Le gun de Carey
CHRONIQUE – Du fait de leur notoriété, popularité et adulation témoignée, les athlètes professionnels constituent – par définition – des pigeons de choix pour quelconque organisation aux mobiles idéologiques, nobles ou discutables. Reste, néanmoins, les obstacles de la culture générale ou du bon jugement.
On se souviendra, pour triste exemple, de la récupération de Guy Lafleur par son ami Serge Savard, lors de la (controversée) campagne référendaire de Charlottetown. À la question malicieuse d’un journaliste, à savoir ce qu’il pensait du droit de veto, le numéro 10 devait répondre: «Le droit de veto, c’est le droit de voter, ça? Oui? Ben je pense que c’est ben correct!»
Pris probablement malgré lui dans une soirée hommage à Nelson Mandela, le gardien des Maple Leafs d’alors, Jonathan Bernier, déclare aux médias présents: «Mandela, c’était vraiment un très grand joueur.»
À la distinction des illustrations précédentes, la sortie de Carey Price au profit de la Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu (CCDAF) était, aux dires du principal intéressé, parfaitement conforme à ses valeurs et convictions. Plus précisément: «My views are my own and I do believe in them.» Croire à ses… propres points de vue, donc. Good.
On se souviendra également de la photo du cerbère avec, en évidence, un drapeau de la National Firearms Association (NFA), un autre regroupement canadien pro-armes dont le slogan est «aucun compromis». L’association est, de son propre aveu, grande fan des sorties publiques de la vedette. On le serait à moins.
Tout individu a droit à ses opinions, diront d’aucuns, autant athlète soit-il. Juste. Reste, cela dit, la légitimité de celles-ci, à l’instar du moment choisi afin de les communiquer. Or, que la CCDAF s’objecte à l’actuel projet de Loi 21, rien de bien original, ni excitant. Mais qu’elle se lance dans une opération visant à se moquer, ridiculiser et instrumentaliser le drame de la Polytechnique en accordant un rabais – sur les prochains achats de guns – à quiconque emploie le terme-clic «Poly», appelons ça du… next level.
Next level, côté insolence.
Next level, côté cruauté envers autrui.
Next level, côté méchanceté pure et gratuite.
Ceci, on le rappelle, à quelques heures des commémorations du féminicide. Parce que oui, il s’agit du (seul) terme approprié. Comme à chaque fois que l’on tue une femme pour l’unique motif qu’elle en soit une.
Qu’une superstar – montréalaise de surcroît – appuie pareille machination aux accents psychopathes relève d’une spectaculaire antipathie.
Dans le cadre de ses fonctions de pompier, le département des communications du Canadien de Montréal devait, dans un communiqué boyau d’arrosage, indiquer que Price ignorait… l’existence de la tragédie.
Après 15 ans à Montréal, sérieusement? Après avoir déjà assisté, comme joueur et sur la glace, à quelques-unes des commémorations d’avant-match?
Eh ben.
Le gardien-inculte allait pouvoir compter, sans ambages, sur son coach et coéquipiers.
Aux dires de Martin St-Louis: «Je ne suis pas sûr que Carey connaît toute l’histoire de ce qui s’est passé. Il n’avait que deux ans, à l’époque.»
Faut croire qu’il ne connaît pas non plus Maurice Richard ou Bobby Orr, à ce compte-là.
Magnanime côté ignorance, Joel Edmunson souhaitait partager le blâme avec son gardien: «Aucun de nous n’était au courant de ce qui s’est passé il y a 30 ans.»
Quant à Caufield, Gallagher, Primeau et des ex comme Danault et Subban, tous ont «aimé» la publication de Price sur Instagram. N’oubliez pas votre rabais «Poly», les boys.
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Réalisant que l’excuse de l’ignorance n’avait fait qu’ajouter au maelström de la controverse, Carey devait ensuite corriger le tir (c’est le cas de le dire) de son employeur en précisant que oui, il était bel et bien au courant du drame survenu.
La preuve, ainsi donc, du caractère névralgique des commémorations.
De la banalisation, indélébile, de la violence institutionnalisée.
De la bêtise, ancrée, dans nos mœurs et coutumes.
De porte-paroles superstars comme freins au progrès social.
Des jeux et de l’ignorance cruelle, comme seule panacée.