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CDN-NDG: un projet de terrain synthétique qui divise

Le terrain de soccer naturel du parc Mackenzie-King, à Côte-des-Neiges, sera transformé en terrain synthétique. Photo: Nicolas Monet/Métro

D’un côté, ceux pour qui l’ajout d’une infrastructure de qualité pour les jeunes sportifs est essentiel. De l’autre, ceux qui priorisent la protection d’un des rares espaces naturels de leur quartier. Un projet controversé de terrain synthétique multisport au parc MacKenzie-King scinde la communauté, tandis que l’arrondissement de Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce est pris en étau.

«On considère que c’est sacrifier une zone naturelle, s’insurge Line Bonneau, résidente du quartier. Si on est en transition écologique, il va falloir commencer à protéger nos terrains naturels.»

Il y a un grand déficit d’espaces verts à Côte-des-Neiges, explique Mme Bonneau, sans nier le manque d’infrastructures sportives. Les parcs du quartier se comptent sur les doigts d’une main.

L’arrondissement n’a pas fait ses devoirs au cours des dernières décennies pour mettre de côté des terrains naturels ou des terrains de moindre qualité écologique [pour en faire des terrains sportifs].

Line Bonneau, résidente de Côte-des-Neiges

«La mairesse [Gracia Kasoki Katahwa] qui parle de la transition écologique comme le défi de notre génération, je veux bien y croire. Mais si l’arrondissement continue de prendre les mêmes décisions que celles qui étaient prises dans les années 70, on n’y arrivera pas vite, à la transition écologique», déplore celle qui milite pour la protection du boisé Dora-Wassermann, situé dans le parc MacKenzie-King.

Depuis son dévoilement dans le budget de l’arrondissement en octobre 2022, des citoyens ont questionné l’administration de Projet Montréal sur le terrain synthétique à chaque conseil d’arrondissement. Les élus se prononceront officiellement sur le projet, estimé à 5 M$, à la prochaine séance du conseil, le 5 juin.

L’unique terrain synthétique surutilisé

Côte-des-Neiges compte 55,4% de la population de l’Arrondissement, mais seulement trois de ses 16 terrains de soccer. On y retrouve qu’un seul terrain synthétique, celui du parc Martin-Luther-King, pour 96 935 citoyens.

«Le seul terrain synthétique qu’on a est utilisé à sa surcapacité», résume la mairesse de Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce, Gracia Kasoki Katahwa.

En 2021, la totalité des 50 heures disponibles par semaine du terrain synthétique Martin-Luther-King était utilisée pour des réservations, selon les données de l’Arrondissement consultées par Métro. En comparaison, 46,6% des quinze heures disponibles hebdomadairement du terrain naturel MacKenzie-King étaient utilisées en 2021.

Le 22 mars dernier, lors d’une séance de consultation publique, plusieurs parents ont plaidé pour l’aménagement d’un nouveau terrain. «Ce n’est pas à nos jeunes de payer pour l’environnement pendant que nous, les adultes, on se laisse aller et qu’on continue à conduire nos gros chars», a déclaré une mère, soulignant les bénéfices du sport sur la santé physique et mentale.

Un entraîneur de soccer est venu citer en exemple plusieurs joueurs et joueuses du quartier qui ont obtenu des bourses pour aller jouer dans des universités américaines ou en Europe. Le manque de disponibilités au terrain du parc Martin-Luther-King cause des conflits entre des jeunes qui s’arrachent l’aire de jeu, a dénoncé un adolescent qui accompagnait l’entraîneur.

Pourquoi envisager un terrain synthétique? Il permet une plus grande utilisation, se dégrade moins rapidement, nécessite moins d’entretien et consomme moins d’eau, selon un document préparé par l’Arrondissement et présenté lors de la consultation publique.

Extrait d’un document présenté par l’arrondissement aux citoyens lors de la consultation publique du 22 mars.

Écouter ceux qui n’ont pas de voix

Il est difficile pour Gracia Kasoki Katahwa d’entendre les discours qui soutiennent que son administration devrait simplement abandonner l’infrastructure sportive parce que la protection d’un espace naturel prime. «On déconsidère complètement les besoins de personnes de quartiers parfois moins favorisés», dénonce-t-elle.

«Souvent, les personnes qui viennent au conseil d’arrondissement, c’est celles qui ont le temps, qui savent comment ça fonctionne la machine politique», remarque la mairesse.

Qui doit payer le prix de la transition écologique? Ce ne sont pas les personnes des quartiers défavorisés qui ont besoin d’infrastructures sportives et qui n’ont pas été entendues dans les dernières décennies.

Gracia Kasoki Katahwa, mairesse de Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce

Aucun autre espace public n’est disponible, plaide l’élue. «Ça fait mal d’enlever un espace vert naturel, reconnaît-elle. Très franchement, j’aimerais qu’on ait une autre solution.»

Bien qu’elle reconnaisse la pertinence d’une étude environnementale plus étoffée sur les impacts d’un terrain synthétique, celle-ci devrait se faire à l’échelle de l’agglomération et non seulement de l’arrondissement. «C’est un enjeu montréalais», insiste la mairesse, puisque les mêmes débats se répètent partout en ville.

Pour Sonny Moroz, conseiller du district de Snowdon, où se trouverait le nouveau terrain, le projet est «un non-sens». «En utilisant du synthétique, l’administration démolirait l’ensemble paysager qui fait la beauté du parc Mackenzie-King et enlèverait une partie de la bouffée d’air frais que le parc offre aux résident.es.», poursuit l’élu de l’opposition, par courriel.

Notons qu’en 2019, Rosemont–La Petite-Patrie a annoncé qu’il n’aménagera pas de nouvelle surface synthétique au nom de la lutte au changement climatique. L’automne dernier, la ville de Boston a également interdit les nouveaux terrains synthétiques dans les parcs municipaux en raison d’inquiétudes liées aux «produits chimiques éternels» (PFAS) qui se retrouve dans la surface. Les PFAS sont potentiellement cancérigènes, selon Santé Canada.

Combattre les îlots de chaleur

Principal argument des opposants au projet, les matériaux composites des terrains synthétiques retiennent davantage la chaleur que le gazon naturel lors des périodes chaudes. Ils amplifient ainsi les effets du réchauffement climatique en formant des îlots de chaleur.

Pour Line Bonneau, il est contradictoire que l’administration Katahwa utilise des fonds publics pour détruire un espace naturel et créer un îlot de chaleur d’un côté, alors que de l’autre, l’arrondissement et la Ville de Montréal promettent d’investir davantage pour lutter contre ces mêmes îlots de chaleur.

La température sur un terrain synthétique peut monter jusqu’à 10 degrés de plus que les températures environnantes et jusqu’à 16 degrés de plus que la pelouse naturelle, selon Nilson Zepeda, coordonnateur du Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE Montréal). En février, le CRE a envoyé une lettre demandant à l’arrondissement de laisser tomber le projet.

Il ny’a pas «d’évapotranspiration» de la végétation avec un terrain artificiel, explique M. Zepeda. «Cette humidité qui va remonter et créer une sensation de fraîcheur n’y est pas.»  

Côte-des-Neiges possède très peu d’espaces verts proportionnellement à la population du quartier, souligne-t-il.

Par ailleurs, les données du Bureau de la transition écologique et de la résilience de la Ville de Montréal (BTER) démontrent non seulement que la zone aux alentours du parc MacKenzie King est vulnérable aux chaleurs accablantes, mais également que les terrains synthétiques du Collège Notre-Dame, tout près, forment un îlot de chaleur.

Carte du BTER sur la vulnérabilité aux chaleurs accablantes. Les zones les plus foncées sont des îlots de chaleur. Annotation: Métro

L’arrondissement reconnaît également que la surface synthétique contribuera au problème des îlots de chaleurs. Pour mitiger les conséquences néfastes, des arbres seront plantés aux abords du terrain. Des matériaux de remplissage plus modernes et moins foncés, qui accumulent moins de chaleur, seront utilisés. Finalement, des abris seront aménagés pour rafraîchir les utilisateurs.

Un défi écologique

Le secteur du parc MacKenzie King est également vulnérable aux pluies abondantes, selon les dernières données du BTER. Des résidences environnantes sont périodiquement inondées lors d’épisodes de pluies diluviennes.

Or, un terrain naturel a une meilleure absorption d’eau qu’une surface synthétique, explique Nilson Zepeda. L’eau qui tombe sur un terrain synthétique à plus de difficulté à pénétrer le sol et à s’écouler vers la nappe phréatique.

Carte du BTER sur la vulnérabilité aux pluies abondantes. Les zones les plus foncées ont des vulnérabilités « majeures ». Annotation: Métro

En outre, les espaces verts, surtout lorsqu’ils comportent des arbres, assurent une meilleure qualité de l’air, sont bénéfiques pour la santé mentale, et réduisent le risque de stress thermiques lors des périodes de canicule, poursuit-il.

Notamment, la perte d’un terrain naturel vient impacter les insectes pollinisateurs, dont 40% sont menacés d’extinction. «Le terrain synthétique ne produit pas de fleurs. Il n’y a pas de pissenlits qui poussent, donc les insectes ne vont pas se nourrir», note-t-il.

Enfin, le terrain synthétique pourrait avoir une influence sur la santé écologique du boisé Dora-Wasserman, aux dires du coordonnateur du CRE. Au nom de la lutte contre la crise de biodiversité, il faut non seulement planter davantage d’arbres – «la meilleure arme pour lutter contre cette crise» –, mais également conserver ceux qu’on a déjà, insiste-t-il.

«Le défi de notre génération c’est d’avoir une transition écologique qui est juste et inclusive, réitère Gracia Kasoki Katahwa. Ce n’est pas une question simple. J’aimerais qu’on en parle avec ce niveau de complexité.»

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