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«Gentrification commerciale» sur Wellington: plusieurs commerces forcés de fermer

Photo: Guillaume Ledoux, Métro

Plusieurs commerçants bien établis à Verdun, et plus particulièrement sur la rue Wellington, sont forcés de fermer boutique. Malgré un fort achalandage sur l’artère, la gentrification, les hausses de loyer abusives et le manque d’encadrement légal des renouvellements de baux commerciaux ont raison de la viabilité de ces commerces qui contribuaient au charme de Verdun.

En marchant sur la rue Wellington, on remarque rapidement les pancartes «À vendre» et «À louer». Le café Lido, le Restaurant Well, la pâtisserie Audacieuse Vanille, la Bijouterie Hervieux et le Restaurant Pigor (pour ne nommer que ceux-là) ont temporairement ou définitivement fermé leurs portes.

Aux prises avec des augmentations de loyer qui peuvent atteindre jusqu’à 20% et sans recours légal pour négocier, les commerçants jugent difficile de demeurer en affaires alors qu’ils ont déjà dû survivre à la pandémie et à la pénurie de main-d’œuvre.

Sous une publication appelant à la mobilisation sur le populaire groupe Facebook Verdun Communauté, plusieurs citoyens s’inquiètent de l’avenir commercial de l’arrondissement alors que l’aspect convivial et communautaire de la Well semble s’éroder en temps réel.

Au même moment où il y a des anciens propriétaires qui ferment leurs portes, il y a un PFK qui ouvre sur la Well.

Simon Campeau, propriétaire de l’entreprise Surplus de fruits et légumes Montréal et membre du groupe Verdun Communauté

Ayant grandi dans le secteur, M. Campeau connaît «les rues de Verdun comme le fond de sa poche». Naturellement, il a voulu lancer son entreprise de vente de fruits et légumes de deuxième qualité dans son arrondissement. «J’ai appelé partout, il n’y a pas un local que je n’ai pas fait», dit-il, mais aucune offre n’était «raisonnable» ou à un prix qui lui aurait permis de faire du profit avec un point de vente ayant pignon sur rue. «On veut ouvrir, mais c’est impossible.»

La décision a été difficile à prendre pour l’entrepreneur, qui aurait voulu faire profiter sa communauté de son entreprise à vocation écologique et communautaire, mais M. Campeau a dû se résoudre à rayer Verdun de sa liste d’arrondissements où se lancer en affaires. Ce sera donc au marché Atwater que se déploiera le premier point de vente de l’entreprise Surplus fruits et légumes Montréal.

Victime de son succès, la Well?

En août 2022, tous les regards se tournaient vers Verdun et la rue Wellington. Celle-ci venait d’être déclarée la rue plus cool au monde par le média Time Out. Un coup de publicité qui a fait réaliser à plus d’un que Verdun était en train de changer de visage. Puis, cet été, la rue s’est ajoutée à la longue liste d’artères piétonnisées de Montréal, aux côtés de l’avenue Mont-Royal et de la rue Saint-Denis, notamment. «Ça crée une gentrification commerciale», explique le directeur de la Société de développement commercial (SDC) Wellington, Patrick Mainville, en entrevue avec Métro.

Les effets de cette gentrification se font toutefois aussi sentir sur le logement. Entre octobre 2010 et octobre 2021, le prix moyen des logements de Verdun est passé de 583 $ à 886 $, une augmentation de 52%, selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Une augmentation qui fait de Verdun l’un des arrondissements où le coût du logement a le plus augmenté au cours de la dernière décennie. Des groupes locaux de pression, dont Verdun, Ensemble Contre la Gentrification, organisent d’ailleurs plusieurs mobilisations pour lutter contre le phénomène.

Dans leur livre Gentriville, les auteurs Antoine Trussart et Marie Sterlin, qui étudient la gentrification à Montréal, soutiennent que le nouvel attrait pour l’arrondissement repose sur trois éléments: la position géographique de Verdun, ses trois stations de métro et le réaménagement de la rue Wellington.

«L’article du Time Out a agi comme accélérateur de la gentrification, affirme Mme Sterlin en entrevue avec Métro. Wellington est nommée la rue la plus cool au monde. À ce moment, ce qu’on observe, c’est que les propriétaires des immeubles en profitent et ça devient trop cher même pour les gens qui s’étaient installés là parce que ça a été revitalisé.»

Avec la nouvelle notoriété mondiale de la rue, «les nouveaux commerçants s’installent en prévoyant attirer des gens de partout dans le monde. Les commerces deviennent des lieux de destination et pas pour la population locale», poursuit l’autrice. Cette réalité entre en contradiction avec les attentes de la SDC, laquelle a une vision «de proximité», plutôt que de destination, selon Patrick Mainville. Les effets qu’a la gentrification commerciale sur la perte de services pour la population locale se font sentir directement, notamment avec la fermeture temporaire de la pâtisserie Audacieuse Vanille sur la rue Wellington. En attendant sa réouverture, plusieurs Verdunois cœliaques perdent leur seul fournisseur de pâtisseries adaptées à leurs restrictions alimentaires.

L’enjeu, c’est qu’on risque de perdre des commerces qui faisaient l’ADN de la rue Wellington. On n’est pas encore là, mais on va peut-être le voir dans le futur.

Patrick Mainville, directeur de la SDC Wellington

Ce lien entre la popularisation de la rue Wellington et l’exode de commerces de proximité pourtant bien établis est observé par M. Mainville. «La Wellington d’avant n’avait pas le même rayonnement qu’aujourd’hui. Il y avait plus de locaux vacants, donc les propriétaires avaient plus d’ouverture à négocier. Maintenant, avec la popularité, dès qu’il y a des locaux vacants, ce n’est pas long qu’il y a plusieurs intéressés. Ça rend le pouvoir des propriétaires plus élevé.»

Or, rappelons que si l’encadrement légal des hausses du prix des loyers de logement est rigoureux, l’histoire est différente pour les loyers commerciaux.

Un «Far West législatif»

«Il n’y a rien dans la législature qui encadre le renouvellement d’un bail commercial, soulève la députée solidaire de Verdun, Alejandra Zaga Mendez. C’est le Far West législatif. Il n’y a aucune bouée de sauvetage ni de recours pour les petits commerçants.»

Au Québec, les propriétaires d’immeubles à vocation commerciale peuvent augmenter les prix à leur guise, refuser un renouvellement et aisément instaurer de nouvelles règles – par exemple sur les limites de bruit -, ce qui leur permet de filtrer les locataires.

«Quand on a un laisser-faire, ça ouvre à des pratiques malveillantes. Sans normes, ça va encourager les personnes à faire de la spéculation et de la revente», croit Mme Mendez.

Figurant dans les propositions de Québec solidaire au moment des dernières élections, l’encadrement légal des renouvellements de baux commerciaux est encore mis de l’avant comme un pas dans la bonne direction par M. Mendez. Cet encadrement pourrait passer par «un registre des baux commerciaux» ou une «standardisation des baux commerciaux».

En attendant que la loi rende le rapport de pouvoir entre propriétaires et locataires commerciaux plus juste, «il faut trouver une façon d’outiller nos commerçants à bien négocier les baux commerciaux», croit Patrick Mainville de la SDC.

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