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La cession de bail, un combat «symbolique»?

L'article 7 du projet de loi 31 permet au locateur de refuser une cession de bail sans motif sérieux. Photo: iStock, Marc Bruxelle

Alors que Québec solidaire et le Regroupement des comités de logement et des associations de locataires (RCLALQ) ont officiellement demandé, ce matin, à la CAQ de reculer sur la clause du projet de loi 31 qui permettrait aux propriétaires de refuser une cession de bail, des experts qualifient ce combat comme en étant «symbolique» puisque son usage n’est pas commun ni normalisé.

Actuellement, la loi permet aux propriétaires de refuser la cession de bail seulement en cas de «motifs sérieux», et c’est le Tribunal administratif du logement qui tranche. Si le PL31 entrait en vigueur comme déposé par la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, les propriétaires n’auraient plus à se baser sur ces «motifs sérieux» s’ils souhaitaient refuser une cession de bail.

Se basant sur une étude de la Chambre du commerce du Montréal métropolitain, Québec solidaire rappelait ce matin que le prix moyen des logements locatifs a bondi de 44% dans la dernière décennie. Toujours selon cette étude, cette hausse pourrait s’accentuer de 30% d’ici seulement trois ans. Les députés de QS craignent de voir cette hausse bondir encore davantage avec une interdiction des cessions de bail.

Le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, définit la cession de bail comme étant le «dernier rempart» permettant aux locataires de trouver un logement abordable en période de crise du logement comme celle que l’on connaît présentement, soulignant que la cession de bail peut faire acte de protection aux personnes marginalisées vivant davantage de discrimination quand vient le temps d’obtenir un logement abordable.

Le RCLALQ encourage les locataires à manifester à 17h30 demain à Montréal contre cette initiative, et les députés solidaires ont réitéré leurs inquiétudes qu’une telle mesure vienne aggraver la crise qui «frappe déjà de plein fouet les locataires».

Un bras de fer symbolique

Pourtant, la cession de bail ne serait pas un outil fréquemment utilisé, selon des experts. Le projet de loi de Mme Duranceau dérange «parce qu’on est dans un marché qui, à l’heure actuelle, est plus avantageux pour les propriétaires que pour les locataires», croit le professeur et directeur de l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche.

Selon lui, «ce n’est pas un outil qui est utilisé tant que ça et [le changement proposé par Mme Duranceau] n’aura pas d’impact sur le marché». Le coup d’éclat déclenché par le dépôt du PL31 serait même «ironique» selon lui, puisque la cession de bail peut aussi être avantageuse pour les propriétaires, dans un contexte où un locataire ne serait pas en mesure de remplir les obligations auxquelles il s’est engagé en signant le bail.

Ce cas de figure serait moins fréquent dans le marché actuel, admet-il, disant «comprendre les associations de locataires d’en faire un symbole», puisque «qu’il n’y a aucun gain pour les locataires là-dedans».

Le sociologue, professeur à l’École du Travail social de l’UQAM et membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRASH), Louis Gaudreau, est d’accord: la cession de bail n’est pas souvent utilisée, notamment à cause de l’instabilité venant avec le legs d’un bail à d’autres locataires. «Un propriétaire pourrait très bien évoquer un motif sérieux pour s’opposer à la cession de bail, et les jugements du tribunal administratif du logement ne sont pas émis dans les 48 heures».

Contrairement au professeur de l’UdeM, celui de l’UQAM croit qu’il est «nécessaire» que la ministre revienne sur sa décision d’assouplir l’encadrement de la cession de bail. L’adoption du PL31 telle que déposée représenterait un «grave recule» pour les droits des locataires.

Il y a un déséquilibre dans le marché, et la cession de bail est une manière d’équilibrer cette relation-là [entre locataires et propriétaires], qu’on savait qui était inéquitable structurellement.

Louis Gaudreault,

Il qualifie lui aussi cette cause de «symbolique», et juge que c’est à la partie la plus désavantagée dans le marché à qui le gouvernement devrait donner des droits.

L’enjeu de la crise du logement est très difficile à gérer pour un gouvernement, souligne M. Meloche, professeur en urbanisme et architecture, mais aussi diplômé en économie. Celui-ci est d’avis que la construction de logement fait assurément partie de la solution, puisqu’augmenter l’offre viendrait combler la demande. Sans oser se prononcer sur «si c’est bon ou pas, ce qu’on fait au Québec», il croit qu’un certain contrôle des loyers est nécessaire. Il souligne que l’enjeu est un dilemme pour les économistes, et qu’une telle crise est très difficile à gérer pour un gouvernement.

Même si l’enseignant en travail social, spécialisé dans l’enjeu du logement, qualifie lui aussi l’utilisation de la cession de bail comme étant «marginale», il juge, contrairement à son collègue de l’UdeM, que la construction de logement n’est pas une solution à la crise du logement, puisque dans les «20 dernières années, dit-il, on a atteint des années presque record en termes de construction de logement qui n’ont eu aucun effet sur les loyers».

Le PL31 attiserait les réactions des locataires militants puisqu’il n’améliore pas leurs conditions de vie, explique M. Gaudreau. Son adoption se traduirait comme une «incompréhension profonde des dynamiques qui causent la crise du logement» de la part du gouvernement. Elle serait, selon lui, le résultat de plusieurs années à ne pas agir pour encadrer les rénovations et les flips immobiliers.

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