souvent fait des prestations artistiques impliquant des musiciens. Ça joue pas mal sur l’idée de la répétition et de la façon dont les choses changent au fil de celle-ci ou prennent un sens plus profond. Il nous a écrit une lettre charmante et très convaincante, et pour une raison quelconque, nous étions dans l’état d’esprit pour faire ce genre de chose à ce moment précis. Nous avons donc accepté. Ç’a été génial quand on l’a fait, mais j’avoue que nous étions un peu angoissés a priori. Toutefois, quand nous nous sommes retrouvés dans ce dôme géodésique à Long Island City, ç’a été génial. Nous avons joué la chanson 108 fois de suite sans nous arrêter. Ça nous était arrivé avant de jouer une chanson souvent, en tournée, par exemple, mais six heures, c’est un peu comme faire trois concerts de suite!
Qu’avez-vous appris de cette expérience? Aimez-vous encore cette chanson?
Oui, en fait! On dirait qu’elle a eu une renaissance dans le processus. Kjaransson a compris qu’il y a quelque chose d’harmoniquement circulaire dans cette chanson, qui met dans un étrange état de méditation. On n’y avait jamais songé comme tel, on y pensait plutôt comme à une chanson de pop sombre de trois minutes et demie, quelque chose comme ça. Ça sonne ringard, mais la répéter de la sorte a ajouté une dimension spirituelle, et on s’est un peu perdus dans la chanson; les gens passaient, repartaient, mais il y a quelques centaines de personnes qui sont restées tout le long. Vers la fin, on ne chantait presque plus nous-mêmes, parce que le public chantait très fort. C’était génial.
Parlons du nouvel album. Il semble plus étoffé sur le plan de la production, plus léché que High Violet ou Boxer. Êtes-vous d’accord?
Nous avons choisi de moins comprimer les choses, de moins «pousser» le son. Tout est enregistré en mode analogique et beaucoup des maquettes ont été faites dans un joli studio des Catskills. Nous voulions que le son puisse respirer, ait plus d’espace, parce que High Violet était très dense, avec des couches épaisses de feed-back et de trémolo sur tout, un son très moderne. Pour Trouble Will Find Me, je pense qu’on voulait prendre un peu de recul et rendre les moments tranquilles plus tranquilles encore, et les moments forts encore plus forts. Ça peut sembler plus léché dans l’ensemble, mais je pense que les moments tout croches sont encore plus croches! Cependant, en tant que groupe, on sent que notre son est à son plus solide actuellement, parce qu’on n’a fait aucun compromis. On a fait ce qu’on voulait.
Il y a beaucoup de duos de voix sur cet album.
Nous avons toujours utilisé les autres voix pour rehausser nos chansons. La juxtaposition des voix rend celle de Matt plus riche, d’une façon étrange, et encore plus belle. Nous le faisons encore ici, et il y a quelques moments où nous voulions des voix féminines, comme des personnages, une couleur. Alors, en Sharon Van Etten, Nona Marie Invie et Annie Clarke, nous avons trouvé des amies avec des voix magnifiques. Nous avons aussi Richie Reed Parry, d’Arcade Fire qui a participé. Et nous chantons nous aussi. Je crois que c’est l’évolution normale des choses.
Vous êtes vraiment engagé dans l’aspect musical des albums. Est-ce que votre frère et vous participez aussi à l’écriture des paroles que chante Matt Berninger?
Oui, mais pas beaucoup. S’il y a quelque chose qui nous dérange, on va en parler.
La ligne directrice de l’album semble être résumée dans cette phrase de la chanson Don’t Swallow the Cap, «everything that I love is on the table» [tout ce que j’aime est sur la table]. C’est vrai, à votre avis?
Je pense que c’est juste. C’est comme si on mettait vraiment nos tripes sur la table. Et je crois que, d’une certaine façon, sur le plan des paroles, c’est notre disque le plus verbeux, le plus direct et le plus personnel à certains égards. De manière étrange, ça inclut pas mal tout ce que nous avons fait. Alors oui, c’est effectivement une réplique très porteuse de sens.
The National
À l’Esplanade du Centenaire du Canal-de-Lachine
Ce jeudi à 19 h 30
[youtube http://www.youtube.com/watch?v=yIWmRbHDhGw]