Craindre et croire: «Ma fin du monde», de Simon Roy
Comment continuer à vivre, comment ne pas succomber à la peur lorsqu’une «catastrophe [nous] tombe littéralement du ciel»? C’est l’une des questions qui sous-tend le plus récent livre de Simon Roy, Ma fin du monde, paru la semaine dernière aux Éditions du Boréal.
Le 22 février 2021, l’univers de Simon Roy bascule: l’écrivain apprend qu’il est atteint d’un «cancer au cerveau incurable qui attaque agressivement la partie de [sa] tête dédiée au langage».
Exactement un an plus tard, jour pour jour, l’auteur amorce la rédaction de Ma fin du monde, un ouvrage hybride composé de fragments puisant dans l’expérience personnelle de l’écrivain et s’appuyant sur une panoplie d’œuvres marquantes (notamment celles d’Orson Welles et de Stephen King) pour esquisser une réflexion aussi érudite que sensible sur le pouvoir de la peur, mais également sur le brouillage entre la réalité et la fiction. Ce dernier thème était également au cœur du roman Fait par un autre, qu’avait lancé Simon Roy l’automne dernier.
Examiner la peur
Alors que le thème du «faux» était abordé, dans Fait par un autre, par l’entremise de la figure de Réal Lessard, un faussaire québécois connu pour son association avec le controversé marchand d’art Fernand Legros, dans Ma fin du monde, c’est plutôt la célèbre adaptation radiophonique de La guerre des mondes, par Orson Welles, diffusée en 1938, qui fournit un fil conducteur aux fragments composant le texte hybride de Ma fin du monde.
À partir de ce formidable «événement historique qui n’a pas eu lieu», de ce «canular du siècle», orchestré par Welles – comme le raconte Roy, la radiodiffusion de La guerre des mondes a été interrompue par un (faux) bulletin d’information spécial annonçant une invasion de Martiens –, l’écrivain s’interroge sur les frontières poreuses séparant le vrai du fictif ainsi que sur la réaction de l’humain devant l’envahisseur, quelle que soit la forme que celui-ci emprunte (fictive, comme les extraterrestres, ou encore bien réelle, comme le cancer ou une pandémie).
Ainsi, l’écrivain examine-t-il la peur, cette puissante émotion «corrosive», qui court-circuite parfois la rationalité et donne lieu à certains comportements qui, de l’extérieur et avec le recul, peuvent apparaître farfelus, mais qui, vus de l’intérieur, suivent une certaine logique.
C’est à ces instants où, à la suite du choc produit par l’irruption de la menace ou de l’insolite dans nos vies, le «moi raisonnable» lutte avec le «moi crédule» que s’intéresse Simon Roy: de l’avènement d’une pandémie, qui a suscité, comme le rappelle non sans humour l’écrivain, une ruée vers le papier hygiénique, aux phénomènes surnaturels inexpliqués, en passant par les anges et autres puissances occultes, le créateur livre une réflexion hautement captivante sur la complexité de l’esprit – qui est aussi fragile que puissant –, sur notre rapport à la rationalité ainsi que sur le «saut» du côté de la croyance, au sens large, que les circonstances de la vie exigent parfois de nous. Il ne s’agit pas ici de se détourner de la raison pour s’abandonner à la «croyance aveugle», mais plutôt de s’ouvrir aux possibles, d’accueillir l’inexplicable et d’en faire un moteur de vie.
En d’autres termes, il s’agit peut-être, comme l’écrit Simon Roy dans un splendide fragment consacré à son oncle Michel, reconnu pour ses dons de guérisseur, de croire «les yeux grand ouverts». On ne peut que remercier Simon Roy pour cet ouvrage d’une urgente humanité.
Ma fin du monde, de Simon Roy. Disponible maintenant aux Éditions du Boréal.